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[ 8 octobre 2014 ] Imprimer

Hélas, Stic…(*)

La Cour européenne des droits de l’homme vient de rendre un arrêt concernant le fameux « système de traitement des infractions constatées », plus connu sous son acronyme de « fichier STIC » (CEDH 18 sept. 2014, Brunet c/ France).

Hélas, trois fois hélas, si cet arrêt pointe quelques-uns des excès du fonctionnement de ce fichier, il est très loin de rendre compte et de censurer tous les problèmes posés.

Hélas, tout d’abord, parce que le caractère concret du contrôle de la Cour a empêché celle-ci de prendre une position claire sur la durée de conservation des données dans ce fichier. Le motif de la censure de la Cour sur ce point est assez ambigu. Elle semble considérer que pour que l’ingérence dans la vie privée que constitue l’inscription au fichier STIC soit proportionnée à l’intérêt public, il faut :

– d’une part, que la durée de conservation des données soit véritablement limitée dans le temps (et elle considère ici que 20 ans pour violences volontaires sont excessifs) ;

– et, d’autre part, qu’il puisse y avoir une possibilité d’effacement avant le terme du délai de conservation, si les circonstances le justifient.

Ce faisant, la Cour qui ne fixe pas de standard, ni même de critère pour déterminer la balance entre la gravité des infractions, la durée de conservation et les conditions d’effacement anticipé ne sera que d’une faible aide pour les personnes qui cherchent à faire effacer des mentions au fichier STIC : il faudra sans doute de nouvelles saisines du Conseil d’État, voire de la Cour elle-même, avec les délais que l’on sait, pour parvenir à obtenir satisfaction.

Hélas, encore, parce que la Cour a été appelée à se prononcer sur un cas où l’information saisie dans le fichier STIC était exacte. Or, comme l’a souligné la CNIL à maintes reprises, ce qui caractérise le fichier STIC c’est le pourcentage considérable d’erreurs qui affecte, selon cette institution, 40 % des fiches de manière déterminante ! On aurait donc aimé que la Cour réfléchisse non pas sur un cas particulier mais sur une question systémique en se demandant en particulier si un système qui autorise les erreurs de saisies et n’est contrôlé que par le recours a posteriori exercé par les personnes intéressées peut être regardé comme satisfaisant aux exigences de respect de la vie privée.

Hélas, enfin, parce que la Cour ne s’est pas interrogée sur les conditions de mise en œuvre concrète du recours devant le procureur de la République visant à l’effacement de mentions : c’est à la personne qui conteste de rapporter la preuve de l’inexactitude des mentions portées, ce qui suppose – pour chaque mention – que le demandeur se rende dans le commissariat siège de l’infraction pour consulter le registre des procès-verbaux (ce qui pour des mentions entrées il y plus de dix ans est un vrai travail d’archiviste !) et obtenir copie du document. Autant dire que pour une personne qui a connu une jeunesse un peu agitée c’est un véritable parcours du combattant. Peut-on considérer qu’un tel recours est véritablement un recours effectif ? On peut sérieusement en douter car dans le cas d’un fichier de cette nature, la logique voudrait que ce soit à l’administration d’apporter la preuve de l’exactitude du contenu des informations collectées.

En conclusion. Il faut souligner que le STIC a désormais vécu, remplacé par le TAJ (traitement des antécédents judiciaires) qui constitue la fusion des bases STIC (pour la police) et JUDEX (pour la gendarmerie), reprenant pour l’essentiel les mêmes modalités de mise en œuvre, de consultation et de système de recours. Le Conseil d’État, dans un arrêt du 11 avril 2014, n’a rien vu à y redire (même si sa décision est partiellement en contradiction avec celle de la Cour, notamment sur la question des durées de conservation). Autant dire que pour les autorités publiques le TAJ doit être un long fleuve tranquille.

Références

■ (*) Titre choisi en hommage dévoué à notre maître à tous Philippe Yolka !

■ CEDH 18 sept. 2014, Brunet c/ France, n° 21010/10.

■ CE 11 avr. 2014, Ligue des droits de l'homme, n° 360759, Dalloz Actu Étudiant 9 mai 2014.

■ À propos du TAJ : http://www.cnil.fr/documentation/fichiers-en-fiche/fichier/article/taj-traitement-des-antecedents-judiciaires/

 

Auteur :Frédéric Rolin


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