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Du statut juridique des animaux
Les juristes de tradition romano-germanique sont des faiseurs de système. Ils créent des catégories juridiques dotées d’un régime spécifique. L’opération de qualification permettra par la suite de classer les faits dans les catégories adéquates afin de leur appliquer les règles correspondantes.
Les lunettes du juriste français ne lui permettent ainsi de distinguer, dans le monde qui l’environne, que deux grandes catégories : les personnes d’une part, et les choses, de l’autre. Nombreux sont ainsi ceux qui s’offusquent, a priori, qu’en droit, un animal soit une chose. Il n’en reste pas moins, qu’au sein des choses, les animaux sont dotés d’un embryon de régime juridique distinct.
D’abord, le Code rural et de la pêche maritime consacre un chapitre entier à la « protection des animaux », et dispose dans son article L. 214-1 que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (on appréciera au passage la laideur de la formulation : « …étant un être sensible doit être… »).
Ensuite, le Code pénal dans son article 521-1 punit « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité », de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (v. aussi C. rur., art. R. 214-17 s.). Il faut d’ailleurs noter que le législateur a refusé de classer cette infraction dans le Livre consacré aux « crimes et délits contre les biens ». L’article 521-1 figure en effet dans un Livre cinq consacré aux « autres crimes et délits ». Il ne faut toutefois pas en déduire que, pour le droit pénal, l’animal n’est pas un bien. Si tel était le cas, il ne serait en effet pas possible de réprimer le vol d’un animal.
La prise en compte de la souffrance animale est donc une problématique connue du droit français. Un chat est un bien, au même titre qu’une table. Toutefois, le pouvoir que peut exercer le propriétaire sur le chat, n’est pas le même que celui qu’il possède sur la table. Plus précisément, si le propriétaire peut détruire sa table (abusus), il n’a pas le droit de tuer son chat.
La question n’est donc pas tant de savoir s’il existe un statut de l’animal en droit français, mais plutôt de s’interroger sur le point de savoir s’il faut accroître la protection des animaux, et surtout, comment. Par exemple, doit-on interdire certaines formes d’élevage ou certaines techniques de pêche ? Doit-on bannir, purement et simplement, l’utilisation d’animaux vivants à des fins scientifiques (v. C. rur., art. R. 214-87 s.) ?, etc.
Pourtant, loin de se poser ces questions difficiles, les différents législateurs se contentent d’effet d’annonce en jetant de la poudre aux yeux des citoyens. Le tour de « passe-passe » consiste à introduire de belles (mais inutiles) déclarations de principe en faisant croire aux électeurs qu’il y a là une avancée majeure et que leurs préoccupations, ô combien légitimes, ont été entendues.
Deux épisodes, qui éclairent d’un jour nouveau cette tendance, doivent être relatés.
Le premier a pris la forme d’un amendement au projet de loi de simplification et de modernisation du droit et des procédures, proposé le 15 avril 2014, et destiné à introduire dans le Code civil un article 515-14. Cet article, dans la version actuelle du texte, énonce que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » et que, « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels ». Cette modification, ainsi que celles qui visent à modifier d’autres articles relatifs au droit des biens afin que le mot « chose » ne soit plus accolé à celui d’animal, n’a aucun impact pratique. D’abord, parce que la qualité d’être vivant doué de sensibilité est déjà reconnue aux animaux par le Code rural. Or, quoique d’une portée symbolique moins forte, le Code rural n’en est pas moins apte à contenir des règles de droit efficaces. Surtout, parce que cette modification a pour seul effet de sortir les animaux de la catégorie des meubles. Si ce projet est adopté, il ne sera donc plus possible de dire que tous les biens sont, soient meubles, soient immeubles. Les animaux, tout en restant des biens corporels, ne seront ni meubles, ni immeubles…
À part compliquer la vie des étudiants, cette modification n’aura aucune utilité. Encore une fois, ce qui compte, ce n’est pas l’existence du statut, mais ce que l’on y met. Ce sont donc les lois particulières qui protègent les animaux qu’il faudrait éventuellement réformer.
