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Le billet
Éloge de la Perle ou chronique marronnière sur les corrections de copie
Le vocabulaire journalistique désigne sous le terme de marronniers, ces sujets qui reviennent chaque année et dont le traitement est une figure imposée de la profession : la rentrée scolaire, la neige, les vacances, les rapports de la Cour des comptes, et plus récemment les rapports Doing Business de la Banque mondiale ou le classement de Shanghai.
Et bien, la fonction enseignante, dont le caractère essentiellement annuel n'aura échappé à personne, a aussi ses marronniers : le niveau qui baisse, les postes qui disparaissent, les crédits qui manquent. Et parmi ceux-ci, il en est un qui donne des fruits remarquablement spectaculaires, c'est le marronnier de la correction de copies. Car les fruits de ce marronnier ne sont pas … marrons, et d'une belle patine brillante dans leur prime fraîcheur, non, ils sont de couleurs irisées et changeantes, nacrées, et d'une taille plus petite. Car ces fruits, vous l'avez bien compris, ce ne sont pas des marrons, ce sont des perles.
Ah, les perles des corrections de copies.
Jadis on les chuchotait dans les couloirs : « vous avez lu, c'est Gratin qui aurait fait un décret, oh oh oh » ; on en gloussait dans les réunions d’équipes pédagogiques : « vous vous rendez compte le président de la République aurait été tué par le sadique Arnaud, ou va-t-on ?... » ; on les notait dans de secrets carnets qui ne pesaient pas bien lourds dans les partages successoraux : « on vend un carnet de 32 feuilles sur lequel est porté notamment la mention “ Les ordonnances du médecin de d'Aguesseau ”, écriture du milieu du xviiie siècle, mise à prix 10 € ».
Aujourd’hui cependant on les proclame, on les diffuse, on les maile, on les facebooke. Oui on les facebooke, lecteurs étudiants. Vous qui pensiez que les grandes personnes ont des choses plus sérieuses à faire que de partager des messages stupides sur des réseaux sociaux, vous vous méprenez : on les facebooke, et, même les grincheux, les atrabilaires, s'y adonnent à cœur joie. « vous vous rendez compte le Maréchal de Gaulle - étoile », « le papinot 103 » « le pouvoir législatif du Président »....
Et pourtant, chuchotées proclamées, forwardées ou déplorées, les perles ne sont sans doute pas la chronique d'un désastre, d'un niveau qui baisse, ou de la perte de notre triple A. Outre le salutaire éclat de rire qu'elles provoquent — et le rire joue, ô combien, sa fonction cathartique au milieu d'un paquet de copies — elles nous informent sur notre système d'enseignement, sur la manière dont il est reçu par les étudiants et en définitive nous invite à réfléchir sur la manière dont nous exerçons notre mission de passeur.
Car la perle, si on s'y penche un instant n’est autre que la fille de la rencontre fortuite sur une table de dissection du comte de Lautréamont : elle est drôle, non par ignorance, mais par un effet d'absurde que produit l'absence de compréhension d'un mot, d'un fait, d'un contexte et son utilisation insolite. Elle nous dit, à nous enseignants, que faire passer un savoir, ce n'est pas uniquement transmettre des connaissances, mais une lecture, une intelligence, une culture de celles-ci et du contexte dans lequel elles s'insèrent.
Alors oui, souhaitons que, comme les diamants, les perles soient éternelles pour nous rappeler à nos devoirs d'intelligence.
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