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Implants cérébraux : pour une consécration de neuro-droits
La convergence homme/machine annoncée par les transhumanistes ne relève désormais plus de la science-fiction. Les annonces se multiplient ces derniers mois concernant le développement d’implants cérébraux en vue de remédier à une situation de handicap physique ou aux effets de maladies neurologiques.
Des tétraplégiques ont pu remarcher grâce à un exosquelette connecté au cerveau, ou encore grâce à une interface cerveau-moelle épinière (un implant cérébral connecté à un autre implant au niveau de la moelle épinière). Plusieurs patients souffrant de sclérose latérale amyotrophique (SLA, plus communément appelée la « maladie de Charcot ») ont également bénéficié de ces innovations technologiques médicales. L’un, souffrant d’importants troubles de la parole, a pu prononcer un discours grâce à une neuroprothèse vocale interprétant les signaux cérébraux et les transformant en texte (v. « An Accurate and Rapidly Calibrating Speech Neuroprosthesis ? », New England Journal of Medicine (2024), ici). L’autre, est capable de contrôler plusieurs appareils numériques (téléphone, ordinateur, assistant personnel) par la pensée grâce à une interface insérée dans la veine jugulaire (par la société Synchron). La société Neuralink d’Elon Musk a annoncé que son implant cérébral avait d’ores et déjà permis à des personnes paralysées de faire de même.
Si ces avancées technologiques offrent d’importants espoirs sur le plan thérapeutique, elles ne sont toutefois pas sans soulever de nombreux enjeux éthiques et sociétaux.
■ La possibilité d’accéder aux données cérébrales, autrement dit à la part la plus intime de chacun, laisse entrevoir l’éventualité d’atteintes importantes à la vie privée. Leur traitement algorithmique pourrait conduire à l’émergence d’outils de profilage et de surveillance susceptibles de conduire vers une société de contrôle ou vers la multiplication de discriminations fondées sur l’état de santé mentale. Plus avant, une dérive vers la modification des pensées et l’influence du comportement d’autrui, faisant disparaître tout libre arbitre, pourrait être crainte. Tel est également le cas de la tentation d’augmenter cognitivement l’Humain (neuroenhancement), objectif expressément poursuivi, à terme, par la société Neuralink.
■ La protection des données cérébrales offertes par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) est insuffisante, ces dernières ne relevant pas automatiquement de la catégorie des données sensibles, dont le traitement est en principe interdit (même si des exceptions sont prévues par l’art. 9). Rappelons que le principe est au contraire celui de la possibilité d’organiser le traitement des autres données à caractère personnel, dès lors que ce dernier est licite (c’est-à-dire justifié par une des bases légales listées par l’art. 6). Les données cérébrales seront considérées comme sensibles si elles peuvent être qualifiées de données de santé, ou encore si elles révèlent des informations d’ordre sexuel, politique ou religieux (conformément à l’art. 9, § 1). Le particularisme des données cérébrales devrait pourtant suffire à les qualifier, dans tous les cas, de données sensibles. Il appert essentiel de les protéger spécifiquement, du fait de la forte atteinte à l’intimité de la personne concernée susceptible d’en découler, la personne humaine étant en quelque sorte « disséminée » dans ces données qui constituent la trace numérique de son esprit.
■ Le caractère disruptif des neuro-technologies qui sont en train d’être développées invite à repenser les droits et libertés fondamentaux traditionnels. Il est ainsi envisagé de consacrer des neuro-droits afin de protéger l’intégrité psychique de chaque être humain. Le Chili s’est engagé dans cette voie dès 2021, en inscrivant dans sa Constitution que « Le développement scientifique et technologique est au service des individus et s’effectue dans le respect de la vie et de l’intégrité physique et mentale. » Un consensus semble émerger en ce sens au niveau international. Le Comité international de bioéthique de l’UNESCO a proposé de compléter la liste traditionnelle des droits de l’Homme par la création de neuro-droits dans son rapport Aspects éthiques des neuro-technologies, adopté en décembre 2021. L’État du Colorado a depuis adopté une loi pour protéger la confidentialité des données neuronales en 2023. En France, l’idée a également été reprise par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). En 2022, sa note « Les neuro-technologies : défis scientifiques et éthiques » invitait ainsi à « définir un cadre législatif protecteur, proche de celui adopté au Chili, en mettant l’accent sur la sécurité des dispositifs, le respect du droit à l’intégrité de son corps et du droit à la vie privée, la protection des données personnelles, y compris les données issues de l’enregistrement de l’activité cérébrale ».
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