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Le billet

[ 18 février 2019 ] Imprimer

Des ministres responsables !?

Au rythme des « scandales », des voix s’élèvent, régulièrement, pour réclamer la responsabilité des ministres concernés. Un marronnier, une sempiternelle dont on se demande si un jour, elle verra le jour… Un « serpent de mer » selon les propos du Procureur général près la Cour des comptes lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour des comptes le 17 janvier dernier.

On peut se demander si la période actuelle, bousculée par l’actualité des gilets jaunes et l’organisation du Grand débat national, peut favoriser l’apparition d’un tel régime de responsabilité.

La succession des « révélations » pourrait y contribuer.

Pêle-mêle, il suffit d’évoquer les enquêtes concernant les concessions d’autoroute, la privatisation de l’aéroport Toulouse-Blagnac et si l’on remonte un peu, l’arbitrage malheureux opéré dans le cadre de l’affaire Tapie ou encore plus loin, l’affaire des avions renifleurs… La Cinquième République recèle son lot d’affaires qui, indéniablement, témoignent de ce que certaines décisions, prises par certains ministres, ne l’ont pas été à l’avantage des intérêts de la France.

Et à chaque fois que le nom d’un ou de plusieurs ministres a/ont pu être cités, la question de leur responsabilité reprend en intensité.

Les dernières affaires sont symptomatiques.

Les enquêtes menées par certains journalistes sur les conditions en fonction desquelles les autoroutes ont été confiées à des concessionnaires dérangent en ce qu’elles révèlent que les intérêts financiers de la France ont, le plus souvent, été bradés (encore dernièrement, Le Monde, 18 janv. 2019, M. Ferrer). Récemment, c’est le Professeur Cassia qui a rappelé les étapes de cette privatisation (2006, Villepin). S’appuyant sur les différents rapports - en provenance d’horizons diverses (Cour des comptes, Sénat, Assemblée nationale, Autorité de la concurrence) – ayant très clairement établi l’erreur commise par les décideurs de l’époque, il dénonce le vice originel affectant les contrats de concession (Cassia P., Blog). Et l’interrogation se renouvelle alors qu’un nouvel accord, en date du 9 avril 2015, signé entre le ministère de l’économie (2015, Macron) et les sociétés concessionnaires, apparaît couvert par le secret d’affaire, argument avancé pour que cet accord ne soit pas rendu public… La CNIL a été saisie de cette affaire et avait, dès juillet 2015, émis un avis favorable à sa communication. Il apparaît étonnant que cette demande ait donné lieu à un contentieux jusque devant le Conseil d’État qui, saisi de l’affaire en 2016, a finalement sommé le ministère de lui communiquer l’accord, le 3 octobre 2018… Certains ont, fort justement, relevé le temps long mis par le Conseil d’État pour se prononcer (Le Monde, 18 janv. 2019, M. Ferrer, préc.).

Même chose avec la privatisation récente de l’aéroport Toulouse Blagnac laissant supposer qu’un accord secret a été passé entre l’État français et le groupe chinois auquel 49,99 % du capital ont été cédés (2014, Macron). Selon les enquêtes menées, le contrat signé serait très clairement en défaveur de l’État français (Médiapart, 24 janv. 2019, Mauduit L.) et les évolutions récentes laissent supposer que le groupe chinois serait sur le point de revendre ses parts - avec une plus-value de 192 millions d’euros (La Dépêche, 22 janv. 2019), après avoir, durant plusieurs années, procédé à une répartition de dividendes importante entre les actionnaires ayant eu pour effet, de réduire de manière très significative – pour ne pas dire épuiser - les réserves destinées au développement de l’aéroport (Ass. nat., Rapport n° 1255 sur le projet de loi de finances pour 2019, Annexe n° 44, Participations financières de l’État, 11 oct. 2018). C’est également la Cour des comptes qui dans un rapport d’octobre 2018 dénonce l’échec de la privatisation de cet aéroport et les liens « avec la puissance publique chinoise » (C. comptes, Le processus de privatisation des aéroports de Toulouse, Lyon et Nice, oct. 2018, p. 8).

Ces considérations sont, indéniablement, à l’origine de la décision du Sénat de rejeter, le 5 février dernier, dans le cadre de l’examen du projet de loi Pacte pour la croissance des entreprises, les dispositions visant à privatiser l’Aéroport de Paris. Par 246 voix contre 78, le Sénat a adopté l’amendement visant à supprimer ces dispositions. Il est dommage qu’à sa suite, l’Assemblée nationale n’ait pas confirmé ce choix.

Parmi les arguments invoqués devant le Sénat : ne pas offrir de « cadeau » au concessionnaire potentiel et tirer les enseignements du « désastre financier » de la privatisation des autoroutes.

