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Grandeur et décadence d’une autorité administrative indépendante : la CADA
Au commencement était la loi du 17 juillet 1978. Sous l’intitulé peu explicite de « portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal » que goutait cette ère de la technocratie elle instituait, dans son titre premier une « liberté d’accès aux documents administratifs » conçue comme une composante du « droit d’accès à l’information » des administrés. Elle prévoyait la communicabilité « de plein droit » des documents administratifs, sous quelques réserves, et confiait à une « Commission d’accès aux documents administratifs » chargée « de veiller au respect de la liberté d’accès ». Ce texte s’inscrivait dans le grand mouvement de la « transparence administrative » initié dans les années 1970 sous l’influence des mouvements de la réforme de l’État issus des milieux de la deuxième gauche et qui vit émerger en quelques années le contrôle de l’utilisation des données informatiques, le droit à la motivation des décisions administrative, l’opposabilité des circulaires, l’information sur les délais de recours, etc…
La CADA, comme on l’appela rapidement de manière familière, fut une vigie remarquable de ce nouveau droit, secondée par la jurisprudence du Conseil d’État : la notion de « document administratif » communicable fut entendue de manière extensive, le cercle des entités produisant de tels documents également (notamment en ce qui concerne les personnes morales de droit privé chargées d’une mission de service public) et les secrets susceptibles d’empêcher la communication de documents furent au contraire appréciés restrictivement. Tout à fait caractéristique de cette tendance fut sa jurisprudence sur « l’occultation », qui permettait la communication de documents qui aurait contenu des informations nominatives ou de secrets, après occultation de ceux-ci. Elle le soulignait elle-même dans son rapport d’activité pour l’année 2002 « L’importance du nombre d’avis favorables s’explique également par le fait que la CADA a déterminé des règles d’accès qui permettent de privilégier la transparence autant que possible et de limiter la portée des exceptions à la communication au strict nécessaire » (rapport d’activité 2002, p. 17. Les rapports d’activités anciens ne sont plus disponibles sur le site internet actuel de la CADA, il est possible de les retrouver en utilisant la « wayback machine » du site internet archives.org). Sa jurisprudence fut aussi libérale sur des questions très délicates comme celle de la communicabilité des archives de la guerre d’Algérie. Ainsi, en 2003, elle soulignait que sur 15 demandes d’accès dérogatoire (c’est-à-dire avant la date de communicabilité de plein droit desdites archives elle avait rendu 9 avis favorables).
Tout ceci fit de la CADA une institution reconnue, qui connaissait une activité soutenue, rendant en moyenne 5000 avis et conseils par an dans un délai moyen d’une quarantaine de jours (délai un peu supérieur au délai d’un mois, en raison du retard de certaines administrations à répondre aux communications qui leur étaient faites, v. rapport d’activité 2003, p. 32).
Mais, pour des raisons qui sont difficiles à expliquer, la machine s’est progressivement dérèglée.
D’abord, l’ambitieuse jurisprudence sur l’étendue du droit de communication s’est progressivement estompée au profit d’une conception plus large de la notion de secret. Avant le début des années 2010, le taux d’avis défavorables pour des documents portant atteinte à des secrets tels que le secret de la défense nationale, de la politique extérieure, des archives, des délibérations du Gouvernement ne dépassait pas, dans chacun de ces secteurs, 1% des avis défavorables, qui eux-mêmes représentaient 10% des avis des 4 à 5000 avis rendus chaque année. Autrement dit, c’était tout au plus un à deux avis défavorables par an qui étaient rendus dans chacun de ces domaines (V. rapport d’activité 2009, p. 52 s.). Aujourd’hui, et de manière symptomatique, les rapports d’activité de la CADA ne mentionnent plus les avis défavorables par type de secret. Mais en s’appuyant sur la base « opendata », on peut constater que pour l’année 2019, 11 avis ont été partiellement ou totalement défavorables en s’appuyant sur le seul secret de la défense nationale ! L’augmentation est saisissante. Alors sans doute, une telle évolution peut s’expliquer aussi par d’autres facteurs et notamment des demandes plus nombreuses dans ce domaine, mais il n’en reste pas moins qu’elle traduit bien la perméabilité de la CADA aux enjeux du secret.
Symptomatique est également l’évolution de la jurisprudence sur « l’occultation », notamment dans le domaine des bases de données. Depuis plusieurs années la Commission considère que lorsqu’une base de données contient des informations communicables et d’autres qui ne le sont pas, la communication de la partie communicable n’est admise que si l’occultation des données couvertes par un secret ne nécessite pas « d'efforts disproportionnés qui excèderaient les sujétions que le législateur a entendu faire peser sur l'administration » (V. par ex. avis n° 2019-1147 du 26 sept. 2019). Autrement dit, il suffit à l’administration ne concevoir des bases de données mêlant données communicables et non communicables et d’invoquer une difficulté technique pour faire échapper des jeux considérables de données au droit à communication.
Et enfin, depuis quelques mois des voix s’élèvent depuis des horizons très différents pour critiquer les logiques de plus en plus restrictives de la CADA. C’est l’association Regards citoyens qui critique des «reculs en série » de la jurisprudence. C’est une tribune récemment publiée par quatre journalistes dans Dalloz actualité qui souligne que « La CADA se refuse d’être le promoteur des principes constitutionnels de transparence de l’action publique. Jamais elle ne dénonce l’obstruction manifeste d’une administration, même lorsque celle-ci se moque ouvertement des usagers. Jamais elle ne défend ses principes auprès du Parlement ». C’est le journal Le Monde rapportant le 17 octobre dernier que « l’organisme français chargé de délivrer le certificat de conformité européen (CE) à ces produits, avait refusé de donner au Monde la liste des dispositifs auxquels il avait délivré le précieux label, ainsi que la liste de ceux qui avaient échoué à l’obtenir. La CADA lui avait donné raison, reprenant son argumentaire sur le fait que ces informations relevaient d’informations commerciales ou stratégiques protégées par le secret des affaires », décision finalement annulée par le Tribunal administratif de Paris (Le Monde, 17 oct. 2020).
Et puis il y a également ce qu’il est convenu d’appeler un véritable effondrement du fonctionnement administratif de la CADA. En 2002, avec 10 rapporteurs et 5 rédacteurs la CADA rendait 5000 avis par an dans un délai de 42 jours. En 2019 avec 17 rapporteurs et chargés de mission et 8 rédacteurs, elle rend 5600 avis dont 2000 par une procédure accélérée qui ne nécessite plus la réunion du collège et cela dans un délai moyen de 179 jours…
Il n’est guère besoin de conclure, tant ces constats et ces chiffres parlent d’eux-mêmes. Simplement on se doit de constater que plus de 40 ans après le vote de la loi de 1978, pour remettre en cause la culture du secret de l’administration française qui perdure et peut-être même se renforce malgré les grandes proclamations sur « l’open data », il est temps de faire des choix politiques et administratifs crédibles au premier rang desquels figure celui de redonner à la CADA sa place au centre du dispositif. Pas uniquement en en augmentant les moyens, mais en en modifiant la composition pour donner à la société civile et aux personnes investies dans les questions de libertés d’accès aux documents et données une plus grande place. En la dotant également de procédures juridiques coercitives : utilisations d’enquêtes, « name and shame », etc… Ce ne sont pas les solutions qui manquent. Ce n’est qu’à ce prix que la consécration constitutionnelle du « droit d’accès aux documents administratifs » récemment opérée par le Conseil constitutionnel (3 avr. 2020, n° 2020-834 QPC) pourra prendre tout son sens.
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