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[ 7 novembre 2012 ] Imprimer

Doing business 2013 : dans la chasse à l'efficacité la France perd sa place !

Le nouveau cru du Rapport Doing business a été dévoilé ce mardi 23 octobre 2012 (Rapport Doing business : Des réglementations intelligentes pour les petites et moyennes entreprises). La France est passée du 26e rang en 2011, au 29e en 2012, au 34e cette année (classement 2013), très loin donc derrière Singapour, Hong-Kong et la Nouvelle-Zélande. Faut-il s'inquiéter de cette position de la France dans ce classement mondial ?

Avant de s'interroger sur la consistance du 10ème rapport 2013, encore faut-il revenir sur la pertinence d'un tel système d'évaluation et de classification des systèmes juridiques.

Les rapports Doing business sont des études publiées sous la responsabilité de la Banque Mondiale et de l'IFC (International Finance Corporation). Le premier d'entre eux a été publié en 2004. L'objet de ce programme est d'analyser et d'évaluer chaque année l'environnement juridique dans lequel les entreprises exercent leurs activités. Il s'agit a priori d'une méthode explicative. L'objet premier de ce programme est de collecter des informations et de décrire les différents systèmes juridiques existants. De manière plus audacieuse, ce programme a pour ambition d'évaluer ces différents systèmes, méthode du benchmarking (méthode d'évaluation de choses semblables), de les classer et de les hiérarchiser, hiérarchie censée orienter les investisseurs dans le monde. Le programme prend pour postulat qu'il faut avant toute autre chose encourager le développement économique et favoriser les droits du créancier, quelle que soit d'ailleurs la nature de son comportement à l'égard du débiteur. Il s'agit de la première faiblesse du programme qui prend pour fin le développement économique et adopte alors incidemment une méthode dite normative. Pour procéder à cette évaluation, l'équipe du programme Doing business évince la méthode des sciences sociales. Ces sciences ne seraient capables que d'une vérification a posteriori. En revanche, l'économétrie permettrait de réaliser des tests comportementaux sans mener une expérimentation in vivo. L'aspect prédictif de l'analyse économique apparaît ici manifeste.

Les critiques à l'encontre des rapports Doing business méritent d'être rappelées. L'économétrie comporte des limites dont les utilisateurs ignorent ou feignent d'ignorer l'existence. D'une part, « le droit est trop humain pour être appréhendé sous la seule forme d'équations abstraites et pour être élaboré par le biais d'une modélisation économique désincarnée, vecteur de pensée unique » (M. Grimaldi ( dir.), Les droits de tradition civiliste en question. A propos des Rapports Doing Business de la Banque Mondiale, Association Henri Capitant, Société de législation comparée, vol. 1, 2006, p. 114). D'autre part, la méthode économétrique peut établir une corrélation entre les évènements mais ne permet pas d'établir une causalité. Enfin, au fond, le Rapport Doing business caricature à l'extrême le système juridique des pays de civil law pour mieux valoriser les pays de common law. Un système légicentriste, de droit écrit, réformant à tour de bras tel que la France serait peu efficient. Un système jurisprudentiel et réaliste tel que celui des pays de common law serait mieux adapté. Or, le droit français ne se réduit pas à la loi. Les juges et diverses autorités y jouent un rôle important. Dans les pays de common law, la loi n'est pas non plus absente lorsqu'elle sert souvent à réaliser des réformes de grande ampleur. En outre, est-il encore réaliste d'opposer les systèmes de common law et de civil law dans un contexte de globalisation en général, et d'européanisation, en particulier ?

