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[ 24 novembre 2025 ] Imprimer

Immunité pénale des hauts représentants de l’État : deux décisions pour l’Histoire

 

Le 25 juillet dernier (Cass. ass. plén., 25 juill. 2025, nos 24-84.071 et 24-84.393), la plus Haute juridiction de l’ordre judiciaire français, réunie en Assemblée plénière, a donné une lecture renouvelée de la coutume internationale pour permettre aux juridictions pénales françaises d’entrer en voie de condamnation pour des crimes internationaux. Sur la question sensible des immunités de juridiction des représentants de l’État devant les juridictions nationales, l’Assemblée plénière affirme désormais que les agents d'États étrangers – y compris les anciens chefs d’État – peuvent être poursuivis en France pour des faits de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. En revanche, les chefs d’État en exercice demeurent protégés par une immunité personnelle absolue pendant leur mandat, même en cas d’allégation de crime international.

■ Les problèmes juridiques posés

L’immunité de juridiction a pour objet de protéger les représentants de l’État de toute pression pendant la durée de leur mandat – voire après. Il s’agit d’un obstacle procédural, mais également d’un outil classique du droit international. Cette immunité est régulièrement invoquée pour s’opposer à des poursuites pénales intentées devant des juridictions étatiques par des chefs d'État ou des ministres, alors qu’elle n’est pas opposable aux juridictions internationales. Il en va ainsi selon l’article 27 du Statut de Rome, l’article 7 du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et l’article 6 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il en allait de même devant les juridictions militaires internationales de Nuremberg et de Tokyo en 1945.

L’immunité de juridiction se dédouble en une immunité ratione personae (immunité personnelle) et une immunité ratione materiae (immunité fonctionnelle). La première protège l'égalité souveraine des États en garantissant que ses bénéficiaires exercent leur mission sans obstacle pendant l'exercice de leur mandat - et uniquement pendant cette période. La seconde protège les actes officiels des représentants de l'État, même après que ces derniers aient quitté leurs fonctions.

À l’heure où les mots « génocide » ou « crimes de guerre » se sont emparés de nos quotidiens, où les conflits se succèdent ou s’éternisent avec leur lot d’atrocités, où la Cour pénale internationale a délivré des mandats d’arrêt contre des chefs d’État ou de gouvernement (le président russe, Vladimir Poutine, pour le crime de guerre de « déportation illégale » et le Premier ministre en exercice de l’État d’Israël, Benjamin Netanyahou, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité), où l’impunité en matière de crimes internationaux n’est plus une option, il convient d’examiner comment les juridictions étatiques peuvent apporter leur pierre à l’édifice et poursuivre pénalement des hauts représentants d’État pour des crimes gravissimes commis à l’étranger.

Si l’on constate un mouvement général au niveau européen impliquant une lecture renouvelée de la souveraineté étatique s’opposant à un usage abusif des immunités, qu’en est-il de la France ? L’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’est prononcée à l’occasion du dossier syrien, au sujet de poursuites concernant notamment l’ancien chef d’État Bachar al-Assad.

■ Les deux affaires du dossier syrien

La première affaire concerne Adib Mayaleh, franco-syrien et ancien gouverneur de la Banque centrale syrienne, mis en examen par un magistrat instructeur du Pôle crimes contre l’humanité du Tribunal judiciaire de Paris le 20 décembre 2022 notamment pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. En sa qualité d’ancien gouverneur, il a opposé son immunité fonctionnelle quant aux poursuites pénales intentées depuis la France sur le fondement de notre compétence personnelle active (C. pén., art. 113-6 : nationalité française de l’auteur des faits). Lui est reproché notamment le fait d’avoir coopéré avec des entreprises directement impliquées dans la création et le développement d’armes chimiques utilisées par le pouvoir syrien sur la population civile.