Parmi les arguments avancés par le Gouvernement, la privatisation apparemment réussie des aéroports de Lyon et Nice et l’investissement du produit de ces privatisations dans des obligations dont il est soutenu qu’elles devraient ramener 250 millions d’euros par an à l’État destinés à financer des projets innovants.

Ces derniers arguments apparaissent toutefois de peu de poids dans le contexte actuel et alors que certains précédents, aux effets conséquents, témoignent de graves erreurs commises dans la gestion des intérêts financiers de la France.

Indépendamment de cette actualité, la question de la responsabilité des ministres et plus largement, du Gouvernement, s’illustre trop régulièrement d’affaires à l’occasion desquelles les intérêts financiers de la France ont été sacrifiés.

L’affaire Tapie et l’arbitrage opéré par le ministère chargé de l’économie et des finances de l’époque – qui aura coûté 405 millions d’euros à l’État en est une illustration supplémentaire (Lagarde, 2007). Cas rare, néanmoins, d’une affaire portée jusque devant la Cour de justice de la République qui a condamné, symboliquement, Mme Largarde pour « négligence » - la Cour de justice de la République devait, en effet, décider de dispenser Mme Lagarde de peine, retenant que la « personnalité » de la ministre, sa « réputation internationale » et le fait qu’à la même époque, elle avait eu à gérer une « crise financière internationale », plaidaient en sa faveur (Le Monde, 19 déc. 2016, Affaire Tapie : Pourquoi Christine Lagarde a été condamnée ?, Les décodeurs). Potentiellement, la ministre encourait une peine possible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

A chaque fois, la question se pose de la responsabilité du ou des ministres concernés.

Et puis le temps passe et le problème demeure.

Or il apparaît essentiel que les gestionnaires publics (et pas seulement les ministres) endossent la responsabilité de leur gestion.

L’exemple peut être donné de ces élus locaux qui ont accepté de souscrire des emprunts structurés dont la toxicité est apparue à la suite de la crise de 2007. Les risques pris ont été très importants et bien évidemment, on peut se douter qu’ils n’ont pas agi avec les fonds publics comme ils auraient agi avec leurs propres fonds. La prudence a été trop souvent remisée et c’est d’ailleurs à ce niveau qu’il faut considérer que la responsabilité d’un gestionnaire public doit pouvoir être engagée alors qu’il a, manifestement, commis une erreur de gestion.

Les outils existent mais peinent à être utilisés.

On songe à la Cour de discipline budgétaire et financière – pour ainsi dire inexistante aux yeux du citoyen lambda et même des journalistes. Avec l’inconvénient fâcheux que les ministres ont été exclus de son champ de compétences… Rappelons nous qu’à l’occasion du projet de réforme des juridictions financières initié en 2009, la perspective avait été avancée par l’Assemblée nationale d’étendre le périmètre des justiciables et d’y inclure les ministres… Grave erreur : il n’en fallait pas plus pour que le projet de réforme, sur ce point, tombe aux oubliettes (S. Damarey, L’acte (II) manqué de la réforme des juridictions financières, AJDA 2012. 317).

Alors certes, de manière sporadique, l’idée ressurgit. Ainsi, en 2017, une proposition de loi visait à étendre le champ des justiciables de la CDBF aux membres du Gouvernement à raison des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions (Ass. nat., Proposition de loi déposée par M. Marc Le Fur, 8 août 2017). D’autres options sont également envisageables : le projet de réforme des juridictions financières prévoyait ainsi de supprimer la CDBF et d’étendre le champ de compétence de la Cour des comptes aux gestionnaires publics – et c’est une option envisagée par le Procureur général près la Cour des comptes en janvier dernier, estimant nécessaire une refonte de la responsabilité des gestionnaires publics et, en particulier, des ministres (17 janv. 2019). Confortant son approche, le Procureur général a également pris appui sur le Conseil d’État lequel a pu s’étonner, en avril 2018, qu’alors « que l’on souhaite responsabiliser les agents publics, il peut paraître contradictoire de maintenir un régime qui exonère de toute responsabilité financière les personnes sous l’autorité desquelles ces agents sont placés. C’est pourquoi il est proposé d’engager une réflexion sur le régime de la responsabilité financière de tous les ordonnateurs, y compris les ministres et les exécutifs locaux ».

Et depuis encore, l’enquête menée par Médiapart sur les concessions d’autoroute et le billet d’humeur du Professeur Cassia sur la privatisation de l’aéroport de Toulouse ont encore alimenté la discussion…

Et ensuite ? Et ensuite, il devient urgent que ce « petit monde » comprenne que le temps est venu de concevoir un régime approprié de responsabilité des ministres permettant de sanctionner les fautes de gestion qui leur sont imputables.

Les récentes affaires ne permettent plus de tergiverser : les mondes politique et technocratique et derrière eux cette « élite » ne peuvent plus espérer bénéficier d’une protection que cet entre-soi a trop longtemps favorisé.

Et un sujet de plus dans ce Grand débat !

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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