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Le billet

[ 24 mars 2025 ] Imprimer

Des pensions ou des canons ? Ou en est-on de la réforme des retraites ?

Les évolutions internationales, politiques et sociales ont été ces derniers temps si rapides, qu’on peine à se souvenir de la raison d’entreprendre des réformes engagées seulement quelques semaines auparavant. Telle est la situation aujourd’hui de la discussion sur la réforme de notre système de retraites, dont on parvient difficilement à anticiper les évolutions auxquelles elle pourrait aboutir.

Un retour en arrière peut alors seul nous permettre de comprendre les issues possibles de l’actuel débat sur la réforme des retraites. Pour rappel, à la suite de l’échec, pour raison notamment d’épidémie de COVID-19, d’un premier projet en 2020, le gouvernement d’Élisabeth Borne avait proposé un nouveau texte, promis, selon les motifs du projet de loi à « assurer la pérennité financière du système de retraite », en particulier par le passage de l’âge minimal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Le texte, on s’en souvient, avait suscité l’opposition des syndicats, et occasionné nombre de manifestations. Mais l’encre de la réforme n’était pas encore sèche, que les politiques se rendirent compte que, malgré un impact important sur les travailleurs, la réforme ne répondait que médiocrement à l’objectif de remédier au déficit du financement de notre système de retraite. En quête d’une majorité face à la division du Parlement, François Bayrou, actuel premier ministre, a proposé lors de son discours d’investiture, de lancer une nouvelle réforme, en soulignant la nécessité de combler les déficits. Il proposait de « rechercher une voie de réforme nouvelle, sans aucun totem et sans aucun tabou, pas même l'âge de la retraite, à condition qu'elle réponde à l'exigence fixée ». À rebours de la réforme précédente, il proposait de prendre en compte les propositions des partenaires sociaux « pour que la réforme soit socialement plus juste et cependant équilibrée ».

Les partenaires sociaux furent alors invités à se réunir en « conclave », terme inusité dans la sphère sociale, qui lui préfère habituellement ceux de « négociation collective » ou de « concertation ». Son étymologie renvoie à l’idée d’une pièce qui ferme à clé (con -clavis), ce qui laissait entendre que les partenaires sociaux étaient invités à rechercher des solutions adaptées à l’abri des bruits de la cité. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils se sont rapidement engagés dans des débats qui n’évoquent que de loin la subtile sérénité que l’on pourrait prêter aux conclaves.

Les partenaires sociaux ont en premier lieu dû prendre en compte la situation financière, sur le fondement d’un rapport spécial de la Cour des comptes, projetant l’augmentation des déficits à compter de 2030, pour atteindre en 2045 un montant de 30 milliards d’euros. Prévision très hypothétique dans le présent contexte. La pression sur les finances des régimes de retraites s’accentua encore à la faveur de la dégradation de la situation internationale, exigeant de l’Europe qu’elle investisse massivement dans sa défense, rendant plus urgente la lutte contre les déficits des comptes sociaux. D’aucuns se sont emparés du sujet pour faire valoir que la quête des crédits pour la défense rendrait déjà illusoire toute idée de réforme qui ne passerait pas par de nouvelles coupes dans les dépenses sociales et l’allongement de l’âge de départ à la retraite. Dans ce contexte, les dissensions entre les partenaires sociaux ne pouvaient que s’accentuer. Certains syndicats ont déjà menacé de quitter les discussions. Le Premier ministre, de son côté n’a pas réussi longtemps à se tenir à l’écart des débats, en faisant savoir qu’il lui paraissait impossible de revenir à un âge de retraite à 62 ans.

Les semaines à venir promettent donc des débats très compliqués sur les paramètres à mobiliser pour améliorer les comptes (âge de départ à la retraite, durées de cotisations, dérogations en faveur des « carrières longues », sort des avantages familiaux ou des réversions en cas de décès de l’assuré), et il faut craindre que les partenaires sociaux, pas plus que les parlementaires, ne parviennent à trouver la clé d’une réforme qui serait à la fois socialement juste et efficace face à la dette sociale.

Pas plus que quiconque, nous ne pourrions proposer de pistes pour une recette miracle qui, de toute évidence n’existe pas. Tout au plus pourrait-on, sur ces questions, apprendre de notre histoire. Il n’existe, en période de transition démographique aucune formule magique qui permettra de trouver la solution miracle. Jean-Jacques Dupeyroux, avec son sens inégalé de la formule, avait déjà raillé « réformes paramétriques » qui se contentent de déplacer des bornes d’âge (J. J. Dupeyroux, Le temps qui reste, Droit social 2011 p.239). La solution ne saurait non plus venir de la promesse de changer complètement le système, en passant de notre retraite par répartition (où les actifs financent directement les retraités) à une retraite par capitalisation (où chacun économise pour son futur) : l’évolution démographique ne permettra pas de financer en plus des retraites actuelles celles des futurs retraités. Et, pour ce qui est de l’horizon d’une défense européenne, il s’agit d’une question qui n’a aucun rapport avec la protection sociale. Les nations européennes ne peuvent s’engager massivement dans la construction d’un avenir commun que si cela ne détruit pas leurs modèles sociaux.

Les solutions sont en réalité bien connues : elles passent par des réformes négociées et fines des différents mécanismes existants pour les rendre plus équitables, par une meilleure répartition des fruits de la croissance économique, qui doivent contribuer au financement de la protection sociale, et surtout par une évolution profonde des conditions de travail et d’emploi, permettant de maintenir l’emploi lorsque cela est possible, et de rendre plus attractif le travail.

Les éléments du contexte que nous avons rappelé ne peuvent malheureusement que faire douter que l’on puisse, dans un futur proche, trouver des solutions véritables.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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