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[ 6 novembre 2017 ] Imprimer

Du nouveau pour le contrôle budgétaire des chambres régionales des comptes

Alors que l’attention se focalise sur les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2018, une autre loi financière mérite un détour appuyé : la loi de programmation des finances publiques 2018-2022.

Cinquième du genre, cette loi de programmation a pour objet de définir les orientations pluriannuelles des finances publiques et s’inscrit dans l’objectif d’équilibre des comptes des administrations publiques (Const. 58, art. 34). C’est également cette loi qui fixe l’objectif à moyen terme des administrations publiques mentionné à l’article 3 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). A cet effet, la loi de programmation détermine, en vue de la réalisation de cet objectif et conformément aux stipulations de ce traité, les trajectoires des soldes structurels et effectifs annuels successifs des comptes des administrations publiques, ainsi que l’évolution de la dette publique. La loi de programmation doit également envisager l’évolution des dépenses publiques avec des précisions apportées sur les dépenses de l’État (identifiées par mission), sur la fixation des objectifs de dépenses de la sécurité sociale (dont les dépenses d’assurance maladie – Ondam) ainsi que sur l’objectif d’évolution des dépenses locales (Odedel).

Ponctuellement, et c’est le cas avec la prochaine loi de programmation, une telle loi peut apporter des modifications parfois substantielles aux cadres juridiques d’exécution voire de contrôle de l’exécution des finances publiques.

L’article 24 de cette prochaine loi de programmation prévoit ainsi d’insérer un article L. 1612-14-1 au sein du Code général des collectivités territoriales et d’ajouter ainsi une sixième hypothèse de contrôle budgétaire (budget non adopté dans les délais, budget en déséquilibre, compte administratif non adopté dans les délais, compte administratif en déséquilibre, dépense obligatoire non inscrite au budget). 

Cette sixième hypothèse est le fruit du constat des difficultés importantes rencontrées par certaines collectivités territoriales en matière d’endettement. Alors que la crise des dettes souveraines a mis en évidence la toxicité de certains emprunts contractés – avec une augmentation considérable de la charge de la dette contractée pour certaines d’entre elles. Ainsi Clermont-Ferrand, qui pour un emprunt de 61,37 millions d’euros, a enregistré un surcoût de 15,72 millions d’euros soit un ratio de 25,61 %. Avec parfois des exemples édifiants comme la commune de Quiberon qui avait contracté un emprunt de 3,65 millions d’euros et qui a enregistré un surcoût de 2,56 millions d’euros soit un ratio de 70,02 % (chiffres 2009, Dexia, Carte des emprunts structurés dits « toxiques »).

La Charte Gissler (févr. 2009) a permis de mettre en évidence le niveau de toxicité des emprunts contractés (Éric Gissler, inspecteur général des finances, a été nommé médiateur pour les emprunts toxiques des collectivités territoriales en nov. 2009). 

Cette charte, dite « de bonne conduite entre les établissements bancaires » et les collectivités locales, en date du 7 décembre 2009, identifie les emprunts à risques en opérant par classement alphanumérique de A1 à F6 – à la manière d’une bataille navale dont certaines collectivités peinent à se relever…

Des situations d’endettement que les chambres régionales et territoriales des comptes sont amenées à apprécier dans le cadre de leurs compétences d’examen de la gestion publique locale. Dans l’idéal, cet examen peut conduire la chambre à constater une épargne conséquente dégagée par la collectivité pour le financement de ses investissements et un faible niveau d’endettement au regard de ses capacités de remboursement (CRC Aquitaine, Poitou-Charentes, 27 mars 2015, Cne de Soorts-Hossegor).

Pour d’autres gestions contrôlées, la chambre régionale des comptes ne peut que constater, alors que la capacité d’autofinancement de la collectivité est négative, que cette dernière est entièrement dépendante de l’emprunt pour le financement de ses projets. Une situation qui conduit la chambre à préconiser « une grande prudence dans la détermination du niveau de ses dépenses d’investissement pour les années à venir » (CRC Bourgogne-Franche-Comté, 7 févr. 2017, Cne de Saint-Claude).

Les problèmes rencontrés par plusieurs collectivités avec des emprunts structurés qui se sont révélés toxiques conduisent désormais les chambres régionales des comptes à analyser la dette locale en appréciant le niveau de risque encouru par la collectivité. Le plus souvent, cette analyse conduit à distinguer les emprunts en fonction de la charte Gissler comme l’illustre le contrôle porté sur la commune de Beaune (CRC Bourgogne, Franche-Comté, 16 juill. 2014, Cne de Beaune). En conclusion de son examen, la chambre régionale des comptes estimait nécessaire d’attirer « l’attention de la ville de Beaune sur le risque que représentent les produits structurés, par essence spéculatifs, qu’elle a contractés. Elle considère que les risques volontairement courus à moyen terme par la commune ne trouvent pas leur justification dans une situation financière difficile et qu’un tel choix s’analyse comme un pari sur l’évolution d’indices ou de valeurs économiques sans lien avec l’activité de l’emprunteur. Cette démarche spéculative ne relève ni des compétences de la ville, ni de l’intérêt général et, de ce fait, est critiquable ».

