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[ 14 octobre 2013 ] Imprimer

Itinéraire d’une authenticité : à propos du rapport de la Commission présidée par Laurent Aynès

On se rappelle la polémique qu’avait suscitée le rapport de la commission présidée par Jean-Michel Darrois sur les professions du droit au lendemain de sa remise au garde des Sceaux en mars 2009. Spécialement, l’arrivée d’un acte contresigné par l’avocat pourvu d’une force probante plus importante constituait, pour les avocats, une première étape qui devait progressivement leur donner accès aux fichiers immobiliers, alors exclusivement réservés aux officiers publics que sont les notaires. « Acte d’avocat » qui a d’ailleurs récemment inspiré le droit belge dans la loi du 3 juin 2013 relative à « l’acte sous seing privé contresigné par les avocats des parties ». Qu’en est-il aujourd’hui ?

Non seulement il est impossible de savoir en pratique si l’acte contresigné par l’avocat est un succès, mais surtout le fichier immobilier reste le monopole des officiers publics. Ce rapport « Darrois » avait eu cependant un effet bénéfique : obliger certaines professions à opérer un retour sur elles-mêmes, sorte d’anamnèse leur permettant de s’interroger sur leur utilité sociale. Ce fut spécialement vrai des officiers publics qui ont vu dans une formule du rapport « Darrois » une invitation à la réflexion. Selon ce rapport, « l'utilité de l'acte authentique, qui ne peut, par nature, être confié qu’à des délégataires de l’autorité publique, ne devait pas être remise en cause. Elle doit néanmoins être à l’avenir justifiée, plus qu’elle ne l’est aujourd’hui, par des motifs stricts d'intérêt général » (p. 9). C’est à cette invitation qu’a répondu le Conseil supérieur du notariat en confiant au professeur Laurent Aynès le soin d’établir un rapport sur l’authenticité, rapport officiellement déposé le 2 juillet 2013 et solennellement remis au Sénat le 25 septembre 2013.

Pour faire état de ce rapport, en quelques mots, il est utile de revenir sur la posture de ses membres, sur la structure de l’acte authentique et sur la conjoncture dans laquelle il s’intègre.

▪ Une posture – Le rapport est une réflexion générale sur l’authenticité et sur les officiers publics qui en sont à l’origine. L’objectif de la Commission est purement académique comme en témoigne sa composition. Elle est composée exclusivement d’universitaires à l’exception du directeur du CRIDON de Paris.

Notons qu’il s’agit d’un rapport exclusivement juridique, même si la contribution individuelle d’un philosophe, Roger Pol-Droit, se trouve en annexe du rapport. Quant au droit comparé, il est servi par un article de John Cartwright professeur à l’Université d’Oxford lui-même en annexe du rapport. L’œuvre se veut purement positiviste et peu de place, il faut l’avouer, est accordée aux « sciences auxiliaires ». Le rapport se veut scientifique et tente d’éviter toute polémique en recherchant, dans une démarche évolutive, à cerner les contours et les utilités de l’acte authentique en réponse à la suggestion du rapport « Darrois ».

Pour ce faire, le rapport « Aynès » inscrit l’acte authentique dans le temps : le passé, le présent et l’avenir. Ces « trois actes » du tableau sur l’authenticité constituent les trois parties du rapport : « sur les traces de l’authenticité » (Partie I), « comprendre l’authenticité » (Partie 2) et « l’avenir de l’acte authentique » (Partie 3). Cette analyse chronologique permet au rapport de peaufiner la structure de l’acte authentique et d’en apprécier l’utilité au regard d’une certaine conjoncture.

▪ Une structure – L’acte authentique et la fonction d’officier public sont-ils pourvus d’une singularité qui en ferait toute la raison d’être ? Le rapport répond par l’affirmative et s’efforce de dépecer les éléments constitutifs de l’acte authentique et de la mission confiée aux officiers publics. À la lecture du rapport, il est évident que le notariat et l’acte notarié sont les principaux concernés par les développements, même si la réflexion demeure, tout au long du rapport, axée sur l’authenticité en général. Le regard historique a permis à la Commission de démontrer que les officiers publics ne sont pas de simples écrivains publics, que l’acte authentique est un acte préventif de juridiction gracieuse et qu’il se trouve au sommet de la hiérarchie des preuves expliquant la différence entre civil law et common law.

L’analyse au présent a amené le groupe de travail à distinguer trois éléments constitutifs de l’acte authentique qui en font toute la spécificité. Il s’agit, tout d’abord, du processus d’authentification de l’article 1317 du Code civil : un officier public qui agit dans le cadre de ses attributions et qui réceptionne un acte rédigé dans le respect de certaines solennités. Il s’agit, ensuite, des attributs propres à l’acte authentique : force probante, force exécutoire, date certaine et aptitude à la publication. Enfin, et surtout, le rapport a cherché à dégager la « substance même » de l’acte authentique. C’est là l’apport majeur du rapport qui explique que l’acte authentique a souvent été imité mais n’a jamais été égalé. Il constitue « un acte instrumentaire, dressé, vérifié et conservé par l’autorité publique » (n° 73, p. 103). L’officier public dresse un acte qu’il façonne et fabrique et qu’il ne se contente pas de réceptionner de manière passive. L’officier public vérifie les données de fait et les données de droit garantissant la légalité de l’acte établi. Seul ce contrôle de légalité est le propre de l’authentification.

