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Dialogue entre le Conseil constitutionnel et le Parlement sur fond de législation antiterroriste et d’État de droit
C’est encore grâce à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que le Conseil constitutionnel s’est prononcé pour la seconde fois cette année sur le délit de consultation des sites internet terroristes. Dans les deux décisions, il a censuré la rédaction de l’article. Il incite ainsi le législateur à « revoir sa copie » mais surtout, à repenser la lutte contre le terrorisme en tenant bien compte des moyens de droit existant, déjà fort nombreux. Ne voyons donc pas ces deux censures comme une « hérésie » mais plutôt comme le retour à un dialogue entre législateur et juge constitutionnel qui ne peut être que constructif pour l’État de droit et la démocratie.
Dans une volonté de lutter contre la propagande terroriste et de prévenir l’endoctrinement d’individus susceptibles de commettre de tels actes, le législateur a introduit un délit de consultation des sites internet terroristes à l’article 421-2-5-2 du Code pénal par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 . Cette disposition permettait de punir de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende, le fait de « consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie ». Elle prévoyait néanmoins une exception lorsque la consultation était faite de « bonne foi » dans le cadre de l’exercice de sa profession, de recherches scientifiques ou afin de servir de preuve en justice.
Saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a, par décision du 10 février 2017 (n° 2016-611 QPC, M. David P.), censuré le nouvel article du code pénal en ce qu’il portait une atteinte à l’exercice de la liberté de communication qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée (§ 16). La déclaration d’inconstitutionnalité entraînant une abrogation de l’article à compter de la date de la publication de la décision, le législateur a réagi très vite pour combler le vide juridique ainsi créé.
Profitant de la discussion du projet de loi relative à la sécurité publique, c’est par le biais d’un amendement introduit en commission mixte paritaire par un sénateur de l’opposition – donc si tardivement dans le processus législatif que sa constitutionnalité aurait pu en être entachée – que quelques jours seulement après avoir été censuré, l’article 421-2-5-2 a été réintroduit dans le Code pénal. Certes, le législateur a essayé de tenir compte des motifs avancés par le Conseil constitutionnel en prenant le soin de préciser que, pour être punie, la consultation habituelle des sites terroristes devait désormais être faite « sans motif légitime » et être accompagnée d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ces sites. Pour autant, et sans doute dans la rapidité de la réaction, la réflexion parlementaire n’est pas allée plus loin dans l’analyse de la décision d’inconstitutionnalité au point d’ailleurs de remettre en cause le respect de l’autorité de choses jugée de cette dernière.
Il aura donc fallu une seconde saisine du Conseil constitutionnel, toujours par renvoi de la Cour de cassation d’une QPC sur l’article 421-2-5-2 dans sa nouvelle version, pour permettre au juge constitutionnel de répéter, pour l’essentiel, sa première décision.
Par décision du 15 décembre 2017 (n° 2017-682 QPC, , M. David P.), le Conseil constitutionnel a rappelé – comme en février – que le droit antiterroriste était déjà bien fourni pour prévenir la commission d’actes de terrorisme tant en raison du nombre d’infractions pénales en vigueur, que dans l’étendue des pouvoirs des magistrats et enquêteurs pour procéder à des mesures d'interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d'images et de captation de données informatiques » (§ 8) mais aussi à travers l’extension des pouvoirs de l’autorité administrative et des mesures de contrôle et de surveillance que cette dernière peut mettre en œuvre. Le Conseil constitutionnel cite à juste titre en décembre, la récente loi du 30 octobre 2017. Ainsi, excluant la nécessité de l’atteinte portée à la liberté de communication par la nouvelle rédaction de l’article, le Conseil constitutionnel poursuit son raisonnement en en contestant ensuite l’adaptation et la proportionnalité. Pour ce faire, il se fonde sur le fait que le législateur n’a toujours pas pris en compte l’intention terroriste comme élément constitutif de l’infraction et n’a pas encadré avec suffisamment de précision l’étendue de l’exception des poursuites (pour « motif légitime »).
C’est donc avec calme et fermeté que le Conseil constitutionnel répond à ce que l’avocat de la Ligue des droits de l’homme, François Sureau, lors de sa plaidoirie, a qualifié « d’obstination parlementaire déraisonnable » et, in fine, encadre le développement de la lutte contre le terrorisme. Il nous semble que le juge constitutionnel fait ici preuve de bon sens puisqu’il ne dit pas que cette lutte ne doit pas être menée mais au contraire, qu’elle doit l’être sur la base des moyens de droit existants, déjà fort nombreux.
Pour conclure, cette décision nous permet d’une part, de nous réjouir de l’introduction de la QPC dans notre ordre juridique en ce qu’elle permet de contourner tout consensus politique visant à évincer la saisine du Conseil constitutionnel dans le cadre d’un contrôle a priori, comme cela a été majoritairement le cas lorsqu’il s’est agi de loi relative à la sécurité. D’autre part, elle nous rappelle le rôle primordial des juges dans le fonctionnement des États devant arbitrer le dilemme sécurité/liberté: « En matière de sécurité publique notamment, le processus politique risque d’être trop réactif face à l’urgence des préoccupations populaires, amenant les autorités à dissiper les craintes du plus grand nombre au détriment des droits de quelques‑uns. C’est précisément là où les juridictions doivent intervenir, afin de veiller à ce que les nécessités politiques d’aujourd’hui ne deviennent pas les réalités juridiques de demain. Leur responsabilité est de garantir que ce qui peut être opportun d’un point de vue politique à un moment donné est également conforme à la prééminence du droit, sans quoi aucune société démocratique ne peut, à long terme, prospérer véritablement. » (Conclusions de l’Avocat général de la CJCE dans l’affaire Kadi du 3 sept. 2008, C-402/05 P).
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