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Le billet

[ 31 janvier 2022 ] Imprimer

Heurs et malheurs du doctorat en droit

 

Ces derniers temps, plusieurs initiatives ont vu le jour pour tenter de revaloriser le doctorat. Il serait grand temps, en effet, que ce diplôme, le plus haut de l’Université française, soit reconnu à sa juste valeur.

 

En France, le titre de « docteur » fait référence, dans l’inconscient collectif, aux docteurs en médecine. Il est encore assez rare que les docteurs des autres disciplines mettent en avant ce titre, dans leur vie professionnelle, ce que l’on peut d’emblée regretter. On rappellera d’ailleurs que « les titulaires du diplôme national de doctorat peuvent faire usage du titre de docteur dans tout emploi et en toute circonstance. » (C. rech., art. L. 412-1).

L’absence de prestige attaché au doctorat, en France, tranche d’ailleurs avec celui qui lui est reconnu, par exemple, outre atlantique.

Les lecteurs de ce site, qui apprécient les séries américaines, ne peuvent ignorer le poids du titre de docteur aux États-Unis. Dans la série The Big Bang Theory, Howard Wolowitz est souvent moqué par ses comparses pour n’être qu’« ingénieur », là où les autres sont docteurs en physique (Dr Leonard Leakey Hofstadter ; Dr Sheldon Lee Cooper) ou en astrophysique (Dr Rajesh Ramayan Koothrappali) (v. la vidéo ici). De même, Jason Bull, de la série éponyme Bull, est toujours présenté comme le « Docteur » Jason Bull, titulaire de « trois » doctorats en psychologie, ce qui ne manque pas d’impressionner ses interlocuteurs et lui permet d’obtenir de très confortables honoraires en contrepartie de ses services (v. la vidéo ici)…

Toujours est-il que les bons étudiants, qui seuls peuvent parvenir au bout d’une recherche doctorale, hésitent de plus en plus à faire une thèse. Le nombre de doctorants n’a donc eu de cesse de se réduire, ce qui fragilise les laboratoires de recherche et les facultés de droit, les doctorants étant souvent de bons chargés de travaux dirigés.

Comment les blâmer ? 

Lorsqu’un directeur de thèse pressenti présente les chances d’obtenir un financement pour préparer sa thèse, explique au candidat à la thèse les obstacles qu’il aura à surmonter pour intégrer l’Université (soutenance, qualification, concours), en particulier dans le contexte de précarisation grandissante des enseignants-chercheurs, informe sur la rémunération d’un Maître de conférences et déroule les possibilités pour un Maître de conférences de devenir Professeur des Universités, le candidat au doctorat, parvenu au bout de cinq années d’étude, se demande légitimement s’il a un intérêt à poursuivre pendant trois à cinq ans à l’Université. À cela s’ajoute le fait que le fléchage des financements sur les « axes prioritaires » des Universités rend encore plus difficile qu’avant l’entrée dans le doctorat. 

Auparavant, le choix d’un sujet de thèse était le fruit de la discussion entre le candidat au doctorat et le directeur de thèse. Si ce modèle n’a pas disparu, il est aujourd’hui concurrencé par des « appels à candidature ». Un directeur de thèse présente un projet de thèse aux instances de son Université et obtient un financement sur celui-ci. Il doit ensuite trouver un doctorant, d’où les appels parfois désespérés de collègues qui ne trouvent pas ledit doctorant… 

En effet, s’il est difficile de se lancer en thèse, il est encore plus difficile de le faire lorsque le sujet traite d’un thème pour lequel le candidat n’a pas d’affinité particulière. En outre, il est souvent compliqué pour un directeur de thèse d’évaluer le niveau réel d’un candidat au doctorat sur la base d’un CV et d’un mémoire de recherche qu’il n’a pas dirigé. La baisse du nombre de doctorants est ainsi, en partie, liée au passage d’une recherche libre à une recherche dirigée. À cela s’ajoute que la mode est à la pluridisciplinarité ou à la transdisciplinarité. Pour obtenir un financement, il est plus facile de présenter un projet qui est à la lisière de plusieurs disciplines. Or ce type de sujet n’a pas la faveur des sections CNU, qui sont disciplinaires. 

Certes, la qualification est en péril, puisqu’elle n’a été maintenue, en droit, qu’à titre expérimental, ce qui ne manque pas de sel… Quant au doctorat à vocation professionnelle, le coût bilan/avantage se fait encore plus ressentir à l’orée de se lancer, alors que nombre d’avocats ou de directeurs juridiques, par ignorance, continuent de s’interroger sur « l’utilité » d’un doctorat.

Que certains s’imaginent encore que le doctorant perd son temps laisse pantois. Le doctorant progresse tout au long de son doctorat. Il acquiert une culture juridique et des mécanismes de recherche qui le rendent particulièrement adaptable et performant, ce qui devrait rassurer ceux qui font de la « performance » l’alpha et l’oméga des qualités humaines. C’est donc d’abord cette ignorance qu’il faut combattre, ce à quoi s’attelle, notamment, le collectif « France doctorat » (v. le site ici).

La situation actuelle est paradoxale. Au niveau européen, le doctorat est de plus en plus prisé. Nombre de fonctionnaires français se heurtent ainsi à un plafond de verre, faute de doctorat. La solution passe par la revalorisation du doctorat et certainement pas par des doctorats délivrés « par validation des acquis de l’expérience », ce qui n’a guère de sens et constitue un péril mortel pour le doctorat lui-même.

La revalorisation du doctorat s’annonce donc comme un travail de longue haleine. De cette revalorisation dépend pourtant l’avenir de l’Université.

 

Auteur :Mathias Latina


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