Le second épisode a pris la forme du dépôt d’une proposition de loi « visant à établir la cohérence des textes en accordant un statut juridique particulier à l’animal », enregistré le 29 avril 2014 à la présidence de l’Assemblée nationale. Cette proposition de loi est le prototype des propositions inutiles. L’exposé des motifs est d’ailleurs un bijou de contradictions : où comment annoncer le « grand soir » du statut de l’animal, tout en rassurant, dans le même temps, les sceptiques en leur faisant comprendre que, concrètement, rien ne changera.
Les promoteurs de cette proposition nous annoncent en effet la révolution car « il est insupportable que le droit qui se veut une science sociale en prise avec la société en soit resté à une traduction aveugle et sourde qui s’inscrit en marge et dans la négation de l’accumulation des connaissances ».
Bigre, la charge est lourde. Mais elle est surtout infondée. Le droit n’est pas resté sourd, puisque la qualité d’être sensible a été reconnue à l’animal. Peut-être faudrait-il accroître la protection ! Mais nier qu’une protection, même embryonnaire, existe en droit positif est un non-sens.
Mais c’est là qu’arrivent les contradictions. Les porteurs de la proposition envisagent-ils d’imposer de nouvelles normes en matière d’élevage ? D’interdire la corrida ? De limiter la chasse ? D’interdire ou de mieux contrôler les parcs animaliers de divertissement ?, etc.
Non. Tout ceci est bien trop polémique. « Loin de l’idée de faire des animaux des sujets de droits, le législateur engagé dans ce projet d’évolution, d’actualisation du droit n’entend pas du tout faire obstacle aux activités économiques ou de loisirs, comme la production animale, la commercialisation, la chasse ou les pratiques sportives ».
Il s’agit simplement de « doter nos activités d’une éthique adéquate à la réalité scientifique de ce qu’est l’animal et à sa place actuelle aux vues de l’évolution du rapport homme-animal au fil du temps ».
C’est beau. Mais la proposition ne contient strictement rien à ce sujet. Aucune règle du projet n’est destinée à renforcer l’éthique, ou la prise en compte concrète du « bien-être » ou de la « bien-traitance » de l’animal !
Cette proposition se contente essentiellement d’envisager l’introduction d’un titre préliminaire dans le livre II du Code civil intitulé « des animaux ». Ainsi, formellement, une nouvelle catégorie juridique émergerait. Le juriste français verrait donc triple en distinguant les personnes, les animaux, et les choses. Les articles 515-14 et 515-15 seraient, en effet, formulées de la manière suivante :
« Art. 515-14. – Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Ils doivent bénéficier de conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien-être/bien-traitance. »
« Art. 515-15. – L’appropriation, la mise à disposition, la transmission ou le louage des animaux s’effectuent conformément aux dispositions législatives applicables aux textes spécifiques du code rural et de la pêche maritime, et dans le respect des impératifs biologiques de leur espèce. »
Concrètement, il n’y aurait ainsi aucun changement quant au contenu du statut de l’animal, le Code civil se contentant de renvoyer aux dispositions, déjà existantes, du Code rural… Tout ça pour ça, donc !
Le lecteur attentif aura compris que le signataire de ces lignes ne prend, prudemment, pas parti quant à l’intensité de la protection qui doit être apportée à l’animal. Il s’agit ici de déplorer les propositions de loi qui n’ont d’autre but que de faire parler d’elles… et de donner une visibilité à ceux qui les portent. La probabilité que cette proposition de loi fasse l’objet d’un débat au Parlement est en effet extrêmement faible.
En somme, si l’on met de côté l’extension de la protection pénale aux animaux sauvages, que les chasseurs ne manqueront pas de combattre avec la dernière énergie, cette proposition loi se borne à reconnaître aux animaux, dans le Code civil, une protection qui existe d’ores et déjà en droit positif, sans rien y ajouter.
Quitte à se contenter d’une déclaration de principe, on aurait préféré que les porteurs de cette proposition paraphrasent les « poètes », et suggèrent l’article 515-14 suivant [sarcasme]:
« Les animaux sont nos amis.
Il faut les aimer aussi.
Comme nous, ils ont une âme.
Comme Morbach et Moucham. »
Références
■ Projet de loi relatif à la modernisation et la simplification du droit et des procédures : http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/simplification_droit_justice_affaires_interieures.asp
■ Proposition de loi visant à établir la cohérence des textes et accordant un statut juridique particulier à l’animal : http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion1903.asp
■ Et pour les poètes… : https://www.youtube.com/watch?v=Qe9sIwn12OQ
« Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
En cas de condamnation du propriétaire de l'animal ou si le propriétaire est inconnu, le tribunal statue sur le sort de l'animal, qu'il ait été ou non placé au cours de la procédure judiciaire. Le tribunal peut prononcer la confiscation de l'animal et prévoir qu'il sera remis à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, qui pourra librement en disposer.
