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Le billet
Et vous, quel sujet d’examen auriez-vous préféré en droit administratif ?
Et si on changeait de type de sujets d’examen en droit administratif ? Oui oui, si on abandonnait ces dissertations convenues, ces commentaires de toujours les mêmes arrêts, ou de ces citations usées jusqu’à la corde, que pourrait-on proposer à la place de neuf, intéressant, démontrant les compétences des étudiants et, évidemment, sans ruiner cette université déjà si défortunée. Voilà quelques propositions.
« Commentez « on nous change notre Etat » », « Les services publics industriels et commerciaux sont-ils vraiment industriels et commerciaux ? » « Commentaire de CE GISTI (je ne mets pas les années, il y en a tellement que l’on peut refaire tout le GAJA) », etc., etc. Des générations d’étudiants ont, durant les travaux dirigés ou pendant les examens, planché sur ce type de sujets avec toujours les mêmes plans, les plans binaires des dissertations, les plans binaires avec un toping de fiche d’arrêt pour les commentaires et toujours les mêmes problématiques « il est intéressant de se demander si… est vraiment… » (vous pouvez boucher les trous vous-même cela fonctionne pour tout).
Je confesse qu’après un certain nombre d’années passé dans l’enseignement supérieur, j’ai un doute qui a germé insidieusement depuis longtemps, qui a crû ces dernières années et qui arrive aujourd’hui à pleine maturité : ce type de sujet finalement ne fait que conduire à évaluer des numéros de chiens savants qui, en fonction de la qualité du dressage, sauront plus ou moins faire tourner le morceau de su-sucre sur leur truffe. Et cela conduira aux concerts de lamentations habituels, les étudiants sont mauvais, de plus en plus mauvais etc., etc. et à la publication des habituelles perles sur les réseaux sociaux.
Depuis quelques années j’ai tenté d’introduire quelques innovations avec des succès divers.
D’abord, en droit de l’urbanisme, c’était à l’oral, je donnais le sujet dès le début du semestre : « Rendez compte des enjeux d’urbanisme de la commune dans laquelle vous habitez d’un point de vue juridique ». Cela a très bien fonctionné : à mesure que les étudiants acquéraient les différents instruments juridiques du droit de l’urbanisme, ils pouvaient les appliquer à la situation particulière qui les concernait et rares étaient ceux qui, en fin de semestre, n’avaient pas joué le jeu.
Beaucoup moins de succès en revanche lorsque j’ai tenté d’introduire en 2e année des sujets « bonus » qui s’ajoutaient aux deux sujets classiques. Je proposais le plus souvent un commentaire d’une image. Je me souviens d’une vieille carte postale de Sceaux qui montrait un tramway, les employés de celui-ci, dans le fond des HBM, et une rue bien construite avec un trottoir, photo que j’avais déjà utilisée en cours. Elle faisait penser à bien des arrêts et bien des objets du droit administratif. Mais peu nombreux furent les étudiants qui tentèrent le pari et quand je demandais ensuite pourquoi, les réponses tenaient au fait qu’ils ne savaient pas quoi dire, qu’ils avaient peur qu’il y ait un sens caché qu’il n’aurait pas vu, qu’ils ne savaient pas comment ce serait noté. Rétrospectivement, je pense qu’effectivement sans une formation à l’analyse d’image il y avait sans doute une vraie difficulté méthodologique mais, pour le reste, je crains que ce ne soit le formatage des sujets classiques qui les aient empêchés de prendre un risque.
Car paradoxalement, j’ai l’impression que ces dernières années, à mesure que les études de droit, parcoursup aidant, ont acquis une image de formation sélective, les étudiants prennent moins de risques, ils veulent apprendre et restituer ce qu’ils ont appris pour avoir une note.
Mais je ne désespère pas et j’ai encore quelques projets dans ma poche.
Le premier serait de proposer un commentaire de vidéos. Par exemple, il y a cette passionnante communication de Patrick Frydman (à voir ici), relatant « la petite histoire » de l’arrêt Nicolo, et je rêverai de voir les étudiants commenter ce document (avec un bonus pour ceux qui auraient relevé le troublant aveu dans la petite séquence qui commence à 20’57). Là aussi une formation au codage et décodage de ce qui est dit et n’est pas dit serait sans doute nécessaire mais les résultats pourraient être très intéressants.
Le deuxième à autoriser tous les documents et l’usage des bases de données. Après tout, ce qu’on interdit aux étudiants on l’autorise bien aux candidats à l’agrégation et à proposer un sujet en conséquence : établir un dossier documentaire classé et organisé sur une question, par exemple.
Mais, me direz-vous chers lecteurs, avec les risques de fraude et l’intelligence artificielle ils ne travailleront pas eux-mêmes. C’est possible, mais justement puisque vous me parlez d’intelligence artificielle, c’est mon troisième projet. Il me semble qu’il faut moins en avoir peur que d’apprendre à l’utiliser, et je serais très intéressé par un sujet qui consisterait à leur faire produire sur un sujet donné une réponse de l’IA et ensuite de leur demander d’évaluer cette réponse : ses points pertinents, mais aussi ses insuffisances et ses erreurs, à l’aide des connaissances acquises en cours mais aussi peut-être à l’aide de l’IA elle-même en reformulant les questions ou en les complétant. Là encore je pense que cela pourrait donner de bons résultats et surtout de permettre aux étudiants de prendre conscience de la manière dont il faut utiliser ces outils.
Bref vous le voyez, plein de possibilités qui s’ouvrent et je suis bien tenté dans quelques semaines, quand aura lieu l’examen, de mettre l’une d’entre elles en œuvre…
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