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Le billet
Entre déboires et espoirs
« La vie est un long fleuve tranquille, ce sont les rives qui sont dangereuses. Il ne faudrait jamais aborder ». Sans doute nombre de candidats à la Commission européenne peuvent faire leur cette expression, depuis qu’ils font face au Parlement européen, la française Sylvie Goulard sans doute plus que d’autres.
Il est vrai que la désignation de la Commission dépend du Parlement européen qui détient un rôle essentiel au regard des traités et qui a renforcé son emprise par la pratique institutionnelle dont témoigne aujourd’hui le contenu de l’annexe VII du règlement intérieur du Parlement européen, relative à l’approbation de la Commission et le suivi des engagements pris durant les auditions. Ce rôle grandissant du Parlement européen est une garantie du fonctionnement de la Commission européenne par le contrôle des compétences et de l’indépendance des futurs commissaires, pouvant aller jusqu’à écarter un commissaire proposé par un État majeur, ce qui n’est pas anecdotique. Toutefois, il est perceptible que cette procédure est aussi empreinte d’une dimension plus politique, au sens de partisane, qui sème le trouble sur le rôle du Parlement européen et sur la légitimité de la Commission européenne désignée, et parasite le processus, ce qui est regrettable.
Concrètement la procédure implique un examen de la déclaration d’intérêts financiers et une audition publique de trois heures devant les commissions parlementaires compétentes. La probité fait ainsi l’objet d’un examen préalable, qui peut être rédhibitoire, comme il a pu l’être pour les candidats désignés par la Roumanie et la Hongrie. L’audition est consacrée au contrôle des compétences, de l’indépendance et éventuellement à la probité. Elle est retransmise en direct sur le site du Parlement, mettant en évidence les attentes des députés par rapport à la maîtrise des compétences nécessaires au portefeuille visé au sein de la Commission. De nombreuses questions portent sur les choix qui seront défendus pendant la durée du mandat par le futur commissaire et sa capacité à comprendre la portée des choix juridiques. Les réponses ne peuvent se limiter à une volonté de dialoguer ou d’écouter à l’avenir le Parlement comme l’a démontré l’audition du polonais Janusz Wojciechowski, désigné à l’agriculture. L’enjeu est réel, tant le commissaire a un rôle essentiel au moment des trilogues entre le Parlement européen, le Conseil de l’UE et la Commission pour trouver un texte de compromis pour l’adoption d’une directive ou d’un règlement. Cette audition peut conduire à ne pas approuver la nomination, exigeant des compléments d’information par des questions écrites et/ou une seconde audition. Si cette situation n’est pas rare, il est exceptionnel que le processus s’achève par un refus d’approbation définitif comme pour Sylvie Goulard, le candidat étant exfiltré avant ce vote de la commission parlementaire.
Cependant, cette procédure est aujourd’hui parasitée par une dimension partisane qui trouve son origine dans la proposition de la candidate à la Présidence de la Commission européenne. En juillet, le Conseil européen a en effet refusé, contrairement à 2014, de se sentir contraint par le processus des Spitezenkandidaten, c’est-à-dire la désignation par chaque groupe parlementaire européen d’un candidat appelé à briguer la présidence de la Commission européenne. Il est vrai que les candidats désignés n’apportaient pas toutes les garanties d’expérience et de compétence. Les dirigeants des différents groupes parlementaires ont mal vécu ce coup de force et ont fustigé cette position, favorisant le retour à une dimension plus partisane de la procédure devant le Parlement. Celle-ci agit alors comme un poison lent, le commissaire n’étant plus scruté seulement sous l’angle de ses compétences et son indépendance, mais de son appartenance à un parti politique. Cette dimension a été très présente aux stades de la procédure, dont l’examen des déclarations d’intérêts, qui a conduit à l’éviction du candidat hongrois, et au moment de l’audition de Sylvie Goulard. Toutefois, les trois heures d’audition de la candidate française ont été marquées principalement par un bon nombre d’imprécisions, de réponses très générales sur l’évolution du marché intérieur, des services et la culture et une posture d’attente face aux députés. De plus sa probité a été mise en cause au regard de la procédure judiciaire ouverte sur les collaborateurs du Modem, les questionnements liés à la gestion de son attaché parlementaire et à son contrat de consultante auprès de l’Institut Berggruen, auquel il faut ajouter le lobbying de ce dernier sur sa candidature. Ce sont autant d’éléments objectifs qui ont amené les commissions parlementaires à refuser à deux reprises l’approbation. L’appartenance à un parti politique n’est pas directement ou indirectement en cause. Elle constitue pourtant le principal élément d’analyse, y compris par rapport au Président Emmanuel Macron.
Ce déroulement amène à plusieurs remarques. Tout d’abord, la nature et les exigences de la fonction sont perçues comme secondaires, ignorant l’objet premier de cette procédure devant le Parlement européen, le contrôle, et sa pierre à la mise en œuvre de la démocratie et de la transparence. Ensuite, pour les commissaires désignés dans ce contexte d’approche partisane, ils verront leur légitimité fragilisée, obérant de leur capacité à défendre des positions stratégiques sur les textes législatifs. De plus, le Conseil européen, en choisissant d’outrepasser la logique des groupes politiques, a sans doute retrouvé ses prérogatives, mais n’a pas forcément renforcé l’indépendance de la Commission européenne. A contrario, si le Parlement européen entend restaurer le Spitezenkandidaten, il aura tout intérêt à identifier des candidats répondant véritablement aux exigences de la fonction, comme cela avait été réalisé en 2014.
Cette désignation de la Commission, qui devrait être investie dans les semaines à venir, aura été marquée par les déboires de la candidate française notamment. Espérons que l’investiture de la Commission sera celle de l’espoir et d’une collaboration fructueuse avec le Parlement européen et le Conseil. Cependant, il est tout aussi possible que le déroulement de cette nomination soit les prémisses d’une accentuation du contrôle du Parlement et de nouveaux déboires pour cette Commission, dont sa présidente, Ursula von der Leyen, elle-même mal investie le 16 juillet.
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