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Homme politique et avocat : quand l’homme de la loi se prend pour un homme de loi !
Homme politique et avocat seraient-elles des fonctions cumulables et substituables ? À l’analyse des textes, on aurait tendance à le penser. Un représentant de la nation peut, en effet, pendant son mandat, commencer ou continuer à exercer ses fonctions d’avocat. Le cumul des fonctions est donc parfaitement envisageable. En outre, au terme de son mandat, le politique peut désormais, depuis un décret passé en force le 3 avril 2012, accéder à la profession d’avocat en profitant d’un système de passerelle (Décr. n° 2012-441, 3 avr. 2012, JO 4 avr.). Mais quelle légitimité peut-on accorder à ces hommes de la loi qui sont en même temps ou deviennent par la suite des hommes de loi ? Pour répondre à cette interrogation, deux situations doivent être distinguées : celle de l’homme politique au cours de son mandat et celle de l’homme politique à l’issue de son mandat.
▪ L’homme politique au cours de son mandat
Quelle incompatibilité pourrait exister entre la fonction d’homme politique, membre du gouvernement, député ou sénateur, et celle d’avocat ? Aucune à la lecture des textes en vigueur. Une personne élue peut continuer à exercer sa profession d’avocat. Pire encore, cette personne élue peut devenir avocat au cours de son mandat politique. Dans ce dernier cas, c’est manifestement moins la compétence juridique de l’homme politique qui est recherchée que son carnet d’adresses. La suspicion de conflit d’intérêts est ici à son comble. Ce conflit existe encore, même s’il est plus discret, lorsque l’homme politique est simplement actionnaire d’un cabinet d’avocats. L’exemple le plus symbolique est celui de notre cher président de la République actionnaire d’un important cabinet d’avocats ce que révèle sa récente déclaration du patrimoine publiée au JORF du 24 mars 2012. Cette situation est d’autant plus inacceptable que les autorités s’efforcent depuis quelques années de prévenir et de guérir les conflits d’intérêt (v. not. 1er rapport du déontologue de l’Assemblée nationale, 22 février 2012).
L’homme politique est censé agir de manière impartiale. L’intérêt général est le fondement et la limite de ses décisions. L’avocat agit dans l’intérêt de son client et la question de l’impartialité ne le concerne pas. Son rôle est de défendre au mieux son client dans le cadre d’un mandat. Or, l’intérêt général et l’intérêt particulier sont au demeurant inconciliables. En un mot, « mandat sur mandat ne vaut » ! Certains rétorqueront qu’il est malsain de laisser entendre qu’un parlementaire-avocat serait toujours mal intentionné. À dire vrai, là n’est pas la question et on ne doute pas de la probité des élus de la nation. Cependant, il faut se rappeler cet adage anglo-saxon : « justice must not only be done but be seen to be done ». C’est la suspicion de conflit d’intérêts qui mine la confiance des citoyens et qui est à l’origine d’une société de défiance (v. Y. Algan et P. Cahuc). D’autres souligneront que lorsque l’avocat est un associé de son cabinet, voire le seul associé du cabinet, comment pourrait-il suspendre son activité pendant le temps de son mandat ? Oserait-on lui suggérer, dans ce cas, de ne pas embrasser une carrière politique et d’effectuer un choix !
Quels sont les remèdes qui peuvent alors être suggérés ? À minima, il conviendrait de garantir une plus grande impartialité. L’article LO 146-1 du Code électoral, noyau dur des incompatibilités actuelles, devrait être modifié. Le rapport du Sénat sur les conflits d’intérêts est en ce sens : les parlementaires qui n’exerçaient pas avant leur mandat une profession libérale réglementée ne devraient pas se livrer, en cours de mandat, à une telle fonction. Quant à ceux qui exerçaient la profession d’avocat, ils ne devraient continuer à l’exercer pendant leur mandat qu’avec l’autorisation soit du Bureau, soit de l’autorité de déontologie. À maxima, certains hommes politiques défendent eux-mêmes la fin d’un tel cumul. Ainsi du député UMP de Haute-Savoie Lionel Tardy qui a proposé d’interdire le cumul entre l’exercice d’un mandat de député et la profession d’avocat, mais uniquement pour sa fonction de conseil et non pour sa fonction contentieuse. Mais pourquoi se limiter à la seule fonction contentieuse ? Il faudrait alors modifier par la même occasion l’article 115 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 pour rendre ces deux professions incompatibles.
