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Hannoukka, l'Élysée et la laïcité
On se souvient de cette scène à l’Élysée en décembre 2023, lors de la fête juive de Hanoukka, qui avait fait polémique car on y voyait un rabbin allumer une bougie et prier en compagnie d’autres religieux (v. « La célébration de la fête juive de Hanoukka à l’Elysée suscite l’indignation du monde politique », Le Monde, 8 déc. 2023). Le Conseil d'État vient de rejeter la requête d’une association de défense de la laïcité, sans réellement résoudre le problème de fond.
Rappelons les circonstances : le Président de la République avait convié des représentants de la communauté juive dont le Grand Rabbin de France à l’occasion de la remise d’un prix au titre de la lutte contre l’antisémitisme. Cet événement était programmé au premier jour de la fête de Hanoukka, qui en dure huit et s’inaugure par l’allumage de la première des huit bougies du chandelier appelé Hanoukka. Une fête joyeuse qui voit les enfants comblés de petits cadeaux chacun des huit soirs. C’était donc aussi l’occasion de rendre hommage à la culture juive, comme cela se fait également pour les autres cultures, en montrant une partie des rites. Après tout, quand le maire d’une ville inaugure chaque année les lumières de Noël, il rend également hommage à une culture religieuse.
Toutefois, ce qui devait être une cérémonie culturelle s’est subitement transformée en cérémonie cultuelle, car en réalité un rabbin ne doit pas allumer une bougie de Hanoukka sans prier. On a donc vu, dans la salle des réceptions du Palais de l’Élysée, devant un président visiblement embarrassé, une prière, très abrégée certes, mais une prière, dans un lieu de service public par excellence (v. « La fête juive d"Hanouka célébrée à l'Élysée, Macron crée la polémique », Le Parisien sur Youtube).
Tout porte à croire que ni le Président, ni le Grand Rabbin de France n’avaient anticipé cela. Le second avait même hésité et cherché du regard l’approbation du premier, avant d’allumer la bougie. Reste qu’il y a eu atteinte au principe de laïcité. Une bonne partie du monde politique s’en est ému, ainsi que la presse, dont Les Surligneurs (v. ici).
Sur recours entre autres d’une association de défense de la laïcité, le Conseil d’État a reconnu « qu’à l’occasion de l’organisation d’une réception dans le Palais de l’Élysée, au cours de laquelle le prix « Lord Jakobovits » a été remis au Président de la République par la conférence des rabbins européens, le Grand Rabbin de France a allumé une bougie et qu’une partie de l’assistance a entonné un hymne en hébreu » (CE 30 oct. 2024, n° 490587). Mais il rejeta le recours au motif qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que le Président de la République aurait pris une décision autorisant la tenue d’une cérémonie religieuse ». Les requérants avaient en effet demandé l’annulation « pour excès de pouvoir (de) la décision par laquelle le Président de la République aurait autorisé la tenue d’une cérémonie religieuse dans le Palais de l’Élysée le 7 décembre 2023 ». Par conséquent, tranche la Haute Juridiction, « le Premier ministre est fondé à soutenir que les conclusions tendant à son annulation sont irrecevables ».
Et c’est là toute l’ambiguïté, sur laquelle joue le Conseil d’État. Il ne fait aucun doute, on le redit, que le Président, en accueillant cet événement, n’a pas autorisé une cérémonie religieuse à l’Élysée, mais un événement culturel. Il est difficile de croire qu’un président puisse autoriser par avance la tenue d’une cérémonie religieuse en son palais, de même qu’il est difficile d’imaginer une sorte de « préméditation » de la part du Grand Rabbin. Il n’y avait donc rien à attaquer de ce côté, ce qui justifiait l’irrecevabilité opposée par le Conseil d'État.
Dans ce cas, les requérants auraient-il dû diriger autrement leur recours ? Au lieu de demander l’annulation de la décision du Président d’autoriser une cérémonie qu’il n’avait aucunement prévue ni donc autorisée, n’aurait-il pas fallu demander l’annulation de la décision de ne pas empêcher cette cérémonie au moment où elle commençait, soit à titre principal, soit à titre subsidiaire ?
Si le Président n’a pas autorisé la cérémonie religieuse, il ne l’a pas empêchée ni écourtée. C’est cette décision de ne pas agir au moment où la tenue d’une cérémonie religieuse en plein Palais de l’Élysée devenait manifeste, qui pouvait être considérée comme illégale. Reste que le constat d’une telle illégalité aurait eu un caractère bien platonique en pratique, car il n’aurait pas emporté de conséquences sur les faits tels qu’ils se sont déroulés.
Jean-Paul Markus
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