Le Rapport 2013 se situe dans la même veine que ses prédécesseurs, malgré quelques petits changements Ainsi, alors que l'on croyait que le dynamisme économique était le quasi-monopole de l'Asie, l'Europe orientale est la bonne élève de cette année. En particulier, la Pologne est la championne de l'année 2013, en facilitant l'inscription sur les registres de propriété, en allégeant le paiement des impôts, en consolidant le droit des contrats et en réformant le droit des « faillites ». D'une manière générale, selon le rapport 2013, les entreprises peuvent, mieux qu'il y a dix ans, faire des affaires grâce notamment au grand nombre de réformes qui sont intervenues pendant cette décennie (près de 2000). La région d'Europe de l'Est et celle d'Asie centrale sont celles qui ont enregistré le plus grand nombre de réformes. Si les chiffres avaient un sens en voici quelques-uns : depuis 2005, le temps moyen pour créer une entreprise est passé de 50 à 30 jours. En l'espace de huit ans, le temps moyen pour effectuer un transfert de propriété est passé de 90 à 55 jours et on a réduit de 54 heures en moyenne le temps annuel nécessaire pour payer l'impôt sur le revenu des entreprises, la taxe sur la valeur ajoutée ou taxe sur les ventes et les impôts liés à l'emploi. La rapidité et la simplicité semblent être les principaux critères d'évaluation, ce qui est manifestement discutable. Pour la France, tout n'est pas noir pour autant car le rapport 2013 place la France au 8ème rang des droits facilitant l'exécution des obligations contractuelles. Elle a également gagné une place dans la catégorie « transfert de propriété » qui mesure « la facilité qu'ont les entreprises à enregistrer leurs titres de propriété », en se plaçant au 146ème rang gagnant ainsi une toute petite place.

Malgré les critiques formulées à l'encontre de ces méthodes d'évaluation, et de façon paradoxale, le droit français se laisse séduire par les sirènes de l'analyse économique. En effet, nombre de solutions jurisprudentielles et de projets de réformes n'hésitent plus à brandir la carte de l'efficacité économique aussi bien en droit public qu'en droit privé. Il est désormais question de new public management en droit administratif (A. Bartoli, Le management dans les organisations publiques, Paris, France, Dunod, 2005), de politique de management en matière judiciaire (T. Kirat, E. Serverin, L'allocation des moyens en fonction de la performance : les limites du modèle issu de la LOLF pour le financement et l'administration de la justice, Annales de la régulation, Institut André Tunc). La politique criminelle est orientée par la recherche d'une plus grande efficience économique (G. Royer, L'efficience en droit pénal économique. Etude de droit positif à la lumière de l'analyse économique du droit, Préf. Fr. Stasiak, LGDJ, coll. Droit et économie, 2009). La propriété intellectuelle s'adonne aux vertus de l'analyse économique (M. Vivant, Economie et droit ou une interrogation sur les lois : le point de vue du juriste, P.A., 2005, n° spécial du 19 mai 2005, p. 75 et s.). Le droit de la responsabilité n'est pas en reste (M.-A. Frison-Roche (dir.), Responsabilité et régulations économiques, Dalloz, Thèmes et commentaires, 2007). On peut également évoquer les terrains privilégiés que sont le droit boursier, le droit de la concurrence et le droit des sociétés. Le législateur et les juges (G. Canivet, La pertinence de l'analyse économique du droit : le point de vue du juge, in P.A. 19 mai 2005, op. cit., p. 23 et s.) prennent également plaisir à user de cette méthode d'analyse du droit.

A la chasse à l'efficacité, la France perd donc encore des places. Faut-il le déplorer ou au contraire s'en réjouir ? Si le droit est l'art du bon et du juste, il faut crier victoire car le critère de l'efficacité économique, du moins tel qu'il est mis en œuvre par le rapport Doing business, est insuffisant pour évaluer un système juridique dans son ensemble. Comme le faisait si bien observer Michel Grimaldi : « Si l'analyse économique du droit peut et doit être une source d'inspiration et de réflexion pour le juriste, au même titre que la sociologie, la philosophie ou la démographie, elle ne saurait prétendre à l'hégémonie, ni s'ériger en nouveau veau d'or. On ne cèdera donc pas ici aux sirènes du « tout économique » et de la « caution scientifique » offerte par les calculs économétriques, impressionné qu'il faudrait l'être par une accumulation de chiffres et de diagrammes... » (M. Grimaldi (dir.), Les droits de tradition civiliste en question..., op. cit., spéc. p. 10). A méditer !

 


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