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Existe-t-il une définition juridique du « cassos » ?
Pour les personnes qui auraient vieilli en restant à côté du monde réel et qui n’ont jamais entendu le mot « cassos », ce qualificatif peu glorieux n’est pas loin de s’appliquer à elles.
Ce mot-valise pour « cas social » fait l’objet d’études très sérieuses de la part des linguistes (P. Ukhova, « De l’expression du mépris au marquage d’une solidarité : l’emploi ontotypique de cassos, beauf, bolos, crevard, kéké et kikoo dans les discours spontanés entre jeunes », Revue de linguistique et de didactique des langues (Lidil), 61/2020, éd. UGA Éditions/Université Grenoble Alpes, v. ici). Ils y voient une marque de mépris de la part du locuteur, qui désigne ainsi une personne cible qu’il entend dévaluer, tout en se valorisant lui-même. Ce mot a donc une force illocutoire, puisque celui qui l’énonce se positionne en même temps dans un groupe dit normal tout en poussant une autre personne vers d’autres groupes supposés inférieurs. « Cassos » répond aussi à la définition de ce que les linguistes appellent les « sociotypes » (J. Bres, « Sociotypes, contresociotypes : un récit nommé désir », Revue Littérature, 1989, n° 76, p. 74) : « bourge », « beauf » déjà anciens, le plus récent « bolos », et notre « cassos ». Ces sociotypes sont à distinguer des ontotypes, attachés à certaines caractéristiques de l’individu visé (par ex. « relou », « blonde ») indépendamment de sa condition sociale, même si les deux peuvent être liés.
Selon des jeunes interrogés (P. Ukhova, préc.), le « cassos » est une « personne en grande difficulté financière ou sociale », ou encore un « cas désespéré, une personne peu intelligente ou complètement décalée », dont le style est « douteux ». Dans tous les cas, elle serait marginale et de fait marginalisée par le locuteur. Le mot « cassos » peut aussi servir à s’auto-désigner (ex. « j’étais fringué comme un cassos »), mais il s’agit alors d’autodérision à visée humoristique : le locuteur se défend d’être « cassos » lorsqu’il est habillé « normalement ». Il n’est « cassos » que par accident voire par jeu : il se fait peur, ou se rassure (c’est selon !).
Reste qu’il faut déceler dans ce mot un mépris de classe, ce que les sociologues cette fois n’ont pas manqué de pointer : l’expression « cas social » vise « les fractions les plus fragilisées des classes populaires », sans travail et vivant des aides sociales (R. Challier, « S'engager au Front national pour ne plus être des « cassos » ? Le rôle du mépris de classe dans une campagne municipale », Revue Sociétés contemporaines, 2020/3, n° 119, p. 61). Ainsi « Le terme de « cassos » est utilisé très communément dans les conversations des groupes de pairs de condition sociale proche. Les habitants « respectables » diront ainsi d'Untel que c'est « un cassos ». Des quartiers (« les HLM ») ou des îlots d'habitat populaire (…) seront désignés avec répulsion comme « remplis de cassos » » (R. Challier, préc.). D’autres sociologues relèvent dans cette expression, lorsqu’elle est utilisée par des adultes, un positionnement de classe sociale basse-moyenne, à l’égard de ceux qui sont clairement relégués au fond du classement, considérés comme des profiteurs ne vivant que de la générosité d’un système social financé par ceux qui travaillent (S. Legris, « La conscience sociale des Gilets jaunes : étude sociologique de représentations en lutte », Revue Mots. Les langages du politique, 2022-2 n° 129, p. 125).
Ces explications provenant des sciences humaines et sociales rendent le mot « cassos » plus lisible juridiquement : le « cassos » est donc chômeur de longue durée, bénéficiaire des aides sociales ; il rechigne à mettre en œuvre tous les moyens qu’il faudrait pour sortir de cette condition, tels que droit à la formation, recherche d’emploi et réponse aux convocations pour entretiens d’embauche. Il ne respecte donc pas ses obligations en tant que bénéficiaire du système de protection sociale, et devrait donc logiquement être privé de certaines de ces aides (comme les allocations de chômage), afin de le remettre au travail. Stigmatiser des personnes en les désignant comme « cassos » revient donc en même temps à appeler une réforme du système de protection sociale, jugé trop généreux à l’égard de certains profiteurs : il y aurait peut-être moins de « cassos » s’il y avait moins d’aides et donc moins d’impôts pesant sur ceux qui travaillent pour financer ces aides. Et ajoutons, pour faire référence à l’actualité récente : il n’y aurait pas besoin de régulariser des étrangers sans papiers… Tout un programme électoral derrière un mot.
En revanche, lorsque ce même mot est utilisé dans une cour de récréation, entre élèves, il prend une autre tournure juridique car un enfant ne peut bénéficier par lui-même d’allocations, et ne peut être qualifié d’assisté : il désigne alors l’élève « héritier » de la condition sociale supposée de ses parents. Le « cassos » congénital. Il désigne surtout l’élève qui, pour des raisons subjectives, devrait être exclu des avantages liés à la convivialité scolaire, parce qu’il ne jouerait pas le jeu collectif en ne mimant pas les autres (peu importe qu’il n’en ait ni les moyens, ni la capacité, ni même l’envie). Juridiquement, le mot prend alors une autre consistance : dès lors qu’un enfant ne choisit pas sa classe sociale, le fait de le marginaliser en le traitant de « cassos » crée une discrimination fondée sur des présupposés, qui peut en outre tourner au harcèlement scolaire lorsque cela se répète et s’étend, par exemple aux réseaux sociaux. Cela ne donne pas de définition du « cassos », mais cela permet de qualifier son utilisation : c’est un délit (C. pén., art. 222-33-2-3).
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