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Des clauses abusives dans les conventions d’honoraires d’avocats
Il est parfois affirmé que la responsabilité des notaires serait plus lourde que celle des avocats, notamment au motif que la responsabilité des premiers serait délictuelle, tandis que celle des seconds « ne » serait « que » contractuelle.
Il y aurait déjà beaucoup à dire sur l’affirmation générale en vertu de laquelle la jurisprudence se montre plus sévère à l’endroit des notaires, alors que la Cour de cassation tend à mettre en place une responsabilité unique de tous les « praticiens du droit » (Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.294), sans exiger un surcroît de compétence d’une catégorie de professionnels par rapport à une autre. On en voudra pour preuve, par exemple, que la responsabilité des agents immobiliers est largement alignée sur celle des notaires, et ce alors que la responsabilité des premiers est contractuelle tandis que celle des seconds est délictuelle (Civ. 1re, 16 oct. 2013, n° 12-24.267).
Toujours est-il que si la responsabilité contractuelle est parfois présentée comme un avantage pour ceux qui y sont soumis, c’est parce qu’elle permet, au contraire de la responsabilité délictuelle, un aménagement des conditions et des effets de la responsabilité.
En particulier, les clauses relatives à la réparation sont admises en matière contractuelle, mais exclues en matière délictuelle : « les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du Code civil, sont d'ordre public et (…) leur application ne peut être neutralisée contractuellement par anticipation, de sorte que sont nulles les clauses d'exonération ou d'atténuation de la responsabilité en matière délictuelle » (Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-13.407. V. aussi Civ. 2e, 17 févr. 1955, n° 55-02.810 ; Civ. 2e, 15 juin 1994, n° 92-18.048).
Il n’en reste pas moins que la législation sur les clauses abusives a contribué à limiter la portée de cette différence. Chacun sait, en effet, que dans les rapports entre professionnels et consommateurs, les clauses limitatives ou exclusives de réparation sont irréfragablement présumées abusives par l’article R. 212-1, 6° du Code de la consommation.
Or, les conventions d’honoraires conclues entre un avocat et un client, pourvu que celui-ci soit un consommateur, entrent pleinement dans le champ de la lutte consumériste contre les clauses abusives selon la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans une première décision en date du 15 janvier 2015 (aff. C-537/13), la CJUE a décidé que la convention d’honoraires et, plus largement, le contrat de service juridique conclu entre un avocat et un client qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole était soumis à la législation contre les clauses abusives (« client-consommateur »). D’après la CJUE, en effet, « en ce qui concerne les contrats de services juridiques (…), il importe de relever que, dans le domaine des prestations offertes par les avocats, il existe, en principe, une inégalité entre les ‘clients-consommateurs’ et les avocats, due notamment à l’asymétrie de l’information entre ces parties ». Elle ajoute alors qu’exclure du périmètre de la directive de 1993 tous les professionnels libéraux, en ce qu’ils seraient soumis à des obligations déontologiques propres restreindrait trop la protection des « clients-consommateurs ». La convention d’honoraires, passée entre un avocat et un consommateur, est donc soumise aux exigences des articles L. 212-1 et R. 212-1 et R. 212-2 du Code de la consommation.
Dans une décision plus récente (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21), la CJUE s’est à nouveau penchée sur la convention d’honoraires de l’avocat. Dans cette affaire, la clause litigieuse était une clause qui prévoyait qu’en cas de désistement ou d’acceptation par le client d’une solution amiable à l’insu de l’avocat ou contre son avis, le client devrait payer à l’avocat une certaine somme : « en signant la lettre de mission, le client s’engage à suivre les instructions du cabinet et, s’il se désiste pour quelque raison que ce soit avant la fin de la procédure judiciaire ou s’il conclut un accord avec la banque, à l’insu ou contre l’avis du cabinet, il devra payer le montant résultant de l’application du barème de l’ordre des avocats de Séville pour la fixation des dépens concernant le recours relatif à l’annulation et au montant ». Le client, qui avait accepté la proposition de son contradicteur sans informer son avocat, refusa de respecter cette clause.
La juridiction saisie du litige entre l’avocat et son client décida alors de poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE. Notamment, elle lui demanda si la clause de désistement litigieuse n’était pas une clause portant sur la définition de l'objet principal du contrat ou sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au service offert, c’est-à-dire une clause immunisée contre le contrôle du déséquilibre significatif.
Dans sa décision, la CJUE a répondu par la négative. Pour ce faire, elle a, d’une part, rappelé que les exceptions au contrôle des clauses abusives insérées dans les contrats de consommation étaient d’interprétation stricte. Elle a ajouté, d’autre part, que la clause de désistement n’était ni une clause portant sur la définition de l’objet principal du contrat puisqu’elle n’avait pas pour objet de déterminer « les prestations essentielles du contrat », ni une clause relative à l’adéquation du prix au service offert puisqu’elle ne fixait pas le prix d’une prestation, mais venait « sanctionner une obligation contractuelle ».
Cette clause pouvait donc être examinée sous l’angle du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment du consommateur. En définitive, la convention d’honoraires des avocats est pleinement soumise à la législation consumériste contre les clauses abusives dès lors que le client est un consommateur. Si ce dernier est un professionnel, elle relève alors de l’article 1171 du Code civil, dès lors au moins que la convention peut être qualifiée de contrat d’adhésion (C. civ., art. 1110) et que la clause litigieuse ait été non négociable. En effet, la convention d’honoraires des avocats ne relevant pas de l’article L. 442-1 du Code de commerce, elle reste soumise au droit commun des articles 1110 et 1171 du Code civil (Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782).
Références :
■ Civ. 1re, 25 mars 2010, n° 09-12.294 P : D. 2010. 892 ; AJDI 2010. 911, obs. M. Thioye.
■ Civ. 1re, 16 oct. 2013, n° 12-24.267 : AJDI 2014. 58.
■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-13.407 : D. 2018. 371, obs. M. Mekki.
■ Civ. 2e, 17 févr. 1955, n° 55-02.810 P
■ Civ. 2e, 15 juin 1994, n° 92-18.048 P : RDI 1995. 146, obs. P. Delebecque et P. Simler.
■ CJUE 15 janv. 2015, aff. C-537/13 : D. 2015. 213 ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; D. avocats 2015. 154, obs. D. Landry.
■ CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21
■ Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 B : D. 2022. 539, note S. Tisseyre ; ibid. 725, obs. N. Ferrier ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier.
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