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Le billet
Faudra-t-il cacher le nuage de cendres derrière un rideau de fumée ?
Tout proche de l'effet papillon, l'irruption d'un volcan islandais aura donc interrompu pendant 5 jours la circulation aérienne sur la majeure partie de l'Europe, et engendré des conséquences sur le transport aérien du monde entier.
Cet événement naturel, qui n'est pas en lui-même d'une véritable gravité, qui n'a provoqué aucun dégât direct, non plus qu'aucun décès, présente un intérêt majeur : désinvesti de tout pathos catastrophiste, il a agi comme un révélateur en temps réel des réseaux d'interdépendances de nos sociétés complexes.
Dans le domaine juridique, tout particulièrement, il a mis en évidence les « chaînes du droit » activées à cette occasion.
Les chaînes contractuelles privées tout d'abord, entre les voyageurs, les voyagistes, les transporteurs aériens, et les assurances de chacun de ces intervenants.
Les chaînes de droit public ensuite, sur la détermination de la compétence pour décider de fermer l'espace aérien, depuis les États, jusqu'à la régulation ou la coordination européenne.
Les chaînes de droit économique enfin, sur les compétences pour accorder des aides, sur les impacts concurrentiels de celles-ci, sur la suspicion européenne à l'égard des États qui pourraient en profiter pour subventionner des secteurs fragilisés.
Bref, à peine quelques jours après son déclenchement, cette irruption a provoqué une poussée de magma juridique d'une ampleur considérable.
Mais si l'on ne veut pas se contenter de cette constatation en forme d'étonnement et avancer un peu dans l'analyse, il est permis de relever plusieurs axes intéressants de réflexion sur ces déploiements de chaînes de droit.
D'abord, comme souvent dans les matières juridiques, les notions limites, ici celle de force majeure, jouent un rôle essentiel dans la révélation des systèmes de droit dont elles font partie. C'est parce que la force majeure est un impensé contractuel, que sa survenance provoque un choc sur toutes les relations contractuelles. Car si la force majeure est l'évènement qui justifie la mise à l'écart des stipulations contractuelles des temps ordinaires, elle oblige aussi à la création de nouveaux ordres contractuels pour permettre qu'il y soit survécu.
Ensuite, ce nuage montre à quel point l'intégration des droits nationaux, européens, internationaux est aujourd'hui profonde : aucune des décisions d'aucun des acteurs ne peut s'abstraire de cadres juridiques s'étendant au-delà d'un État. Et il est encore à noter de ce point de vue à quel point ce droit, ces droits, entretiennent des relations post-kelsenniennes : il n'est plus question dans ce contexte de hiérarchisation du droit, mais au contraire d'un droit multipolaire dont les valeurs changent en fonction des relations et des interactions avec d'autres objets : ce droit n'est plus kantien, il est quantique.
Enfin, cet événement révèle une activité intense et captivante qui fait étrangement penser à celle d'une fourmilière ayant reçu un coup de pied : chacun des acteurs s'affaire à restructurer un ordre bouleversé, à créer de nouvelles cohérences, à prendre en compte les donnés factuels complexes et nouveaux pour conserver une activité sociale efficiente. Il nous donne à voir, en somme, la « réparation du droit », ou la « réparation par le droit ».
Tous ces mouvements du système juridique, toutes ces réflexions sur ce qu'est le droit qu'ils impliquent sont trop importants, trop puissants pour ne faire l'objet que de lectures rationalisées et rationalisatrices, dans chaque champ disciplinaire.
Assurément non, donc, il ne faut pas cacher ce nuage de cendres derrière un rideau de fumée normalisateur et simplificateur : il faut au contraire s'efforcer de le lire dans toutes les forces et les enjeux globaux qu'il a mis en branle.
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