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Le billet
Flexible loi
Le qualificatif serait a priori plutôt flatteur si l’on songe à ce qu’y comprenait Carbonnier en l’appliquant au Droit, invitant à force de flexibilité à « une sociologie du droit sans rigueur ». Dans l’actualité récente, il vient à l’esprit de manière plus péjorative, évoquant une élasticité propice à l’instrumentalisation.
Certes, reconnaissons-le, faire la loi a toujours été une façon parmi d’autres de faire non seulement une politique mais aussi de la politique. Du moins s’efforçait-on peut-être de sauver les apparences. Aujourd’hui, les « géniteurs » de la loi ne prennent plus guère ce genre de précaution et se défendent à peine d’en user comme d’une vulgaire arme dédiée à la guerre de communication politique. Et comme pour leur faire écho, ceux qui sont censés assurer l’interprétation de la loi ne semblent pas toujours vouloir s’embarrasser de scrupules pour se l’approprier et mener leur propre « politique ».
L’actualité de la semaine fournit — au moins — deux illustrations du premier phénomène quand le second s’incarne assez bien dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mai.
La réforme des retraites présentée comme d’une urgente nécessité doit se concrétiser nous dit-on dès l’automne. Quiconque oserait faire part de ses doutes sur la pertinence d’un tel calendrier législatif passerait immédiatement pour un irresponsable, a fortiori en ces temps tourmentés où l’austérité retrouve des partisans. Reste que la réforme annoncée ne concernera pas les régimes spéciaux (ce que l’on claironne beaucoup moins), ces régimes de retraite dont le déficit outrepasse dit-on les cinq milliards, comblé par… le régime général qu’il est urgent de mettre à la diète !
Comment donc une norme censée exprimer la volonté générale pourrait-elle à ce point verser dans l’incohérence ? La réponse est simple et prosaïque : les salariés des régimes spéciaux ont un pouvoir de résistance probablement supérieur à ceux du régime général, et du coup les niches sociales pourront attendre !
Si l’on ne répugne pas à élaborer une loi tronquée au nom de calculs politiciens, ceux-ci affleurent de manière assez ostensible sous le feu nourri de « réformes » produites en certains domaines, en particulier pour ce qui touche à la délinquance et à la sécurité.
Interrogé cette semaine par la journal Le Monde, et questionné sur l’opportunité de ces projets de textes ultra « réactifs », concoctés à la hâte en suite d’un fait divers, le ministre de l’Intérieur se borne à répondre que « face à la délinquance, il y aura autant de lois, décrets, textes que nécessaire ». Et de tenter de justifier cette avalanche de textes par la considération de l’évolution des formes de délinquance, et notamment le développement des vols de téléphone portable et l’apparition de la délinquance en « bandes ».
On ignorait que la soustraction du portable appartenant à autrui ne pouvait entrer dans les prévisions du Code pénal. Quant à la nouveauté du phénomène des bandes…
Instrumentalisée à l’envi dans sa production, la loi n’échappe pas toujours à une certaine forme de « captation », ou à tout le moins d’appropriation autoritaire par ceux qui sont chargés de l’interpréter. Là, le phénomène est encore plus ancien et si courant qu’il peut passer inaperçu. Reste tout de même un certain sentiment de malaise, à voir par exemple la Cour de cassation « décréter » dans un arrêt tout récent que le harcèlement moral peut résulter de vexations diverses (annonce de rétrogradations, propos dévalorisants) infligées à un salarié au cours d’un seul entretien, quand l’article L. 1152-1 du Code du travail comme l’article L. 222-33-2 du Code pénal font du caractère répété des agissements le premier élément de sa définition (à l’instar d’ailleurs des dictionnaires usuels de la langue française évoquant des « assauts incessants et réitérés »).
Une trahison du sens des mots pour la bonne cause dira-t-on… Au risque toutefois de faire perdre à ce qui est aussi un délit (la chambre criminelle aura-t-elle l’audace d’adopter la même interprétation extensive quand l’enjeu n’est pas dans la détermination de l’imputabilité de la rupture mais dans l’application d’une peine ?) déjà raillé parfois pour son évanescence juridique la crédibilité qui lui reste.
Les deux phénomènes ci-dessus évoqués semblent a priori étrangers l’un à l’autre. Toute correspondance n’est pourtant pas à exclure. À montrer autant de cynisme et de désinvolture dans l’élaboration de la loi, le politique n’est guère fondé à reprocher au juge de la réécrire à sa guise.
Références
■ Article L. 1152-1 du Code du travail
« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
■ Article L. 222-33-2 du Code pénal
« Le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
■ Soc. 26 mai 2010, n°08-43.152.
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