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[ 11 février 2019 ] Imprimer

Gloire et déboire du statut de Maître de conférences

Récemment, le Conseil constitutionnel a indiqué chercher à recruter un Maître de conférences afin de lui confier une mission en lien avec les questions prioritaires de constitutionnalité. Pourquoi un Maître de conférences et non, de manière générique, un enseignant-chercheur, c’est-à-dire soit un Maître de conférences, soit un Professeur des Universités ? Parce que le chargé de mission recherché était considéré comme « junior » et devait en conséquence travailler sous la subordination de magistrats.

Autrement dit, s’il n’est pas acceptable qu’un Professeur des Universités ait le rang de « Junior », cela le serait parfaitement pour un Maître de conférences…

Cette triste affaire illustre la méconnaissance généralisée du statut de Maître de conférences et, disons-le d’emblée, le manque de reconnaissance de ces derniers en dehors de l’Université, mais, plus grave encore, au sein même de l’Université.

Pourtant, devenir Maître de conférences n’est pas simple, tant s’en faut. 

D’abord, les candidats doivent être titulaires d’un doctorat, soit du plus haut diplôme délivré par l’Université. Or, les thèses destinées à ouvrir la voie universitaire sont, en général, effectuées en quatre ou cinq ans, ce qui porte le niveau d’études après le baccalauréat à neuf ou dix ans. Le titre de docteur ne suffit pas pour devenir Maître de conférences. 

Encore faut-il, ensuite, que la thèse et, plus généralement, les travaux du candidat soient jugés de qualité suffisante par le Conseil national des Universités qui à la charge de délivrer, ou non, la qualification aux fonctions de Maître de conférences. La section 01 du CNU, qui connaît des thèses de droit privé, qualifie par exemple de 25 à 33% des thèses qui lui sont présentées ; les trous du tamis ne sont donc pas très larges.

Docteur en droit et qualifié aux fonctions de Maître de conférences par le CNU, l’aspirant enseignant-chercheur n’a pas terminé son parcours du combattant. Il faudra, enfin, qu’il soit recruté par une Université ayant décidé de mettre un poste au concours. Or, il y a toujours moins de postes que de personnes qualifiées, ce qui crée un dernier filtre.

C’est uniquement la passion pour la recherche et le goût de l’enseignement qui permettent aux candidats d’endurer ce parcours, jalonné, au mieux, de contrats précaires et de périodes de chômage. En effet, si le Saint-Graal est atteint, il prendra la forme, en tout début de carrière, d’un traitement de 2200 euros brut mensuel, soit environ 1800 euros net (ce traitement pourra toutefois atteindre 5000 euros brut mensuel, soit environ 4200 euros net en toute fin de carrière, pour une partie seulement des Maîtres de conférences).

Indépendamment du traitement, les Maîtres de conférences souffrent de leur place dans la hiérarchie universitaire. 

Le système en vigueur place les Professeurs des Universités tout en haut, et les Maîtres de conférences tout en bas. Les premiers sont, plus souvent qu’à leur tour, invités à faire des interventions dans des colloques, y compris parfois sur des sujets qu’ils maîtrisent moins bien que certains Maîtres de conférences, trustent les directions de diplômes prestigieux, réservent des commentaires dans les revues importantes et choisissent leurs cours en premier.

Qu’à cela ne tienne, les Maîtres de conférences n’ont-ils pas à devenir Professeurs ? 

Certes, mais le système est sclérosé. 

L’accès principal au corps des Professeurs se fait, en droit, par le biais de l’agrégation. Or, il serait grand temps que ce concours soit réformé, ce à quoi s’oppose farouchement un certain nombre d’agrégés

Sur ce thème, il y aurait beaucoup à dire, notamment sur les prétendus mérites de la « leçon de 24 heures » qui ne sert qu’à décrocher des « Ah » et des « Oh » de non-juristes tout esbaudis d’apprendre que le valeureux agrégé n’a pas dormi une nuit…

Quoi qu’il en soit, les autres voies d’accès au corps des Professeurs sont aujourd’hui marginalisées et se résument à une poignée contingentée de postes par an, la situation budgétaire des Universités n’arrangeant évidemment rien.

Il serait donc temps que le système actuel soit réformé et qu’il soit mis en place deux voies d’accès, à parts égales, au corps des Professeurs :

D’un côté, un concours d’agrégation réformé dont les modalités seraient conçues pour favoriser l’égalité des candidats. Quand se décidera-t-on, enfin, à imposer une épreuve écrite anonyme sur un sujet commun et à réformer les spécialités ? Le principe du concours doit toutefois être conservé car il permet un accès rapide, pour ne pas dire instantané, au corps des Professeurs. Il offre ainsi une grande liberté à ceux qui en sont titulaires puisqu’il leur permet de s’exprimer sans crainte de représailles sur la suite de leur carrière. C’est d’ailleurs de cette liberté dont use le signataire de ces lignes.

De l’autre, une voie, qui ne devrait pas être considérée comme moins prestigieuse, permettant aux Maîtres de conférences de démontrer que leur investissement dans l’Université sur le plan pédagogique, administratif et de la recherche justifie leur accès au corps des Professeurs. 

Et que l’on ne réponde pas que ce système est déjà en vigueur ! 

Le système actuel place en effet l’agrégation en tant que « voie principale », parfois qualifiée de « royale », les autres voies d’accès étant considérées comme des voies de « rattrapage », que les « gardiens du temple » veillent à laisser marginales, quantitativement, par le contingentement, et qualitativement, en imposant des critères de qualification farfelus, qu’un certain nombre d’agrégés ne remplissent d’ailleurs pas…

Lorsque tous les Maîtres de conférences auront fini d’être dégoutés par l’absence de réelles perspectives d’évolution, l’Université cessera purement et simplement de fonctionner. 

Doit-on attendre qu’on en arrive là avant de réagir et d’entamer une véritable réflexion sur le statut des enseignants-chercheurs ?

 

Auteur :Mathias Latina


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