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[ 25 mai 2020 ] Imprimer

Entreprises : quelle obligation de sécurité en période de risque épidémique ?

L'épidémie de covid-19 met à l'épreuve nombre de règles du droit du travail, exigeant l'adoption d'un corps de règles dérogatoires prises sur le fondement de la loi d'urgence sanitaire, ainsi que la mobilisation des règles existantes permettant de rendre compatible le travail salarié avec les contraintes de l'épidémie.

Nulle règle, dans ce contexte, ne soulève plus d'incertitude que le respect de la fameuse obligation de sécurité propre au rapport de travail. Celle-ci, découverte comme une obligation inhérente au contrat de travail à l'occasion du scandale de l'amiante (Soc. 28 févr. 2002, n° 00-10.051), a été inspirée des textes européens (Directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, 89/391/CEE) et inscrite dans le Code du travail (art. L. 4121-1).

Quel visage peut prendre cette obligation de sécurité dans un contexte d'épidémie, dans lequel les contacts avec les collègues de travail, les clients ou les fournisseurs sont susceptibles de contaminer les salariés ?

L'obligation de sécurité inhérente au rapport de travail est appelée à servir de boussole dans deux directions distinctes : celle des rapports individuels de travail et celle des conditions de travail.

■ Dans le cadre des rapports individuels de travail, l'obligation de sécurité n'est appelée à être mobilisée que dans le futur, en cas de procès intentés par les salariés qui auront subi des dommages à la suite de la contamination, ou par leurs ayants droit en cas de décès, contre l'entreprise. Ces litiges peuvent relever soit de la réparation des risques professionnels, si le salarié parvient à établir l'existence d'un lien entre le travail et la contamination (preuve difficile), soit, à défaut, de la réparation des préjudices nés du manquement à l'obligation de sécurité, relevant de la compétence des conseils des prud'hommes. La question pourrait se poser aussi des actions menées par les victimes par ricochet, par exemple par un conjoint ou un parent contaminé par un salarié alors que l'entreprise n'a pas respecté son obligation de sécurité. Ces actions vont se heurter à de difficiles questions de preuve, car le risque épidémique n'est pas limité au travail, mais existe dans tous les actes de la vie quotidienne (transports, consommation, etc.). Néanmoins, face à certains employeurs particulièrement négligents, n'ayant pris que très peu de mesures de sécurité (on pense à la situation connue par certains Ehpad ou établissements du secteur sanitaire et social), la preuve pourrait sans doute être admise du lien entre la contamination et le travail, notamment lorsque des groupes entiers de salariés auront été contaminés.

■ Dans le cadre des rapports collectifs, l'employeur a l'obligation, en application de l'article L. 4121-1 du Code du travail de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité́ et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation de sécurité est essentielle pour la détermination des conditions de travail dans le contexte à risque que nous connaissons. Elle a servi de fondement dans au moins une dizaine d'affaires (dont certaines très médiatisées comme Amazon ou Renault Sandouville), dans lesquelles les représentants du personnel ou des inspecteurs du travail ont demandé au juge soit de préciser les obligations pesant sur l'employeur, soit plus rarement d'imposer la fermeture de sites en cas de risques avérés pesant sur les salariés. La plupart des décisions connues ont fait droit aux demandes ainsi formulées.

Dans les deux cas, la clé de l'obligation de sécurité est le respect de mesures de prévention très poussées dans les entreprises. Celles-ci nécessitent a minima le respect de toutes les prescriptions légales et réglementaires, notamment celui des prescriptions édictées par le ministère du travail. Mais les ordonnances de référé montrent que le juges vont au-delà de la simple application de ces normes : elles exigent souvent le respect des recommandations des autorités sanitaires, ainsi que la détermination de procédures ou méthodes permettant d'appréhender l'étendue des risques connus. Les juges insistent à ce titre sur l'identification des risques par la mise à jour du document unique d’évaluation des risques de l'article R. 4121-2 du Code du travail. Allant au-delà de la lettre des textes, les juges exigent aussi d'associer les CSE à ces démarches d'évaluation des textes, alors que le Code du travail ne l'impose pas directement.

Toutes les décisions rendues, attestant de la sensibilité du moment aux risques sanitaires, montrent une grande fermeté des juges dans la détermination de mesures de prévention appropriées. La question est posée depuis longtemps à cet égard de la teneur de l'obligation de sécurité. Si les arrêts Amiante et la jurisprudence qui s'en est suivie ont fait de cette obligation une obligation de résultat, l'arrêt Air France de 2015 (Soc. 25 nov. 2015, n° 14-24.444) l'avait atténuée en permettant à l'employeur de s'exonérer en montrant qu'il a pris toutes les mesures de prévention qui s'imposent. L'obligation n'était plus alors que de moyen. Cet affaiblissement de l'obligation de sécurité ne devrait pourtant pas être un facteur du relâchement de la vigilance des entreprises. L'obligation de sécurité, dans un contexte où le risque a été très bien identifié sera vue comme particulièrement exigeante en termes de mesures de prévention à prendre : le risque juridique sera demain aussi important que l'est aujourd'hui le risque sanitaire.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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