La seconde affaire concerne Bachar al-Assad, visé par un mandat d’arrêt délivré le 14 novembre 2023 par les juges d’instruction du Pôle pour complicité de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Lui sont reprochées les attaques chimiques au gaz sarin d’août 2013, dans la Gouta orientale notamment, ayant causé plus de mille morts alors qu’il était le chef de l’État syrien, donc le donneur d’ordre. Ce mandat sera annulé par l’Assemblée plénière motif pris de son immunité personnelle. Néanmoins, le Parquet national anti-terroriste a pu requérir un nouveau mandat pour ces attaques chimiques mortelles.

Depuis, un mandat d'arrêt pour complicité de crimes de guerre le visant a été délivré le 20 janvier 2025 par deux juges d'instruction relativement au bombardement d'une zone d'habitations civiles imputé au régime syrien à Deraa en 2017.

Enfin, sept mandats d’arrêt ont été délivrés le 19 août 2025 par la justice française contre d’anciens hauts dignitaires du régime syrien pour complicité de crime de guerre et complicité de crime contre l’humanité, dont Bachar Al-Assad, pour le bombardement en 2012 d’un centre de presse à Homs dans lequel deux journalistes sont décédés. Le photographe free-lance français Rémi Ochlik y a été tué par un obus de mortier et la journaliste française Édith Bouvier blessée.

Bachar al-Assad ne pouvant désormais plus opposer son immunité fonctionnelle à la suite de la décision du 25 juillet 2025 et ne bénéficiant plus d’une immunité personnelle car n’étant plus chef d’État (il a été renversé en décembre 2024), les poursuites pénales initiées à son encontre en France vont pouvoir prospérer sur le fondement de notre compétence personnelle passive puisqu’il existe une victime directe du crime de nationalité française (C. pén., art. 113-7). Il pourra même, le cas échéant, être jugé en France in abstentia.

Soulignons que la Cour pénale internationale n’a jamais émis de mandat d’arrêt à son encontre, faute pour la Syrie d’avoir adhéré au Statut du Rome et en raison du véto russe au Conseil de sécurité des Nations Unis. Ainsi, seules les juridictions étatiques ont la capacité d’engager des poursuites. C’est dire que l’Assemblée plénière assume, dans cette perspective, d’être pionnière.

■ Le droit dit par l’Assemblée plénière

Les deux décisions rendues en juillet sont historiques et elles entraînent déjà des conséquences quant aux poursuites pénales pouvant être mises en œuvre par les magistrats français. Ces deux arrêts constituent désormais le droit des immunités fonctionnelles et personnelles des représentants de l’État applicable en France.

En choisissant d’écarter l’application de l’immunité fonctionnelle en matière de crimes internationaux motif pris de l’évolution de la coutume internationale, la Cour de cassation a entendu contribuer à définir « un nouvel équilibre entre les immunités et la lutte contre l’impunité ». Les présumés responsables de ces crimes ne pourront plus se réfugier derrière leur statut d’agent de l’État pour échapper à des poursuites. Jusqu’à présent, la Haute juridiction entérinait le principe de l’existence d’exceptions aux immunités tout en renvoyant à la communauté internationale le soin de les préciser. Elle n’en relevait elle-même aucune jusqu’à cette décision du 25 juillet 2025. Ainsi par exemple, s’agissant d’allégations de terrorisme visant le chef d’État libyen alors en exercice, le colonel Mouammar Kadhafi, pour l’attentat à la bombe commis en 1989 dans un vol d’UTA ayant entraîné la mort de 170 personnes, la Cour de cassation avait affirmé en 2001 « qu’en l’état du droit international, le crime dénoncé, quelle qu’en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d’État étrangers en exercice » (Crim. 13 mars 2001, n° 00-87.215).

Le droit pénal international du XXIe siècle pose désormais une limite à ce qui pouvait être compris comme le marqueur d’une forme de courtoisie internationale : l’allégation de commission de crimes internationaux, ici le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. L’exception étant expressément limitée à ces trois qualifications, il faut en déduire que, pour l’heure, l’immunité fonctionnelle continue de s’appliquer à l’ensemble des autres infractions, aux tortures ou autres disparitions forcées notamment (Crim. 13 janv. 2021, n° 20-80.511).

