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Dura sex, sed lex… ou le culte du sexe entre époux
Lors des derniers billets, il a été question des liens entre le droit et la morale, le droit et la religion, le droit et le rock’n’roll. Dans la suite logique, les liaisons dangereuses entre le sexe et le droit devaient légitimement trouver leur place…
En l’occurrence, il est même question d’absence de liaisons. Dans une décision rendue par la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 3 mai 2011, les juges ont sanctionné un mari abstinent pendant plusieurs années en prononçant le divorce à ses torts exclusifs et en attribuant à son épouse 10 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé.
L’affaire est d’une grande banalité. Après 21 ans de mariage, une épouse demande le divorce aux torts exclusifs de son mari ainsi que des dommages-intérêts pour absence de relations sexuelles depuis plusieurs années, malgré quelques rapports ponctuels. La cour d’appel accueille l’ensemble de ses prétentions. Si l’épouse délaissée a pour elle la force du droit en raison du « sexe faible » de son mari, la sanction prononcée laisse quelque peu dubitatif.
Voilà une belle illustration de la pensée de Voltaire : « Usez, n’abusez point (…) » (p. 515), « l’abstinence ou l’excès ne fit jamais d’heureux » (p. 487). Cette philosophie aristotélicienne du juste milieu justifie la condamnation tant de l’absence que de l’excès de sexe entre époux.
L’excès de relations sexuelles entre époux a été de nombreuses fois sanctionné par les juges du fond. Ainsi d’un jugement du TGI de Dieppe du 25 juin 1970, se fondant sur le manquement au devoir de secours. Souvent, à défaut de pouvoir établir le viol entre époux, l’excès de relations sexuelles devient une soupape de sûreté (en ce sens, Grenoble, Ch. des affaires familiales, 14 oct. 2009).
Dans l’arrêt du 3 mai 2011, il n’était pas question d’excès mais d’abstinence. La cour d’appel commence par fonder le prononcé du divorce sur le manquement aux devoirs du mariage : « L’abstinence, ou la quasi-absence de relations sexuelles pendant plusieurs années, avec des reprises ponctuelles, contribue à la dégradation des rapports entre époux dans la mesure où les rapports sexuels entre époux sont notamment l’expression de l’affection qu’ils se portent mutuellement, tandis qu’ils s’inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage ». La motivation de la cour d’appel est plus compréhensive que par le passé (comp. Aix-en-Provence, 24 mai 1989 : « L’abstention du devoir conjugal ne revêt un caractère injurieux pour l'autre conjoint que si elle est volontaire et persistante et marque le mépris ou l'indifférence pour ce dernier »). Ce devoir de copula carnalis est, en droit canon, à la fois un devoir de perfection et un effet du mariage, devoir d’ailleurs quantifié à au moins deux rapports par semaine (v. P. Ourliac). « Boire, manger, coucher ensemble c’est mariage ce me semble » (Loysel). Même s’il n’est pas question au sein du Code civil de relations sexuelles, l’esprit du droit canon est bien présent au sein du devoir de cohabitation (art. 215 C. civ.) et du devoir de fidélité (art. 212 C. civ.). Dès lors que l’abstinence est imputable à l’époux et qu’aucun consentement mutuel ne peut la légitimer, le divorce pour faute est inévitable. La solution n’a rien de surprenant et les décisions antérieures, en ce sens, sont nombreuses (v. par ex., Toulouse, 5 avril 1994 ; Amiens, 28 févr. 1996). Beaucoup de bruit pour rien, pourrait-on alors rétorquer à tous ces médias qui ont récemment joué leur rôle de caisse de résonance en amplifiant la portée de cette décision ! À dire vrai, moins que le prononcé du divorce pour faute, c’est l’octroi de dommages-intérêts qui peut étonner.