Lutter, au nom du conflit d’intérêts, contre le cumul des mandats est une chose, qu’en est-il à l’issue de son mandat ? L’homme politique peut-il, en raison de son expérience, bénéficier d’un régime de passerelle lui donnant un accès direct à la profession d’avocat ?
▪ L’homme politique à l’issue de son mandat
Beaucoup d’hommes politiques sont avocats de profession et la IIIe République en est un exemple historique, véritable République des avocats. Cependant, peut-on, lorsqu’on a exercé une profession politique, revendiquer le droit, à la fin de son mandat, d’embrasser la carrière d’avocat et se voir ouvrir les bras d’une profession juridique réglementée sans passer le moindre examen de compétence ? C’est chose faite avec le décret du 3 avril 2012 qui, tout en réformant les conditions d’accès des collaborateurs et assistants parlementaires, en a profité, contre l’avis du Conseil de l’ordre du barreau de Paris et du CNB, pour étendre cette passerelle aux anciens ministres, députés et sénateurs. Revenons sur l’historique de ce qui est devenu, il faut l’avouer, une drôle d’affaire d’État.
En septembre 2010, le Conseil national des barreaux vote l’ouverture de l’accès à la profession d’avocat aux assistants parlementaires qui ont exercé une fonction se rapportant au droit pendant plus de huit ans par une modification de l’article 98 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. En janvier 2011, le directeur des affaires et du Sceau, Laurent Vallée, crie au scandale et considère comme inconcevable de réserver une telle passerelle aux assistants sans l’étendre aux « personnes ayant exercé pendant une durée suffisante des responsabilités politiques ». Le ministère de la Justice propose alors d’ajouter à l’article 97 du décret précité une dispense pour les « personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilité politiques les faisant participer à l’élaboration des lois » (art. 5 du projet), c’est-à-dire les ministres et les parlementaires. Selon la Chancellerie, il y a urgence ! Laquelle, on aura bien compris, est l’échéance électorale. Il ne faudrait pas que nos hommes politiques se retrouvent sans le sou et ils doivent pouvoir trouver dans l’avocature, à défaut d’une véritable vocation, un véritable lot de consolation. C’est contre cette urgence illégitime que s’est offusquée le président du Conseil national des barreaux, Me Christian Charrière-Bournazel, qui a rejeté le projet, le 11 février 2012. Que nenni ! C’était sans compter sur l’acharnement des politiques, le Canard enchaîné ayant révélé, le 14 mars 2012, que le projet de décret avait tout de même été transmis pour avis au Conseil d’État à la fin du mois de février. Finalement, le texte a été publié et la passerelle consacrée en exigeant une maîtrise de droit ou un diplôme équivalent, une formation en déontologie mais en refusant la mise en place d’un examen en déontologie et réglementation professionnelle comme l’exigeait toute la profession (art. 97-1, Décr. du 27 nov. 1991). Désormais, selon l’article 97-1, « Les personnes justifiant de huit ans au moins d'exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l'élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat ». Les termes relativement flous de « responsabilités publiques » et de « participation directe à l’élaboration de la loi » n’en font plus une simple passerelle mais une véritable autoroute !
L’éthique, la déontologie, la morale, tout militait en faveur du rejet d’un tel projet, du moins en l’état. L’avocature n’est pas une voie de garage en attendant les futures élections. Elle suppose une compétence juridique qui ne s’acquiert pas, à la manière d’un bon VRP, en côtoyant le client. L’avocat est tenu par un devoir de compétence. Avant de faire du droit, l’homme politique doit faire son droit ! Mais personne n’est dupe, ce n’est pas la compétence juridique des hommes politiques qui pourrait intéresser les cabinets d’avocats mais, encore une fois, leur carnet d’adresses. Coluche le disait clairement : « l’homme politique, c’est une profession où il est plus utile d’avoir des relations que des remords ». On revient alors à ce problème récurrent du conflit d’intérêts. Le réseau du parlementaire reconverti est très précieux pour une profession d’avocats qui ne se limite pas au seul contentieux et propose ses services de conseil en se livrant, sans s’en cacher, à une véritable activité de lobbying (v. O. Debouzy). Voilà une nouvelle source de suspicion à l’égard des élus dont la légitimité est pourtant en crise.