Les personnes physiques coupables des infractions prévues au présent article encourent également les peines complémentaires d'interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal et d'exercer, pour une durée de cinq ans au plus, une activité professionnelle ou sociale dès lors que les facilités que procure cette activité ont été sciemment utilisées pour préparer ou commettre l'infraction. Cette interdiction n'est toutefois pas applicable à l'exercice d'un mandat électif ou de responsabilités syndicales.
Les personnes morales, déclarées pénalement responsables dans les conditions prévues à l'article 121-2 du code pénal, encourent les peines suivantes :
- l'amende suivant les modalités prévues à l'article 131-38 du code pénal ;
- les peines prévues aux 2°, 4°, 7°, 8° et 9° de l'article 131-39 du code pénal.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu'une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie.
Est punie des peines prévues au présent article toute création d'un nouveau gallodrome.
Est également puni des mêmes peines l'abandon d'un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, à l'exception des animaux destinés au repeuplement. »
■ Code rural et de la pêche maritime
« Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
« Il est interdit à toute personne qui, à quelque fin que ce soit, élève, garde ou détient des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité :
1° De priver ces animaux de la nourriture ou de l'abreuvement nécessaires à la satisfaction des besoins physiologiques propres à leur espèce et à leur degré de développement, d'adaptation ou de domestication ;
2° De les laisser sans soins en cas de maladie ou de blessure ;
3° De les placer et de les maintenir dans un habitat ou un environnement susceptible d'être, en raison de son exiguïté, de sa situation inappropriée aux conditions climatiques supportables par l'espèce considérée ou de l'inadaptation des matériels, installations ou agencements utilisés, une cause de souffrances, de blessures ou d'accidents ;
4° D'utiliser, sauf en cas de nécessité absolue, des dispositifs d'attache ou de contention ainsi que de clôtures, des cages ou plus généralement tout mode de détention inadaptés à l'espèce considérée ou de nature à provoquer des blessures ou des souffrances.
Les normes et spécifications techniques permettant de mettre en œuvre les interdictions prévues par les dispositions du présent article sont précisées par arrêté du ministre chargé de l'agriculture et, lorsqu'il comporte des dispositions spécifiques à l'outre-mer, du ministre chargé de l'outre-mer.
Si, du fait de mauvais traitements ou d'absence de soins, des animaux domestiques ou des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité sont trouvés gravement malades ou blessés ou en état de misère physiologique, le préfet prend les mesures nécessaires pour que la souffrance des animaux soit réduite au minimum ; il peut ordonner l'abattage ou la mise à mort éventuellement sur place. Les frais entraînés par la mise en œuvre de ces mesures sont à la charge du propriétaire. »
« Les dispositions de la présente section s'appliquent lorsque des animaux sont utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures expérimentales telles que définies à l'article R. 214-89, ou lorsqu'ils sont élevés pour que leurs organes ou tissus puissent être utilisés à des fins scientifiques.
Les dispositions de la présente section s'appliquent jusqu'à ce que les animaux visés au premier alinéa aient été mis à mort, placés dans un système d'élevage approprié ou relâchés dans un habitat approprié.
Ces dispositions s'appliquent aux :
- animaux vertébrés vivants, y compris les formes larvaires autonomes et les formes fœtales de mammifères à partir du dernier tiers de leur développement normal ;
- formes larvaires autonomes et formes fœtales de mammifères à un stade de développement antérieur au dernier tiers de leur développement normal, si l'animal doit être laissé en vie au-delà de ce stade de développement et risque, à la suite des procédures expérimentales menées, d'éprouver de la douleur, de la souffrance ou de l'angoisse ou de subir des dommages durables après avoir atteint ce stade de développement ;
- céphalopodes vivants.
Le recours à un anesthésique, à un analgésique ou à d'autres méthodes destinées à supprimer la douleur, la souffrance, l'angoisse ou les dommages durables ne place pas l'utilisation d'un animal en dehors du champ d'application de la présente section. »
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