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Le billet

[ 12 décembre 2022 ] Imprimer

Excès de sucres, note salée, procès en vue ?

Entre sucre, sirop de glucose, fructose, dextrose et autres produits sucrants en « ose », la vie de l’amateur de sucre n’est pas rose. On laissera aux professionnels de santé le soin d’expliquer et de réexpliquer les ravages de ces excès qui caractérisent nos aliments industriels, et cette addiction qui nous pousse à noyer nos gâteaux maison dans le sucre au point de masquer la saveur des autres ingrédients. Marmiton.org, Pierre Hermé, Cyril Lignac et autres conseillers-pâtissiers : pas un pour raisonner l’autre. Un bon repas chez un chef étoilé finit trop souvent gâché par un pavé de sucre déguisé en dessert design.

Tout cela est aussi écœurant (au sens propre) que dangereux. Toute cette addiction organisée au sucre aboutit invariablement à une addition : qui doit payer la facture sanitaire ? L’industrie agroalimentaire qui masque sous le sucre l’insipidité des autres ingrédients par manque de qualité ou de qualité ? Elle rend malades des milliers de familles n’ayant pas les moyens ou le temps de cuisiner. La même industrie forge le goût du consommateur selon les pays, voire selon les régions (les territoires d’outre-mer en particulier, v. infra), en surdosant volontairement. Elle agit comme l’industrie du tabac qui a longtemps conditionné les consommateurs pour favoriser le tabagisme par addiction (G. Dubois et C.-E. Dubois, Le Rideau de fumée. Les méthodes secrètes de l'industrie du tabac, éd. Seuil, 2003. V. plus récemment, R. N. Proctor, Golden Holocaust - La conspiration des industriels du tabac, éd. Des Equateurs, 2014). Cette conspiration sucrière a maintes fois été documentée (B. Pellegrin, Le sucre. Enquête sur l'autre poudre, Illustrated édition, 2017 ; W. F. Dufty, Sugar Blues, éd. Warner books, 1975, traduit en France sous le titre : Sugar blues : Le Roman noir du sucre blanc, éd. Guy Trédaniel, 1995).

Dans ces conditions, quelles responsabilités envisager ?

Ne peut-on pas considérer qu’il existe une tromperie au sens pénal sur la composition, lorsque dans la liste des ingrédients d’un produit alimentaire vient d’abord (par exemple) le blé, puis le sucre, puis le sirop de glucose, puis le sucre inverti, puis le dextrose et enfin le miel ou le chocolat (qui lui-même contient plus de sucre que de cacao) ? Le sucre, sous toutes ses formes, représente très souvent le premier ingrédient de nombres d’aliments industriels, mais il avance masqué, fragmenté, pour laisser apparaître en premier un ingrédient plus noble dont la quantité est en réalité insignifiante. L’article L. 441-1 du Code de la consommation punit le fait de tromper ou tenter de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, notamment sur la nature, l'espèce, l'origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises. En outre, le produit en question est dangereux pour la santé.

De façon plus générale encore, ne peut-on estimer, avec de nombreuses études à l’appui, que l’industrie sucrière et son lobby ne sont pas étrangers à ce désastre sanitaire, tant ils financent des études biaisées destinées à sous-estimer les effets du sucre (v. une recherche américaine sur le sujet, publiée en 2015, ici). Cette piste de responsabilité est plus qu’incertaine si on rappelle le précédent du tabac : la Cour d’appel de Rennes avait rejeté, en 2006, la demande d’une caisse primaire d’assurance maladie tendant à obtenir qu’un fabricant français de tabac soit condamné à l’indemniser des prestations versées aux victimes notamment de cancers liés au tabagisme (CA Rennes, 13 déc. 2006, CPAM de Saint-Nazaire c/ Société anonyme SEITA, n° 3/07284). Cela précisé, le tabac est fortement taxé, et une partie du produit de l’accise est affectée à la lutte contre les conséquences sanitaires du tabac (CIBS, art. L. 314-37). Or ce n’est pas le cas des aliments sucrés, boissons mises à part, et il serait temps que la jurisprudence évolue avec la science.

Est-il parallèlement possible d’imaginer une responsabilité de l’État sur le modèle d’autres scandales sanitaires comme ceux de l’amiante, du sang contaminé, du Mediator ou de la Dépakine ? Comme dans tous ces cas, l’État connaît le risque sanitaire, et ne met pas en œuvre les outils de prévention dont il dispose : si on ne peut nier l’existence d’une sensibilisation par les pouvoirs publics quant aux effets des excès de sucre, celle-ci ne suffit manifestement pas à diminuer les dégâts sanitaires. Une réglementation de police s’impose donc : limitations du dosage, renforcement des règles de transparence obligeant par exemple à rendre plus compréhensible la liste des ingrédients, création de « nutriscores » obligatoires dédiés au sucre, etc. 

Or il existe très peu de textes contraignants. On mentionnera ainsi deux articles du Code de la santé publique (art. L. 3232-5 et L. 3232-6) qui prévoient que la teneur en sucres ajoutés des denrées alimentaires de consommation courante destinées au consommateur final distribuées dans les collectivités d’outre-mer, ne peut être plus élevée que celle constatée dans les denrées alimentaires assimilables de la même famille les plus distribuées en France hexagonale, quelle que soit la marque utilisée ou l’enseigne. Ces dispositions résultent d’une loi du 3 juin 2013 « visant à garantir la qualité de l'offre alimentaire en outre-mer », qui faisait suite au constat que les produits alimentaires industriels à destination de ces marchés étaient considérablement « enrichis » en sucres (v. proposition de loi du 13 nov. 2012, ici).

En dehors de ces textes, pas grand-chose. La taxe sur les boissons sucrées instaurée par la loi de finances pour 2012 (CGI, art. 1613 ter) n’éduque pas le consommateur car elle est invisible. En outre, elle reste négligeable car calculée à l’hectolitre, ce qui a peu d’impact sur le prix d’une canette de soda. Surtout, elle fait payer au même consommateur une facture sanitaire dont il est plus victime que responsable. Faute de textes, et faute d’objectifs de baisse de la consommation sucrière comme il en existe pour la baisse de la pollution atmosphérique par exemple, il ne semble guère envisageable d’obtenir des succès devant le juge administratif pour carence, à l’instar des recours en faveur du climat.

En attendant, quand vous mitonnez votre pâtisserie préférée à l’aide d’une recette trouvée sur internet ou ailleurs, réduisez des trois quarts la dose de sucre indiquée. Vous vous redécouvrirez le vrai goût des autres ingrédients. 

NB : cela ne fonctionne pas pour les meringues...

 

Auteur :Jean-Paul Markus - Les Surligneurs


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