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Le billet

[ 23 novembre 2009 ] Imprimer

Identité nationale : une définition à portée de main

 

Longtemps je me suis interrogé. Bien sûr, il y avait les ficelles politiques ressemblant à des câbles : la polarisation opportuniste du débat politique sur un thème électoralement rentable à court terme (à moins qu’il ne soit préempté par plus « national » que celui qui le suscite). Mais après tout, avais-je fini par me dire, pourquoi se dérober à ce débat, et l’abandonner aux seuls calculateurs politiques ?

À vrai dire, à peine m’étais-je résolu à cette idée que je la voyais achopper sur cette notation anthropologique élémentaire selon laquelle s’il est vain de décliner l’identité nationale au pluriel, il est téméraire de vouloir en donner une définition unitaire ; et de songer au funeste dessein qui pourrait animer plus ou moins consciemment les initiateurs du débat, de faire basculer la nation, de notre conception républicaine vers une conception ethnique.

Même les justes et profondes réflexions de Renan et de Braudel sur le thème, opportunément rappelées à l’occasion (c’est au moins une vertu de ce débat que l’on ne peut contester que d’avoir exhumé au profit du plus grand nombre deux fleurons de la pensée française !) ne paraissaient pas devoir suffire à dissiper le malaise.

Remâchant malgré tout ces images d’une nation envisagée par Renan comme « une conscience morale », « une âme et un principe spirituel », « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs », et « une volonté commune dans le présent », « le désir clairement exprimé de continuer la vie commune », je m’installais comme un grand nombre de mes concitoyens devant ma petite lucarne pour assister, en un des derniers lieux de consensus national, au match de foot de l’équipe de France contre l’Irlande.

La soirée ne fut pas perdue, et s’attarder devant la télévision ne fut cette fois pas chose vaine. Pour voir la France se qualifier — au terme d’un match d’une rare médiocrité selon les spécialistes — grâce à un but (qui l’ignore encore aujourd’hui ?) marqué de la main.

Pour entendre aussi un des commentateurs sur la chaîne privée retransmettant la partie — et intéressée à l’affaire : 60 millions d’euros perdus en cas d’élimination pour la chaîne de M. Bouygues — avouer du bout des lèvres « un certain malaise », comme pour rompre le silence non moins embarrassé de ses compagnons de micro.

Pour voir notre président volontiers pourfendeur de « tabous » faire la preuve que celui du foot roi, du foot religion est encore loin de tomber (à quand un grand responsable politique avouant dans une manière de coming out qu’il déteste les jeux de ballon ?), en assénant en direct que « l’important a été acquis », la qualification, en dépit de « péripéties », affirmation reprise et amplifiée quelques heures plus tard par sa secrétaire d’État aux sports, Mme Rama Yade.

Beau moment d’unanimité tripale où la France, bigarrée des présidents d’origine hongroise, des ministres colorés et des commentateurs franchouillards, communiait dans l’absolution d’un Français des Antilles coupable d’avoir triché sciemment devant quelques millions d’yeux.

Nous voilà rassurés : la tolérance zéro volontiers brandie par M. Brice Couvre-feu n’est pas sans quelques entorses (« la règle est rigide mais la pratique est molle » comme disait Tocqueville), et l’épisode prouve aussi, diront certains, que la France du foot n’exclut personne et qu’elle n’est pas « ethnique ». Admettons. Non sans garder à l’esprit ces « supporteurs » haineux et racistes dont on ne parvient pas à débarrasser nos stades. Et si l’on tient que le foot est un laboratoire de l’identité nationale, il faut aussi s’interroger sur le sens des débordements de supporteurs de l’équipe nationale d’Algérie — vainqueur elle, à la régulière, le même soir —, des supporteurs titulaires pour certains d’une carte d’identité française.

Revenons à notre but de la main. L’identité nationale au sens républicain renvoie avant tout à une communauté de valeurs. Celles qu’exhalent ces « péripéties » footballistiques ne sont finalement pas très différentes de celles que l’on nous assène quotidiennement comme un nouveau bréviaire post-démocratique : de la « culture du résultat » en lieu et place de notions ringardes telles que le panache, la probité.

Et si la main de Thierry Henry était la redoutable parabole d’une France qui faute de pouvoir rayonner encore par la seule force de ses valeurs, tente gauchement d’exister par la gesticulation ? Il en va semble-t-il du foot comme de la diplomatie, comme l’ont montré en ce dernier domaine — parmi bien d’autres — les dossiers libyen ou tunisien : sur la scène internationale, la France n’est guère en position de donner des leçons de vertu.

Songeons au chant spartiate que rapporte encore Renan, à propos d’identité nationale : « Nous sommes ce que vous fûtes ; nous serons ce que vous êtes. »

S’il advenait, par extraordinaire, que le match soit rejoué, c’est décidé, j’apprends l’hymne Irlandais ! 

 

Auteur :Ph. B.


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