À l’égard du notaire, le rapport ajoute que le devoir de conseil en revanche relève de sa seule qualité de rédacteur d’acte et est partagé avec d’autres professions. Cette affirmation peut être discutée car, à l’égard du notaire, le devoir de conseil et la garantie de l’efficacité juridique de l’acte se présentent davantage comme les deux attributs du processus d’authentification. L’acte authentique est, également, conservé, les officiers publics et spécialement les notaires constituant une sorte de « mémoire du passé ». Enfin, les officiers publics constituent une autorité publique, ce qui est l’occasion pour le rapport de contester l’analyse qui a été faite par la CJUE du 24 mai 2011 refusant à l’activité notariale la qualité d’autorité publique. Cet ensemble permet au rapport de distinguer les « vrais actes authentiques » ceux des notaires, des officiers d’état civil, des commissaires-priseurs judiciaires et des juges dans leur fonction contentieuse, des « faux actes authentiques », authenticité attribuée pour des raisons « fonctionnelles ».

En parant l’acte authentique de tous ces atouts, le rapport peut facilement convaincre de l’avenir prometteur de l’acte authentique. Son adaptabilité aux nouvelles technologies et son succès au-delà de nos frontières laissent présager un bel avenir.

Si le rapport « Aynès » s’était contenté de préciser la structure de l’acte authentique, on aurait eu affaire à une simple rationalisation, à une simple remise en ordre, à une clarification de ce que sont les officiers publics et leurs actes authentiques. Au lieu de cela, existe en filigrane du rapport une réflexion permanente sur le contexte, sur l’environnement de l’acte authentique. La singularité de l’acte authentique ne se réduit pas à sa structure mais se comprend à l’aune d’une certaine conjoncture.

▪ Une conjoncture – Si l’acte authentique a la peau dure c’est surtout parce qu’il est socialement utile. Que faut-il entendre par là ? Le rapport est souvent évasif et se contente de grandes généralités. Cependant, bien que diluées tout au long du rapport, les idées essentielles sont bien là !

Il est d’abord question des mutations de l’État, de son « effritement » selon les termes du rapport. Ces mutations fondent en partie l’utilité sociale de l’acte authentique. Le retrait de l’État confère toute son importance aux officiers publics qui apparaissent comme les relais d’un État qui n’exerce plus son office de manière verticale mais de manière horizontale, au sein même des relations privées. Les officiers publics sont des agents publics qui ont pour mission de sécuriser les actes privés et jouent un rôle d’interface entre les intérêts particuliers et l’intérêt général.

L’acte authentique accompagne, ensuite, le déclin quantitatif et qualitatif de la loi au sens générique du terme. La complexité croissante du droit, le pluralisme des sources et la pulvérisation des normes sont source d’insécurité juridique et constituent une menace pour l’effectivité de la règle de droit. L’officier public apparaît de nouveau comme un acteur-relais qui garantit le respect de la norme, son effectivité, mais aussi la compréhension et l’accessibilité à la norme, ce qui en renforce la légitimité.

Enfin, l’idéologie du marché et le dogme de la modernité sont contrebalancés par l’authenticité. L’idéologie du marché part du postulat que tout peut être évalué et que toute opération peut être réduite au jeu de l’offre et de la demande. Le processus d’authentification s’impose à ce titre comme un contrepoids à l’idéologie du marché. L’authentification ne se réduit pas à une simple prestation de services. Elle constitue un service public au service du public. Quant aux effets pervers de la modernité, ils se traduisent essentiellement par ce phénomène d’accélération sociale où tout se réduit au présent et à l’immédiateté. L’acte authentique s’impose ici encore comme un contrepoids. Il permet de donner du temps au temps. Temps de la réflexion et temps de la construction que traduit d’ailleurs la définition substantielle de l’acte authentique : le temps de la rédaction, de la vérification et de la conservation par une autorité publique.

En un mot, l’acte authentique est un facteur de sécurité juridique. Le rapport limite cependant sa réflexion à la sécurité des droits subjectifs. Pourtant, si l’acte authentique est un relais de l’État, du Droit et un contrepoids au Marché et aux effets pervers de la Modernité, il contribue aussi à la sécurité du Droit objectif. Qui dit « sécurité juridique », dit « authenticité » !

S’il fallait résumer la pensée des auteurs du rapport, l’acte authentique est, au regard de sa structure et au regard de la conjoncture, bien trop singulier pour être confondu avec d’autres catégories d’actes. L’authenticité est une vertu au service de la sécurité juridique, affirmation qui n’est pas sans rappeler les paroles d’un célèbre groupe de rap français : « oui j’ose revendiquer notre authenticité car voilà une vertu bien rare de nos jours pour être attribuée à tort et à travers, trop vite adjugée à des gens qui ne sont que des blaires ».

Références

Article 1317 du Code civil

« L'acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises.

Il peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. »

CJUE 24 mai 2011, Commission c/ France, n°C-50/08.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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