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Le billet

[ 20 mars 2018 ] Imprimer

Faisons un peu de théorie du droit avec weight watchers

En cette saison de carême, il peut ne pas être inutile de s'interroger sur les rapports singuliers que peuvent entretenir théorie du droit et programmes de réduction de poids. N'y voyez, chers lecteurs, aucune ironie ni aucun sarcasme sous-jacent, mais il est vrai que les systèmes normatifs simples sont souvent utilisés par les théoriciens du droit pour illustrer leurs analyses. C'est que les systèmes normatifs plus complexes se prêtent mal à la modélisation théorique.

Le programme weight watchers que vous pouvez retrouver sur tout bon instrument électronique à votre disposition est fondé sur un système de « points » attribués à chaque portion d'aliments et un programme individualisé de réduction de poids fondé sur la consommation quotidienne d'un certain nombre de « points ». Autrement dit, si vous cherchez à perdre x kilogrammes dans un mois, en fonction de vos paramètres « personnalisés », le programme vous assignera un nombre de points quotidien et il vous appartiendra de choisir vos aliments en fonction de ce total. Par exemple une pizza (22 points) vous consommera une très large partie de votre total quotidien alors qu'un yaourt à zéro % (0 point) pourra être consommé de manière indéfinie.

Une lecture attentive des conditions générales du site weight watchers montre que celui-ci, et c'est bien naturel, ne prend aucun engagement en termes de résultats : respecteriez-vous les objectifs et les attributions quotidiennes de points et n'obtiendriez-vous pas les résultats escomptés en termes de perte de poids que vous ne pourriez naturellement pas rechercher la responsabilité de l'entreprise. C'est bien naturel et à la vérité ce n'est pas là de la théorie du droit mais du droit des contrats et de la consommation bien compris.

Ce qui est plus intéressant, en termes théoriques,  repose sur bien d'autres facteurs.

Le premier concerne les modalités de réduction en nombre d'un système éminemment complexe qui est celui de la nutrition humaine. Sous peine de perdre sa lisibilité le programme ne peut évidemment pas restituer les qualités nutritionnelles spécifiques de chaque ingrédient et se voit par conséquent contraint de procéder à des simplifications. Ainsi, une banane, un morceau de poisson, ou encore le yaourt à 0 % déjà cité seront classés dans la catégorie des aliments à 0 point, ce qui fera sursauter n'importe quel nutritionniste un peu averti.

Mais ce faisant, le programme weight watchers ne fait que reproduire ce qui constitue l'essence de chaque système normatif qui consiste à réduire des comportements hétérogènes en une norme simple. Ainsi par exemple une obligation de loyauté ou un comportement convenable ou encore une obligation de prudence constituent l'expression simplifiée de situations bien plus complexe dans la réalité.

La différence toutefois entre le programme weight watchers et les standards juridiques que nous venons d'évoquer repose dans le fait que ces derniers sont soumis à une double voire une triple appréciation intellectuelle (celle du débiteur de l'obligation, celle du créancier de la même obligation puis en cas de désaccord celle d'un juge) alors qu’en matière de réduction de poids le programme est seul juge de cette simplification et la personne qui suit le programme n'a comme seule option que de l'accepter ou de renoncer à le suivre.

Si l'on poursuit un peu plus loin, on se rend compte des dangers que peut nous faire courir cette forme de simplification normative : je  respecte mon programme en mangeant 100 yaourts à 0 %, je le viole en mangeant 2 pizzas. On voit donc que la transformation d'un système complexe en norme simple génère nécessairement des absurdités et que mon libre arbitre, ou tout simplement mon intelligence, doive me conduire à rectifier les effets de cette normativité.

Si l'on s'arrête un instant à cette question, comment ne pas penser aux systèmes algorithmiques comme le peu regretté APB, désormais Parcours Sup, qui en réduisant la trajectoire scolaire d'un élève en données chiffrées peut également conduire à des conséquences incohérentes. Et comment ne pas constater qu'en n'écartant en la matière toute intervention de l'intelligence humaine au profit d'un système purement mathématique on s'interdit de remettre en cause ses conséquences absurdes pouvant résulter de l'algorithme.

La deuxième observation qui peut être faite tient à ce que la réduction en normes simples de situations complexes mettant conflit des logiques que l'on peut qualifier de « libérales » et d'autres « d'interventionnistes ». En effet dans l'opération de réduction normative celui qui en a la charge doit nécessairement déterminer sur la base de quelle grille d'analyse il va privilégier, neutraliser ou au contraire la prise en compte de tel ou tel facteur.

Ainsi par exemple, notre programme de réduction de poids pourrait évaluer les points attribués à chaque aliment sur la seule base de leur valeur calorique, ou de leur teneur en sucre, ou en matière grasse tout autre composant ayant des enjeux en matière nutritionnelle. Pourtant tel n'a pas été son choix. Là encore si l'on explore les pages Internet qui ne sont pas immédiatement accessibles on se rend compte que la détermination du nombre de points attribués à certains aliments dépend de considérations moins objectives. Par exemple, nous dit weight watchers, tous les poissons frais ou fumés se verront attribuer la valeur de 0 point non pas en raison de leurs caractéristiques nutritionnelles mais en considération d'une recommandation de l'agence nationale de sécurité sanitaire et alimentaire qui considère que les Français devraient manger deux fois par semaine du poisson et que cet objectif n'est que très rarement atteint.

Autrement dit là où on pourrait escompter que notre programme repose sur des données mathématiques et objectives qui permettraient à notre intelligence et à notre libre arbitre de s'exercer, il repose en réalité sur une politique publique, un programme de santé publique auxquels ils ne nous donnent d'ailleurs accès que de manière très discrète et très ambiguë.

Mais si l'on y réfléchit un instant, n'est-ce pas le propre de tous les systèmes normatifs, même fondés simplement sur des données chiffrées ou mathématiques que de reposer sur des logiques analogues. L'exemple d'APB que nous avons pris un peu plus haut pondère également les différentes notes en fonction de politiques publiques (la proximité des établissements, les objectifs de mixité géographique et sociale…) et même des dispositifs aussi simples que les limitations de vitesse n'échappent pas à ces enjeux.

Autrement dit tout système normatif, même s'il se présente comme chiffré, mathématique, objectif, n'est en réalité que le produit de décisions humaines qui l'orientent et le structurent.

On l'aura compris avec ces quelques illustrations simplifiées, l'exemple des programmes de perte de poids nous montre à quel point la normativité automatisée et algorithmique peut-être menaçante : sous couvert d'objectivité elle s'assigne en réalité des objectifs auxquels ses destinataires ont du mal à accéder et encore plus à opérer leur contestation sauf à sortir du système. Elle procède donc à des formes de normalisation des comportements en privant les destinataires de la norme du pouvoir de leur libre arbitre et de leur intelligence. Et cela est de toute évidence aussi préoccupant que menaçant.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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