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Féminisation du Conseil d’État : un si long chemin
Le « plafond de verre » qui empêche l’accès des femmes aux fonctions les plus élevées des organisations ou institutions dont elles font partie touche tout particulièrement les plus hautes institutions de la République, et parmi elles, au premier chef, le Conseil d’État.
Est-ce la prise conscience de cette situation qui a conduit le Conseil d’État a engagé un processus de négociation visant à la signature d’un « protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes de la juridiction administrative », signé le 6 juillet 2021 ? En partie sans doute même si l’établissement de ce document était également une obligation légale.
Sa publication nous donne l’occasion de réfléchir sur la manière dont ce « plafond de verre » peut-être brisé si l’on nous autorise à filer la métaphore vitrière.
Commençons par un exemple très frappant : Lorsque l’Assemblée du Conseil d’État statua, en 1989, sur le si célèbre arrêt Nicolo, cette formation de jugement comprenait 3 femmes sur 12 membres. Si elle avait dû y statuer de nouveau la semaine dernière, au moment du début de la rédaction de ce billet (et sans tenir compte des modifications apportées à sa composition) elle en aurait encore compris 3 … (Cette semaine, par la grâce d’une nouvelle nomination à la tête de la Section des finances, elle en comprendrait 4). Et si l’arrêt Nicolo était rendu dans la composition actuelle de l’Assemblée du contentieux, qui comprend désormais 15 membres permanents, elle n’en comprendrait toujours que 4…
Autant dire qu’en un peu plus de trente années, la féminisation des plus hautes fonctions du Conseil d’État n’a enregistré aucun progrès important, que ce soit au niveau des présidences de section, des présidences de chambre et, a fortiori, de la Vice-Présidence.
Ce « protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes de la juridiction administrative », contient-il des propositions qui soient en mesure de faire évoluer significativement cette situation ? Malgré les propos introductifs très optimistes du Vice-Président, il est permis d’en douter, et c’est plutôt une impression de prudence voire d’ambiguïté qui se dégage de la lecture de la « mesure 1.11 » de l’axe 1 (p. 18) qui est consacrée à ce sujet, ainsi que de la fiche action qui la complète (annexe, p. 92).
Rappelons en tout d’abord le texte :
« Assurer une représentation équilibrée dans l’accès au grade de président et présidente des TACAA et aux emplois supérieurs au sein de la juridiction administrative
(…) Le Conseil d’État se donne pour objectif d’atteindre, sur une période de cinq ans, une cible de 40 % :
- de promotions, pour chaque sexe, au grade de président des TACAA ;
- de primo-nominations, pour chaque sexe, aux emplois de chef de juridiction, et de président de chambre ou de section au Conseil d’État ».
Notons déjà qu’à la manière d’un « budget carbone », l’essentiel de l’effort est reporté à plus tard puisqu’il ne s’agit pas de nommer dès aujourd’hui au moins 40 % de femmes. Il ne s’agit pas non plus que dans 5 ans il y ait au moins 40 % de femmes en poste ; non : il faut simplement que dans 5 ans il y ait 40% des nominations qui soient féminines. Compte tenu de la durée d’exercice de ces fonctions par les membres actuels ou nommés au cours de la période de 5 années, cela signifie que l’objectif d’avoir 40% de femmes occupant des emplois supérieurs au Conseil d’État est renvoyé à une dizaine d’années environ…
Et encore y a-t-il entre la mesure 1.11 et la « fiche action » établie en annexe qui fixe les modalités concrètes pour y parvenir une discordance étonnante : seuls les emplois de Présidents de chambre sont mentionnés dans cette dernière, ceux de Présidents de section, en revanche, n’y figurent plus. Sans parler du statut du Vice-Président qui, bien évidemment tire de son unicité l’impossibilité de l’astreindre à des taux de nominations féminines.
Cet objectif est d’autant plus modeste que, comme le rappelle le Vice-Président dans ses propos introductifs, le Conseil d’État comprend 38% de femmes de sorte qu’en définitive ce qui est visé c’est à peine le maintien de la composition « naturelle » de l’institution au niveau de ses emplois supérieurs.
Si l’on passe de l’objectif fixé aux moyens qui lui ont assignés, le scepticisme s’accroît encore. Les mesures proposées sont en effet les suivantes :
« Appel à candidature systématique en interne.
« Appel à candidature à destination des membres à l’extérieur (…).
« Constitution de viviers.
« Recours aux dispositifs d’accompagnement spécifiques et personnalisés (revue des cadres, coaching, mentorat, MAPP etc…) pour susciter davantage de candidatures féminines ».
Autant, appliquées aux juridictions du fond de telles propositions peuvent avoir un certain sens, autant pour ce qui concerne le Conseil d’État, c’est éminemment douteux : l’ordre du tableau dûment reporté dans chaque édition de l’annuaire du Conseil d’État est parfaitement intégré par ses membres qui savent parfaitement à quel moment de leur carrière ils seront en situation d’accéder à une fonction de présidence de chambre ou de section. Et l’idée qu’il faille offrir à des conseillères d’État chevronnées des séances « coaching » ou de « mentorat » pour qu’elles posent leur candidature laisse un pareil sentiment de doute.
Au total, ce protocole s’avère finalement très en retrait de ce que la loi Sauvadet impose au reste de la haute fonction publique et dont l’application se révèle un succès puisqu’en 2020, les primo nominations de femmes à des postes de dirigeants a atteint 42% (V. ici). Il montre sur ce point la très grande difficulté pour les grands corps à prendre véritablement en charge la question de la parité et pose finalement la question de savoir s’il ne faudrait pas passer à un dispositif contraignant. En cette période de réforme pour l’accès à la haute fonction publique, ce serait parfaitement opportun.
Et puis, en conclusion on peut souligner qu’il y aura dans les mois prochains une occasion unique de donner un symbole fort d’une réelle ambition de la féminisation des hautes fonctions du Conseil d’État : la nomination à sa tête d’une Vice-Présidente…
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