Gardons à l’esprit que l’homme de la loi n’est pas, par nature, un homme de loi et regrettons que le Premier ministre ait préféré le droit de la force à la force du droit pour voter ce texte sans l’avis préalable du Conseil d’État. Il faut donc se féliciter du recours du CNB en cours de préparation. Et que Dieu nous garde de l’équité des parlementaires !
Références
■ Y. Algan et P. Cahuc, La société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, éditions rue d’ULM, 2007.
■ O. Debouzy, « L’avocat lobbyiste », in M. Mekki (dir.), L’influence et la force normative des groupes d’intérêt, Lextenso, 2011
■ Article LO 146-1 du Code électoral
« Il est interdit à tout député de commencer à exercer une fonction de conseil qui n'était pas la sienne avant le début de son mandat.
Cette interdiction n'est pas applicable aux membres des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. »
■ Décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat
Article 115 modifié par Décr. n°95-1110 du 17 octobre 1995
« Lorsqu'un avocat s'estimant lésé dans ses intérêts professionnels par une délibération ou une décision du conseil de l'ordre entend la déférer à la cour d'appel, conformément au deuxième alinéa de l'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 précitée, il saisit préalablement de sa réclamation le bâtonnier par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans le délai de deux mois à compter de la date de notification ou de publication de la délibération ou de la décision.
La décision du conseil de l'ordre sur la réclamation doit être notifiée à l'avocat intéressé, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, dans le délai d'un mois à compter de la réception de la lettre recommandée prévue au premier alinéa.
En cas de décision de rejet de la réclamation, l'avocat peut la déférer à la cour d'appel dans les conditions prévues à l'article 16. Si, dans le délai d'un mois prévu au deuxième alinéa du présent article, aucune décision n'a été notifiée, la réclamation est considérée comme rejetée et l'avocat peut déférer dans les mêmes conditions à la cour d'appel le rejet de sa réclamation. »
Article 97 modifié par Décr. n°2012-441 du 3 avr. 2012 - art. 4
« Sont dispensés de la condition de diplôme prévue à l'article 11 (2°) de la loi du 31 décembre 1971 précitée, de la formation théorique et pratique, du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :
1° Les membres et anciens membres du Conseil d'État et les membres et anciens membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
2° Les magistrats et anciens magistrats de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes et des chambres territoriales des comptes de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie ;
3° Les magistrats et anciens magistrats de l'ordre judiciaire régis par l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
4° Les professeurs d'université chargés d'un enseignement juridique ;
5° Les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation ;
6° Les anciens avoués près les cours d'appel ;
7° Les anciens avocats inscrits à un barreau français et les anciens conseils juridiques. »
Article 97-1 créé par Décr. n°2012-441 du 3 avr. 2012 - art. 5
« Les personnes justifiant de huit ans au moins d'exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l'élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. »
Article 98 modifié par Décr. n°2012-441 du 3 avr. 2012 - art. 6
« Sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat :
1° Les notaires, les huissiers de justice, les greffiers des tribunaux de commerce, les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires au redressement et à la liquidation des entreprises, les anciens syndics et administrateurs judiciaires, les conseils en propriété industrielle et les anciens conseils en brevet d'invention ayant exercé leurs fonctions pendant cinq ans au moins ;
2° Les maîtres de conférences, les maîtres assistants et les chargés de cours, s'ils sont titulaires du diplôme de docteur en droit, en sciences économiques ou en gestion, justifiant de cinq ans d'enseignement juridique en cette qualité dans les unités de formation et de recherche ;
3° Les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises ;
4° Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale ;
5° Les juristes attachés pendant huit ans au moins à l'activité juridique d'une organisation syndicale.
6° Les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée ;
7° Les personnes mentionnées à l'article 22 de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 portant réforme de la représentation devant les cours d'appel ;
8° Les collaborateurs de député ou assistants de sénateur justifiant avoir exercé une activité juridique à titre principal avec le statut de cadre pendant au moins huit ans dans ces fonctions ;
Les personnes mentionnées aux 3°, 4°, 5°, 6° et 8° peuvent avoir exercé leurs activités dans plusieurs des fonctions visées dans ces dispositions dès lors que la durée totale de ces activités est au moins égale à huit ans. »
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