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Échange CV anonyme état neuf contre action de groupe même usagée...
La communication politique c'est pratique...
Le juriste peut être de plus en plus sceptique sur les modes de mise en œuvre des réformes du droit du travail dans notre pays. La détermination des règles destinées à lutter contre les discriminations en fournit un parfait exemple.
Face à la montée des inégalités et au développement de recherches sociologiques montrant l'ampleur des discriminations subies dans l'emploi, la discrimination est devenue un objet d'action publique depuis les années 1980. Le nombre de réformes législatives sur ce terrain est pour le moins surprenant : l'article L. 1132-1 du Code du travail (anciennement art. L. 122-45) prohibant les discriminations dans l'emploi a été réformé à 12 reprises en une trentaine d'années.
Sans véritablement approfondir la réflexion, les réformes s'accumulent : reconnaissance de nouveaux motifs, modelage des règles de preuve, introduction des discriminations indirectes, création puis suppression de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), création du Défenseur des droits, déterminations de plans pour l'égalité, etc…
Apparut alors un outil qui paraissait tout résoudre : la création du CV anonyme, permettant aux candidats de postuler à des emplois sans que leur identité apparaisse, mesure réclamée par quelques grands groupes et prônée par feu la Halde. Une loi fut adoptée (Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances), qui prévoyait que la candidature à un emploi dans les entreprises de plus de 50 salariés devait être examinée « dans des conditions préservant son anonymat » (C. trav., art. L. 1221-7).
Las, ce principe du CV anonyme, qui devait, selon les termes du rapporteur du texte au Sénat, constituer le « garant de la non-discrimination à l'embauche » fut rapidement maintenu au rang d'un vœu pieu. Le texte de loi renvoyait la détermination des modalités de ces CV à l'adoption d'un décret après concertation avec les partenaires sociaux. Ceux-ci montrèrent des réserves sur cette mesure, qui fut alors définitivement enterrée.
Le Conseil d'Etat, saisi par un particulier impatient que la mesure fût mise en œuvre, annula une décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé de faire droit à la demande de prendre le décret prévu, et il enjoignit à cette occasion au Gouvernement de prendre le décret d'application dans les 6 mois (CE 9 juill. 2014). Cette exigence d'une cohérence minimale de l'action gouvernementale ne fut pas davantage suivie d'effet.
A la demande du ministre du travail, un « groupe de dialogue » comprenant partenaires sociaux, entreprises, experts et acteurs associatifs et institutionnels présidé par J. C. Sciberras, fut chargé de réfléchir à la lutte contre les discriminations. Il rendit un rapport opportun, dans lequel fut expressément prônée l'abrogation de la loi en question. Le ministre annonça immédiatement l'enterrement du CV anonyme, par une formule définitive : ce CV est « une solution, mais en aucun cas n'est la solution ». Il annonçait en contrepartie de l'abrogation du texte, la création de nouvelles « actions collectives », souhaitée par le « groupe de dialogue », qui seraient mise en place, tout en privilégiant la recherche de solutions négociées avec les partenaires sociaux sur ce terrain.
La cohérence c'est pas tendance...
Le C.V. anonyme n'aurait sans doute pas été « la » solution définitive aux discriminations à l'embauche. Celles-ci proviennent de facteurs multiples, conjuguant l'accès aux formations initiales, la place faite aux réseaux de relations dans les embauches, ou le savoir-faire inégal des candidats dans les processus de sélection. Le CV anonyme ne permet à l'évidence pas de remédier à ces différents facteurs de différence, mais en imposant un minimum de neutralité dans les processus de sélection, il permettait de franchir un pas vers l'objectivation de ces processus dans les entreprises de taille moyenne ou plus grande.
La création d'actions de groupe pour lutter contre les discriminations est un autre outil qui, pour être intéressant, ne constituera pas non plus « la » solution. Si on étudie l'état actuel des contentieux menés en matière de discriminations, on se rend compte immédiatement que les syndicats et associations, qui disposent déjà d'outils d'action en justice en usent actuellement très peu. Seuls certains motifs de discrimination font l'objet de ces actions : droit syndical essentiellement, discriminations sexuelles de façon plus résiduelle. Il n'est gère crédible qu'une nouvelle voie procédurale modifie cet état de choses.
Par ailleurs, les discriminations à l'embauche n'ouvrent que très peu prise à des contentieux : l'employeur y dispose d'un pouvoir discrétionnaire, le salarié ne peut avoir d'aucune preuve, et les sanctions envisageables des refus discriminatoires d'embauche sont discutées. L'action collective ne pourra apporter aucune solution à ces difficultés. Il y a tout lieu de croire que cette action sera utile pour lutter contre des discriminations subies collectivement par les représentants du personnel, ou encore pour permettre une réparation facilitée dans des litiges nés de la méconnaissance d'une règle collective de l'entreprise, mais qu'elle ne peut jouer qu'un rôle très modeste à l'encontre les discriminations à l'embauche.
Les discriminations sont le produit de processus complexes, qui appellent la construction d'une multitude d'outils permettant d'appréhender leurs différentes facettes. Les réformes successives en la matière prétendent toutes procurer une sorte d'outil miracle qui permette instantanément de remédier à l'ensemble des difficultés. Il semble pourtant que la construction d'un cadre stable et cohérent permettant de lutter de manière effective contre ces phénomènes soit la seule nécessité. En faire un outil de communication politique menant à des réformes successives détruisant ce qui a été précédemment avancé, sans même avoir été expérimenté, paraît non seulement vain mais contreproductif. Il est à redouter que la créativité des communiquants ministériels soit à la hauteur de leur incapacité à envisager la moindre réforme concrète.
Gageons que dans dix ans, nous aurons su créer l'action anonyme, le CV collectif et la Haute autorité de défense des droits, mais que les discriminations conserveront une physionomie comparable à ce que nous lui connaissons aujourd'hui.
Références
■ Code du travail
« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »
« Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, les informations mentionnées à l'article L. 1221-6 et communiquées par écrit par le candidat à un emploi ne peuvent être examinées que dans des conditions préservant son anonymat.
Les modalités d'application du présent article sont déterminées par décret en Conseil d'État. »
■ CE 9 juill. 2014, M. A. et a., n°s 345253, 352987, 373610.
■ Rapport de synthèse des travaux du groupe de dialogue inter-partenaires sur la lutte contre les discriminations en entreprise, du 13 mai 2015, J. C. Sciberras.
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