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Le billet
D’une palme, l’autre…
Le Festival de Cannes a livré son artistique verdict et seules quelques starlettes en mal d’émotion forte arpentent encore les plages désertes de la Croisette dans l’improbable espoir de la bouleversante rencontre qui changera leur destin et les précipitera sur les sentiers d’une gloire qui, depuis toujours, les fuit aussi obstinément qu’injustement (pas mal, mon imitation de Frédéric Mitterrand, non ?).
Alors qu’une fois encore plusieurs dizaines (selon la police) ou centaines (selon les organisateurs) de milliers de manifestants criaient leur indignation contre la loi qui ouvre, sans distinction tenant au genre ni condition tenant au sexe, le mariage à tous ceux qui veulent se marier par amour, le jury a décerné sa palme d’or à La vie d’Adèle, film qui raconte une passion torride entre deux femmes. On ne sait pas ce que le père d’E.T. pense du mariage homo, mais il s’est clairement exprimé, après la proclamation du palmarès, sur ce que lui inspirait la probable censure morale dont le film serait l’objet dans son propre pays. Pour Steven Spielberg, « Peu importe la sexualité, c’est l’histoire d’un amour profond, magnifique ». Comme quoi nul n’est prophète dans son pays ! On ne badine pas avec l’amour dans le pays de Mickey et de Bambi.
Sous le poids de l’émotion, Abdellatif Kechiche, le réalisateur en or de cet hymne à l’amour d’une fille avec une fille a fait allusion au miracle tunisien et au printemps du même nom, dont on ne compte plus pourtant les fleurs fanées et les noirs bourgeons. Mais passons… et puisque l’heure est aux remises de prix, on voudrait accorder le nôtre, très chichement doté par ailleurs (au choix, ma photo dédicacée ou un abonnement de deux semaines à La Semaine de Suzette) à un de nos collègues tunisiens qui n’a pas fait la une des journaux et n’a pas non plus trusté les plateaux de télévision, monopolisés toujours par les mêmes maîtres à penser aussi lénifiants que ronronnant.
Notre homme se nomme Habib Kazdaghli, il est doyen de la Faculté de Manouba en Tunisie. Son fait d’armes ? Avoir eu le courage de résister au fanatisme en herbe d’une horde d’étudiantes qui, voilées jusqu’aux dents, entendaient substituer, sur fond d’islamisme galopant, l’intégrisme religieux à la liberté et à la neutralité que garantit la laïcité. Parce qu’il avait refusé, au nom de la connaissance et de l’égalité qui sont les deux mamelles de l’Université, de céder au diktat des disciples des barbus, notre collègue s’était opposé à quelques harpies en niqab qui avaient envahi son bureau, puis l’avaient accusé d’avoir ouvert la boîte à gifles. Les martyres l’avaient alors traîné devant la justice tunisienne dont on attendait de voir si elle avait ou non résisté aux frimas du printemps arabe. Divine surprise, le 2 mai dernier, les juges de première instance ont condamné les jeunes filles au niqab à deux mois de prison avec sursis. Mais comme c’était malheureusement prévisible, le parquet a fait appel contre la décision de relaxe du doyen, en même temps que les plus hautes autorités politiques du pays pesaient de tous leurs poids pour que soient assouplis les règlements universitaires qui, ici et là, prohibent encore le port du niqab.
À cet universitaire qui se bat avec courage contre l’invasion du voile intégral dans les amphithéâtres où doit souffler l’esprit de liberté et de tolérance, et ne pas régner l’obscurantisme religieux, on décernera la palme du Printemps, prix symbolique décerné pour la première fois et qui n’engage que moi… Na et Yallah !
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