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Le billet
Je suis laïque…
Laïcité, terrorisme, valeurs républicaines, « islam radical », Apartheid, religion, l’affaire « Baby loup », islam de France, extrémismes, liberté d’expression, antisémitisme, islamophobie… Les mots se succèdent, les propositions affluent, les remèdes se multiplient sans que l’on sache vraiment de quoi il est question.
Les actes terroristes perpétrés contre les journalistes de Charlie Hebdo, contre les victimes de l'hypercacher et contre les représentants de la force publique ont apparemment libéré les esprits et déliés les langues. Véritable tour de Babel, chacun y va de sa petite phrase, de sa brève opinion ou de sa grande pensée, comme si les événements des 7 et 9 janvier avaient été un électrochoc causant à chacun d’entre nous et à nos représentants politiques une sensation de vertige et une perte de repères.
Si ce temps du deuil et du bilan n’était que le fruit d’un attachement incommensurable et viscéral à la liberté d’expression, il n’y aurait rien à dire. Problème majeur cependant : pour évoquer ces actes terroristes, on dresse très (trop ?) souvent l’étendard de la laïcité sans aucune explication, opérant une confusion entre actes terroristes et religions. Or, cette cacophonie constitue le berceau des amalgames.
Que tout le monde en appelle au respect de la laïcité est une bonne chose car il n’est pas sans lien avec les problèmes que rencontre aujourd’hui la France. Selon l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». La laïcité consiste dans le respect de toutes les religions, sans qu’aucune d’elles ne soient avantagées par l’État. Il ne s’agit pas d’exclure toute manifestation religieuse des lieux publics, mais de respecter le vivre ensemble.
Pour renforcer ce respect de toutes les croyances, un programme de sensibilisation et d’éducation est actuellement préparé par Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Même si la discussion persiste sur les modalités de cette éducation à la laïcité, l’objectif est de sensibiliser dès le plus jeune âge au sens et aux enjeux de la laïcité. D’ailleurs, et pour être précis, ce n’est pas seulement la laïcité qui est visée mais la citoyenneté en rappelant et en expliquant ce que sont les valeurs de la République.
Si l’ensemble des propositions doit être approuvé et encouragé, elles se mêlent cependant à un discours plus général sur l’islam en France, sur l’antisémitisme grandissant et sur la liberté d’expression, qui se révèle très dangereux car il alimente l’amalgame entre les actes terroristes du mois de janvier et la place des religions en France.
Face aux attentats, il faut brandir l’étendard de la liberté d’expression, les symboles de la citoyenneté, les grandes valeurs de la République. Face à ces actes odieux, il faut remédier à l’échec de la socialisation et à l’impuissance de la pensée humaniste ; mais arrêtons d’user et d’abuser du principe de laïcité dont on essaye de faire l’Alpha et l’Omega de tous les problèmes en France.
Alors la vraie question, au lendemain des attentats, est de savoir comment lutter efficacement, en amont et en aval, contre la « fabrication » de ces bombes humaines. Car, en effet, on ne naît pas terroriste, on le devient.
En amont, de nombreuses initiatives visent à recréer du lien social avec une partie de la population. Cette situation qualifiée d’ « Apartheid », pour marquer les esprits par un mot maladroit mais fort de sens, suppose que la politique de la ville et la politique sociale persistent et s’accentuent. Tous les gouvernements ont pris depuis bien longtemps conscience de cet impératif mais, a priori, les mesures sont insuffisantes. Il faut recréer cette proximité entre les citoyens, la société civile et la République.
Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem propose, en ce sens, de lutter contre le « décrochage » à l’école et de rappeler et expliquer les valeurs de la République. Onze mesures sont proposées par la ministre telles que « renforcer la transmission des valeurs de la République », « rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains » ou encore « créer un nouveau parcours éducatif ». Comme l’affirme la ministre, l’école « ne tolère aucune remise en cause des valeurs de la République ». Il faut donc lutter contre le « repli identitaire (…) et les théories du complot ».
Tout cela est très appréciable. Le ministère parle ainsi d’encourager « la laïcité et l’enseignement moral et civique ». Certes, la laïcité est liée à la citoyenneté dont les valeurs doivent être rappelées et expliquées ; mais attention à la confusion des esprits : les croyants et les pratiquants ne sont pas des terroristes en puissance !
En aval, certains proposent diverses mesures pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. L’une d’entre elles consiste à priver les « djihadistes » français de leur nationalité, ce qui est maladroitement appelé « la peine d’indignité nationale » dont les termes rappellent l’ancienne « indignité nationale » punie par une « dégradation nationale », sanction infligée aux collaborateurs sous Vichy.
Dans ce contexte, une décision n°2014-439 (QPC) du Conseil constitutionnel du 23 janvier 2015 a confirmé la déchéance de la nationalité d’un « djihadiste » français d’origine marocaine. Les articles 25 1° et 25-1 du Code civil, qui prévoient une telle sanction, sont ainsi jugés conformes à la Constitution.
Peut-on généraliser cette règle ? Ce n’est pas certain car le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur des textes qui existent déjà et qui n’admettent une telle déchéance que pour les binationaux (pour éviter d’en faire des apatrides) et à certaines conditions prévues à l’article 25-1 du Code civil. Une grande partie des « djihadistes » ne sera donc pas concernée par cette disposition.
En outre, si on modifie les textes pour en étendre le champ d’application, il n’est pas certain que cela soit vraiment dissuasif à l’encontre de nombreux djihadistes qui, une fois à l’étranger, ont pour premier geste symbolique de brûler leurs papiers d’identité nationaux en signe de protestation.
En définitive, je pense donc… je suis Charlie et laïque. Il faut cependant lutter ensemble contre les amalgames. Le débat sur le terrorisme et le fanatisme ne doit pas être circonscrit au principe de laïcité.
Références
■ Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. »
■ Cons. const., 23 janv. 2015, n°2014-439 QPC.
■ Code civil
« L'individu qui a acquis la qualité de Français peut, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat, être déchu de la nationalité française, sauf si la déchéance a pour résultat de le rendre apatride :
1° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ;
2° S'il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du code pénal ;
3° S'il est condamné pour s'être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national ;
4° S'il s'est livré au profit d'un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France. »
« La déchéance n'est encourue que si les faits reprochés à l'intéressé et visés à l'article 25 se sont produits antérieurement à l'acquisition de la nationalité française ou dans le délai de dix ans à compter de la date de cette acquisition.
Elle ne peut être prononcée que dans le délai de dix ans à compter de la perpétration desdits faits.
Si les faits reprochés à l'intéressé sont visés au 1° de l'article 25, les délais mentionnés aux deux alinéas précédents sont portés à quinze ans. »
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