La Haute Juridiction a également considéré qu’il n’y avait pas d’évolution de la coutume internationale en faveur d’exceptions au principe d’immunité personnelle des chefs d’État en exercice en matière de crimes internationaux. L’argumentaire du gouvernement français relatif à la « dé-reconnaissance » de Bachar al-Assad en tant que chef d’État légitime – qui l’aurait de facto exclu du champ de l’immunité personnelle – n’a pas prospéré. De fait, la France, à l’instar d’autres nations, avait émis un geste de protestation pacifique et rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie à partir de novembre 2012 au regard des « crimes de masse commis par le pouvoir syrien ». L’Assemblée plénière a estimé quant à elle que la reconnaissance est un « acte unilatéral et politique » et ne peut emporter de conséquences juridiques.

L’immunité personnelle se justifie par la nécessité de protéger l’intéressé contre tout acte d’autorité de la part d’un autre État, qui ferait obstacle à l’exercice des fonctions. Elle concerne les membres de la Troïka, à savoir les chefs d’État, les chefs du Gouvernement et les ministres des Affaires étrangères. Ces derniers jouissent dans les autres États d’immunités de juridiction tant civiles que pénales, qui sont le prolongement de celles reconnues à l'État lui-même. À l’égard des membres de la Troïka, l’immunité est absolue et couvre l’ensemble de leurs agissements, sans distinguer selon qu’ils se rattachent ou non à leurs fonctions publiques. Ainsi, ils ne peuvent être poursuivis pendant l’exercice de leur fonction, que l’acte soit commis à titre officiel ou privé. Au demeurant, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler que « la coutume internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui, comme en l’espèce, relèvent de la souveraineté de l’État concerné » (Crim. 23 nov. 2004, n° 04-84.265 ; 19 janv. 2010, n° 09-84.818 ; 19 mars 2013, n° 12-81.676).

Parce qu’ils représentent les plus hautes autorités d’un État étranger, la distinction classique qu’opère le droit pénal international entre l’immunité fonctionnelle et l’immunité personnelle ne se pose pas dans les mêmes termes que pour les autres agents de l’État. L'immunité fonctionnelle qui couvre les actes accomplis dans l’exercice des fonctions – à savoir à titre officiel et au nom de l’État étranger – survit à la cessation des fonctions alors que l’immunité personnelle disparaît à ce moment-là. Concernant les autres hauts représentants de l’État, ils ne bénéficient que d’une immunité fonctionnelle à laquelle il sera désormais fait exception en France en cas d’allégation de crimes internationaux.

Cette décision rendue par l’Assemblée n’est donc pas une surprise, même si elle a pu décevoir les défenseurs d’un renouveau du droit pénal international pour une pleine effectivité du droit en matière de crimes internationaux. L’arrêt d’Assemblée plénière va néanmoins permettre d’asseoir une lecture renouvelée de l’article 98 du Statut de Rome (§ 1 : « La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une demande de remise ou d'assistance qui contraindrait l'État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d'immunité des États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un État tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l'immunité »), régulièrement invoqué par un État partie pour refuser de procéder à l’arrestation d’un chef d’État en exercice visé par un mandat d’arrêt émis par une juridiction internationale.

L’arrêt donne une assise nouvelle à l’obligation de coopérer, en se posant clairement en faveur de la lutte contre l’impunité pour les crimes internationaux à l’heure où l’activité de la Cour pénale internationale est entravée et que l’espoir des juridictions pénales internationales atteint ses limites.

Références :

■ Cass. ass. plén., 25 juill. 2025, nos 24-84.071 B et 24-84.393 B : AJDA 2025. 1468 ; D. 2025. 1863, note M. Nicolas-Gréciano ; AJ pénal 2025. 405 et les obs. ; ibid. 444, note D. Brach-Thiel.

■ Crim. 13 mars 2001, n° 00-87.215  P : D. 2001. 2631, et les obs., note J.-F. Roulot ; ibid. 2355, obs. M.-H. Gozzi ; RSC 2003. 894, obs. M. Massé ; RTD civ. 2001. 699, obs. N. Molfessis.

 

Auteur :Delphine Brach-Thiel


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