Le droit français reconnaît depuis longtemps l’existence du préjudice sexuel et distingue clairement le préjudice de procréation de celui de la privation de plaisir (v. not., Montpellier, 18 avr. 1991 ; TI Saintes, 6 janv. 1992). Il est encore vrai que, dans le cas d’un divorce, l’existence d’un préjudice distinct de la rupture donne droit à des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. La cour d’appel d’Aix-en-Provence juge, en ce sens, que l’épouse devait obtenir réparation de son préjudice d’abstinence contrainte, préjudice de nature morale, étranger à celui qui découle de la rupture du lien conjugal. Elle a ainsi obtenu 10 000 euros de dommages-intérêts. Certes, il existe quelques rares décisions où un tel préjudice a pu être indemnisé (Nancy, 1er mars 1993 : « Doit être condamné à verser des dommages-intérêts à sa femme le mari qui, considérant sa femme comme un objet sans intérêt et ayant refusé de consommer le mariage, commet une faute de nature à entraîner un préjudice pour sa femme qui, restée vierge, devra justifier de sa situation à l'égard d'un autre conjoint éventuel »). Après avoir monnayé des larmes et des pleurs, il appartient désormais au juge d’évaluer l’absence de sexe. Selon les motifs de la cour d’appel, le manque d’affection, dont les relations sexuelles seraient une preuve, est la source du préjudice. Certains crieront au scandale : Et la tendresse ? Bordel !, pour reprendre ce classique du cinéma français de 1979 réalisé par Patrick Schulmann. En outre, sauf rares cas où la mariée serait encore vierge, comment prouver une telle abstinence ? Au surplus, il est toujours possible, pour le présumé abstinent, de soutenir que c’est le conjoint qui se refuse ! Enfin, comment évaluer un préjudice d’abstinence lorsqu’il y a eu, comme en l’espèce, des relations ponctuelles ? À partir de quand l’abstinence devient-elle fautive : doit-on prendre comme référent religieux les deux rapports minimum du droit canon ou comme référent sociologique le rapport par semaine correspondant à la moyenne nationale ?
En définitive, on disait des bonnes mœurs qu’elles étaient mortes et avec elles les devoirs du mariage. Cette décision confirme le contraire. Reste, il est vrai, que le sauvetage des bonnes mœurs se fait dans un contexte bien original et sous un angle bien inattendu. Sorties par la petite porte, elles reviennent par le lit. Malgré tout, l’arrêt ainsi rendu fera la gourmandise des commentateurs et des enseignants du droit de la famille. Qui a dit que le droit de la famille n’était pas un vrai droit ?
Références
■ Aix-en-Provence, 3 mai 2011, n° 2011/292, RG n° 09/05752, Dalloz Actu Étudiant 13 sept. 2011 ; F. Rome, « Tu veux ou tu veux plus ? », D. 2011. 2105.
■ Voltaire, Œuvres complètes, Tome II, Théâtre II, La Henriade, La Pucelle, Poésies, éd. Furne et Cie, 1845.
■ P. Ourliac, « L'indissolubilité du mariage dans l'ancien droit », LPA 20 avr. 1984, p. 5, cité par J.-M. Bruguière, « Le devoir conjugal, philosophie du code et morale du juge », D. 2000. 10.
■ TGI de Dieppe, 25 juin 1970, JCP 1970. II. 16545 bis.
■ Grenoble, Ch. des affaires familiales, 14 oct. 2009, n° 08/04951.
■ Aix-en-Provence, 24 mai 1989, JurisData n° 044008.
■ Toulouse, 5 avr. 1994, JCP 1995. II. 22462, 1re esp. Note J. Boulanger.
■ Amiens, 28 février 1996, Gaz. Pal. 1996, 2, 445.
■ Montpellier, 18 avr. 1991, JurisData, n° 000029.
■ TI Saintes, 6 janv. 1992, D. 1993. 28.
■ Nancy, 1er mars 1993, JurisData n° 043046.
■ Code civil
« Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »
« Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie.
La résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord.
Les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n'a pas donné son consentement à l'acte peut en demander l'annulation : l'action en nullité lui est ouverte dans l'année à partir du jour où il a eu connaissance de l'acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d'un an après que le régime matrimonial s'est dissous. »
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
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