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Discours sur l'abstention électorale
Il est des mots qui en Français peuvent dissimuler leur pluriel. Discours est de ceux-là. Car il s'agit bien ici d'évoquer LES discours que l'on a pu entendre au cours de ces dernières semaines sur l'abstention électorale et non de prononcer UN discours sur ce sujet.
Le fait qu'un citoyen inscrit sur les listes électorales n'exerce pas le droit de vote qui lui est conféré, puisque c'est bien ainsi que l'on peut définir l'abstention électorale, est par définition un acte discret : ne pas faire produit en la circonstance moins d'effets que faire, et laisse moins de traces, à l'exception de deux : l'absence de signature sur la liste d'émargements et de tampon sur la carte d'électeur.
Surtout, cette abstention n'a pas à être justifiée de sorte que tous les discours que l'on peut tenir sur ses motivations sont nécessairement fragilisés par cette difficulté à en saisir la portée.
C'est la raison pour laquelle les spécialistes (entendez les politistes, les constitutionnalistes, les sondeurs et le personnel politique, naturellement...) essayent de faire parler l'abstention, de donner une voix à cette expression muette (donner une voix à ceux qui ne veulent pas donner leur voix, voilà un bien singulier paradoxe).
Ces discours sur le silence présentent cette caractéristique commune d'être partagés entre le respect du non-usage du droit de vote (on « comprend », on « explique », l'abstention électorale) et une forme de mépris déguisé (on « n'a pas su expliquer », les questions « sont trop complexes »…) à l'égard d'un citoyen qui serait apte à ne comprendre que des discours simples sur des choses simples.
Ces discours sont encore fondés sur l'utilisation de clichés : « la montée de l'abstention », qui n'a « jamais été aussi forte », est un discours construit sur les mêmes structures que le réchauffement climatique : un phénomène fatal et inexorable avec un arrière-plan de culpabilité du locuteur qui en est partie prenante.
Autre cliché que celui qui repose sur les « mobilisations » différenciées des différents électeurs : « il nous faut mobiliser notre électorat », « nous avons su mobiliser notre électorat », comme si l'électorat était une sorte d'armée ou d'équipe qui ne s'ébranlerait que si on lui donnait une impulsion convenable.
On le mesure bien, tous ces discours sont de pures supputations. Ils appliquent à l'abstention les mêmes schémas que les sondeurs appliquent aux « intentions » qu'ils tentent d'obtenir des sondés. Ils n'offrent donc qu'une valeur explicative faible, et fort aléatoire de la réalité, de la nature et des intentions de l'abstention.
En revanche ces discours parlent davantage de ceux qui les émettent : de l'incompréhension face à la dénégation d'un droit, du désarroi face à un refus d'adhérer à une proposition, de la frustration face à l'insaisissable silence du citoyen.
Ils sont donc essentiellement l'expression de l'incompréhension des élites politiques face à la rupture du lien avec les citoyens.
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