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Le billet

[ 4 février 2014 ] Imprimer

Fini de rire !

François Cavanna est mort un jeudi, le jour des enfants quand je l’étais encore. Inventeur des journaux satyriques bêtes et méchants, lui et ses complices (Choron, Reiser, Topor, Wolinski, Siné, Wilhem et compagnie) maniaient l’humour comme une arme fatale contre l’ordre établi, la bêtise humaine, la loi du plus fort, l’opium du peuple et pour la liberté.

Est-ce un signe, est-ce un hasard, mais le rital aux belles bacchantes a tiré sa révérence au moment même où sévit dans le pays de Bedos, Coluche et Desproges, le vent mauvais de la censure, des rappels à l’ordre des ligues de vertu et des cris d’orfraie des « pères et mères la morale » ?

Par ordre d’entrée en scène, c’est d’abord le Conseil d’État himself qui, au nom de la dignité humaine, a fait préventivement fermer sa grande gueule à un humoriste, naguère génie de l’humour noir, devenu avec le temps mauvais héraut d’une petite armée de quenelles indigestes ! « La décision d’interdire, c’est-à-dire de censurer, un spectacle vivant dont le contenu était susceptible d’être modifié au dernier moment sous prétexte de lutter contre une forme d’antisémitisme moins dangereuse que d’autres manifestations de racisme qui laissent l’opinion généralement indifférente, apparaît comme une faute politique et une sottise morale ». CQFD. Ce n’est pas un disciple de Dieudonné, pauvre diable vendu à la cause de la bête immonde, qui s’est fendu de cet avis décapant, mais Me Thierry Lévy, grand avocat pénaliste.

C’est ensuite le tour du CSA qui a adressé une mise en demeure à Canal+, dont les Guignols de l’info avaient jadis été salués par un vibrant « droit à l’humour » proclamé par la Cour de cassation, pour un sketch parodique sur le génocide au Rwanda, pour atteinte à la dignité des victimes. Même s’il était permis de ne pas en rire, il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’il s’agissait surtout de se moquer de la bonne conscience dégoulinante ces bobos qui vont se promener, sous l’œil des caméras, dans des terres inconnues. Mais le fameux esprit Canal n’a pas trouvé grâce aux yeux de l’autorité administrative indépendante, laquelle, drapée dans sa bien-pensance, a asséné son implacable verdict : « de tels propos sont en eux-mêmes, et quel que soit leur contexte, attentatoires aux personnes frappées par un génocide». Chez ces gens-là, on ne rit pas, messieurs, on ne rit pas…

C’est, enfin, au tour de « monsieur fils », Nicolas Bedos, d’être rattrapé par la patrouille pour une chronique publiée dans Marianne, intitulée « Indolence insulaire », dans laquelle il raconte ses vacances aux Antilles. Au menu, « boudin créole » en entrée, et « autochtones oisifs » en plat de résistance. Pas besoin d’avoir sa licence en droit pour comprendre que Bedos trempe sa plume dans l’encre du second degré, si ce n’est du troisième. Mais rien n’y fait, le Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais s’est plaint du caractère raciste des propos en question : «Même au 3e degré, on ne peut pas s'en prendre à un groupe humain de la sorte». Même si ce n’est pas avec n’importe qui, on ne peut donc plus rire de tout.

Bon voyage Cavanna et n’aies pas trop de regrets ! Ceux qui, grâce à toi et à ton équipe de pirates de l’humour bête et méchant, sont morts de rire plus souvent qu’à leur tour te saluent et entonnent un requiem pour feu leur roi Richard.

 

Auteur :Denis Mazeaud


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