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Le billet
Des professions libérales… pas si libérées
En épluchant comme chaque lundi ma revue juridique rouge préférée, je suis tombé sur un arrêt de la Cour de cassation validant une réglementation du conseil de l’ordre des avocats de Lille, interdisant le port, avec la robe d’avocat, de tout signe ostensible d'appartenance religieuse ou politique. Adieu voiles, kippas, croix, turbans et autres atours religieux pour les avocats, dès lors qu’ils prennent part à une audience juridictionnelle et portent donc la robe (Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-20.185).
Premier sujet d’étonnement, la manière un tantinet orientée de titrer, inhabituelle venant de la rédaction de l’AJDA : « Un barreau peut interdire le voile aux avocates ». Non. À en croire l’arrêt reproduit sur le site de ladite revue, le barreau de Lille avait modifié son règlement intérieur de la façon suivante : « l'avocat ne peut porter avec la robe ni décoration, ni signe manifestant ostensiblement une appartenance ou une opinion religieuse, philosophique, communautaire ou politique ». Ce n’est donc pas « le voile » qui est interdit expressément, encore moins aux « avocates ». Si telle avait été le cas d’ailleurs, il y aurait eu une flagrante discrimination, illégale.
Ce biais vient peut-être des moyens développés par l’élève avocate à l’origine de l’affaire, et notamment : une disposition qui ne serait « pas nécessaire ni proportionnée dans une société démocratique », une violation des articles 14 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit de ne pas subir de discriminations dans la jouissance des droits reconnus par ladite Convention), 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (interdiction de toute discrimination) et 26 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (idem), et enfin une application « disproportionnée aux femmes musulmanes », soit des griefs – à part le premier – très centrés sur le voile et les femmes.
La Cour de cassation a ramené les choses à leur juste mesure : « les avocats sont des auxiliaires de justice qui, en assurant la défense des justiciables, concourent au service public de la justice » ; l’obligation de « revêtir un costume uniforme contribue à assurer l'égalité des avocats et, à travers celle-ci, l'égalité des justiciables, élément constitutif du droit à un procès équitable ». En des termes plus administrativistes, on ajoutera que l’avocat se doit de respecter la neutralité et le caractère laïc du service public de la justice. La robe est donc l’équivalent d’un uniforme, obligatoire dans le cadre du service public, et on ne saurait l’y adjoindre un quelconque accessoire religieux ou politique. Ce qui concerne les hommes (kippa, soutane, turban) autant que les femmes (voile).
Qu’en est-il des barbes ? La jurisprudence est incertaine en la matière. Le Conseil d'État a par exemple admis de longues barbes arborées par des praticiens étrangers stagiaires à l’hôpital (CE 12 février 2020, n° 418299), infirmant la décision du juge du fond (CAA Versailles, 19 déc. 2017, n° 15VE03582).
Autre question : quelle est la portée de cette décision de la Cour de cassation ? Assurément, l’avocat peut arborer tout signe religieux lorsqu’il reçoit ses clients en son cabinet par exemple. L’interdiction ne vaut qu’en cas d’exercice devant une juridiction. Qu’en est-il des visites de clients en prison ? Qu’en serait-il d’un huissier qui contribuerait à une mesure d’exécution d’une décision de justice (par exemple une saisie immobilière) ? Du médecin appelé par les services de police pour constater un décès ? D’un expert judiciaire menant une expertise contradictoire dans un chantier en raison de malfaçons ? Du vétérinaire sanitaire libéral menant une mission de police sanitaire animale en vertu du code rural (C. rur., art. L. 203-7 et L. 203-8) ?
On pourrait multiplier les exemples de professionnels libéraux appelés à participer à des missions de service public voire de police, et tenus à ce titre de se conformer au principe de neutralité du service public. Libérales et indépendantes, ces professions ne le sont donc que pour autant qu’elles ne s’exercent pas dans le cadre d’une mission de service public.
Références :
■ Civ. 1re, 2 mars 2022, n° 20-20.185 B : AJDA 2022. 432.
■ CE 12 février 2020, n° 418299 B : AJDA 2020. 374 ; ibid. 1076, note J. Guilbert ; D. 2020. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane ; AJFP 2020. 166, comm. A. Zarca ; AJCT 2020. 437, obs. M. Bahouala ; ibid. 348, Pratique M. Bahouala ; Dr. soc. 2021. 232, étude J. Mouly.
■ CAA Versailles, 19 déc. 2017, n° 15VE03582 : AJFP 2018. 160, comm. A. Zarca ; AJCT 2018. 613, Pratique M. Bahouala.
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