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Harcèlement moral : quelles règles pour les enquêtes internes aux entreprises ?
L'affaire tranchée par la chambre sociale le 17 mars 2021 (17 mars 2021 n° 18-25.597) pose une question intéressante et qui n'avait jamais été abordée comme telle : l'employeur doit-il informer les salariés soupçonnés de faits de harcèlement qu'il a engagé à leur encontre une enquête destinée à faire la lumière sur la situation ?
La cour d'appel de Paris avait refusé de tenir compte des résultats d'une telle enquête menée par un psychologue extérieur à l'entreprise à l'encontre d'une cadre d'une entreprise de communication. L'enquête avait révélé à la fois des propos insultants et discriminatoires et des brimades contre les collaborateurs qu'elle était chargée d'encadrer. Selon la cour d'appel, l'enquête, menée à l'insu de la salariée, portait atteinte tant aux règles de la loyauté qu'à l'article L. 1224-4 du Code du travail.
La Cour de cassation casse cette décision en visant à la fois « l'article L. 1222-4 du code du travail et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ».
La chambre sociale précise en premier lieu que le premier texte n'est pas applicable aux enquêtes internes menées contre des salariés dans l'entreprise. La lettre du texte aurait pu le laisser entendre : il indique qu'« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ». Mais le terme « dispositif » renvoie, selon la Cour de cassation uniquement à des « dispositifs de contrôle clandestins ». La Cour de cassation entend ainsi cantonner ce texte aux hypothèses auxquelles ce texte avait jusqu'ici été appliqué : les dispositifs de surveillance (vidéosurveillance, contrôle des communications, géolocalisation, etc.). Dans un sens voisin, des arrêts avaient déjà considéré que ni un contrôle par un service de l'entreprise (Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18.427), ni un audit interne (Soc. 26 janv. 2016, n° 14-19.002) ne relevaient de ce texte. Une enquête, qu'elle soit menée par des collaborateurs de l'entreprise ou par un expert qui lui est extérieure n'a donc pas à être soumise à ce texte.
En second lieu, le principe de loyauté, mis en exergue par le visa peut-il davantage être mobilisé ? Il n'en est rien : une enquête « ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance ».
La cause paraît ainsi rondement expédiée : l'enquête menée par l'employeur sur des faits supposément commis par un salarié relève du pouvoir de contrôle inhérent à l'exercice du lien de subordination. L'employeur n'a ni à en informer le salarié préalablement, ni à soumettre à la contradiction les découvertes qu'elle révèle ni les conclusions auxquelles elle mène.
Peut-on aussi rapidement mettre hors de contrôle ces enquêtes, intégrées à des procédures disciplinaires ?
La question méritait d'être posée. L'obligation de prévention pesant sur l'entreprise en matière de harcèlement impose à l'employeur de s'enquérir sérieusement des situations susceptibles de caractériser des faits de harcèlement. L'Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail impose à ce titre que les « plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ».
L'importance de ces enquêtes avait conduit la cour d'appel de Paris, au nom d'un principe de loyauté qui aurait irrigué les procédures non-contentieuses internes à l'entreprise, à considérer que les preuves ne pouvaient être recevables faute d'avoir pu être présentées dans un débat préalable avec le salarié. D'autres juges du fond semblent avoir également adopté un tel raisonnement (voir Soc. 8 janv. 2020, n° 18-20.151). L'argument peut être entendu. Ces enquêtes débouchent sur des preuves ou des soupçons qui risquent d'aboutir à des procédures disciplinaires voire au licenciement du salarié. La loyauté et le respect de la contradiction n'exigent-ils pas de les soumettre à un minimum de débat avec le salarié ? La crédibilité des procédures internes aux entreprises repose sur un minimum de transparence : les salariés doivent savoir précisément de quoi ils sont accusés. La Cour de cassation ne semble guère sensible à l'argument. La loyauté, comme la contradiction, resteront réservés au stade processuel pour l'essentiel ; ce n'est qu'en cas de litige que le salarié aura la possibilité de discuter des preuves recueillies.
Les procédures disciplinaires permettent certes au salarié de bénéficier d'une partie des droits de la défense avant un éventuel procès, en laissant au salarié la possibilité d'être entendu et de présenter ses arguments, mais on peut regretter que le droit ne fasse guère de place à la loyauté des débats à ce stade. Aucune règle n'impose à l'employeur de détailler les informations sur lesquelles il s'est fondé pour prendre une sanction ou décider d'un licenciement. L'équité procédurale serait améliorée si ces procédures pouvaient s'enrichir du droit à une information précise sur les faits retenus.
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