Les dispositions envisagées avec le projet de loi de programmation des finances publiques apparaissent plus coercitives – que de simples observations formulées dans le cadre de l’examen de la gestion, dénuées d’impact juridique immédiat.

Elles conduisent à établir un ratio d’endettement par collectivité territoriale – défini comme le rapport entre l’encourt de dette à la date de clôture des comptes et la capacité d’autofinancement brute de l’exercice écoulé. Un ratio apprécié au travers de plafonds nationaux de référence en fonction desquels la situation d’endettement de la collectivité pourra nécessiter la mise en œuvre d’une procédure de contrôle budgétaire. 

Alors que ce ratio apparaît supérieur au plafond national de référence, l’ordonnateur de la collectivité concernée, est tenu de présenter à l’assemblée délibérante un rapport établissant notamment une trajectoire de réduction de l’écart avec le plafond national de référence. Ce rapport doit être approuvé par délibération motivée. En son absence, le représentant de l’État est tenu de saisir, dans un délai d’un mois, la chambre régionale des comptes. Même chose s’il estime que le rapport ne comporte pas des mesures de nature à respecter l’objectif d’atteinte du plafond national de référence.

Saisie, la chambre régionale des comptes doit rendre un avis comportant une analyse sur la situation financière de la collectivité territoriale ou du groupement et des recommandations de nature à lui permettre d’atteindre cet objectif. 

Une procédure qui se poursuit, de manière plus coercitive, dans l’hypothèse où le représentant de l’État constate que les objectifs prévus ne sont pas atteints. Les recommandations de la chambre régionale des comptes se font alors plus incisives et induisent que le budget primitif afférent à l’exercice suivant lui soit transmis, par le représentant de l’État. Si lors de l’examen de ce budget, la chambre régionale des comptes constate que la collectivité territoriale ou le groupement n’a pas pris des mesures suffisantes, elle propose, dans un délai de deux mois, les mesures nécessaires au représentant de l’État qui règle le budget et le rend exécutoire. S’il s’écarte des propositions formulées par la chambre régionale des comptes, il doit assortir sa décision d’une motivation explicite.

On le comprend, ces dispositions révèlent une fermeté certaine dans le traitement à réserver désormais aux situations d’endettement des collectivités territoriales et de leurs groupements. Ainsi que le précise l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, l’objectif est d’introduire une « règle prudentielle » permettant de contenir les situations d’endettement locales. Cette règle a vocation à s’appliquer aux collectivités territoriales les plus importantes (régions, départements et communes de plus de 10 000 habitants et EPCI de plus de 50 000 habitants).

Ce dispositif vise à inciter les collectivités concernées « à prendre les mesures appropriées leur permettant une meilleure maîtrise de leur situation financière ». Il est également basé sur une logique d’alerte et d’engagement des collectivités qui n’entraîne un mécanisme plus contraignant que lorsque la collectivité n’a pas pu rétablir son ratio d’endettement. Il s’agit, en effet, « de responsabiliser les collectivités sur l’enjeu de leur situation financière et la mise en place d’une stratégie financière pluriannuelle fondée sur une politique d’endettement soutenable ». 

Il convient de saluer un dispositif déclenché en deux temps – dont le caractère contraignant n’apparaît que lorsque la collectivité fait preuve de réticence, de mauvaise volonté voire d’inconscience… il apparaît toutefois regrettable que ce dispositif n’ait vocation à être déclenché qu’à partir d’un seuil de 10 000 habitants pour les communes – alors que la situation d’endettement constatée au sein de communes de moindre importance démographique, pourrait, de la même manière, justifier que l’État s’en préoccupe et se substitue, le cas échéant, aux pouvoirs locaux.

Si l’explication réside dans le fait de ne pas vouloir alourdir encore les chambres régionales des comptes, de compétences pour lesquelles il va lui falloir dégager le temps et les moyens humains et matériels à sa réalisation – elle apparaît de peu de poids alors que par ailleurs, à l’occasion de l’examen de la gestion publique locale, la chambre régionale des comptes a déjà un état de la situation financière de la collectivité et lui a, peut-être, formulé des recommandations pour améliorer sa situation d’endettement. Au surplus, l’impression domine d’un problème d’endettement local relativement circonscrit qui ne devrait pas peser, de manière significative, sur l’activité des chambres régionales des comptes. Et si tel devait être le cas, la solution à trouver ne peut résider dans le choix d’une saisine à géométrie variable dépendant de ce seul paramètre tenant au nombre d’habitants…

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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