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Le billet
Justice en cages
Piqûre de rappel académique pour commencer cette petite prose. En vertu de l’article 318 du Code de procédure pénale, « l’accusé comparaît libre et seulement accompagné de gardes pour l’empêcher de s’évader » ; tel est donc le principe qui, en tant que tel, peut comporter des exceptions, lesquelles doivent être restrictivement interprétées, comme tout juriste digne de ce nom le sait.
Il n’est pas illégitime de se demander si, au ministère de la justice, ces règles de base n’ont pas été oubliées, sinon violées purement et simplement. Une visite, si tant est qu’il soit possible de la pénétrer, de la nouvelle forteresse judiciaire immaculée, qui abrite désormais le TGI de Paris conduit pour le moins à en douter. Le Palais de Justice des Batignolles comporte, en effet, 90 salles d'audience dont 27 d'audience pénale. Or, il était prévu, d'implanter des box vitrés dans 13 de ces salles. Devant l’émoi suscité chez les avocats par cette carcérale architecture d’intérieur, le Président Jean-Michel Hayat avait, dans un premier temps, annoncé qu’il réduirait ce nombre de 13 à 9, en supprimant notamment les cages vitrées et closes dans la chambre consacrée aux comparutions immédiates. Mais la grogne des avocats ne s’était pas atténuée pour autant. Il est vrai que 9 chambres ainsi équipées sur 27, cela fait encore un tiers, ce qui, pour une exception, fait un peu beaucoup… Le Président du Tribunal a alors récemment fait savoir qu’il souhaitait réduire ce nombre à 5. Mais la colère des avocats continue de gronder : ceux-ci réclament la suppression pure et simple de toutes ces cages vitrées du nouvel écrin dans lequel doit être rendue la justice parisienne du XXIe siècle.
Mais quelle mouche a donc piqué le Ministère de la justice ? Officiellement ces box vitrés sont justifiés par « la nécessité pour les palais de justice de se doter de salles suffisamment sécurisées » ; « l’utilisation de box vitrés fermés permet ainsi d’assurer une sécurité adaptée lors de certains procès, comme les procès d’assises, les audiences liées au terrorisme ou à la criminalité organisée ». Fort bien ! Cet hymne à la sécurité doit donc être fondé sur des statistiques effrayantes pour qu’on en arrive à de telles extrémités ! Or, si on s’en tient aux chiffres du ministère de la justice, en 2016, on ne dénombre que 88 incidents d’audience pour… 700 000 procès, étant entendu que ce chiffre comprend les incidents extérieurs à la salle d’audience. Bizarre…, vous avez dit bizarre… ?
On comprend mieux alors la fronde des avocats, indignés par la présence de ces cages vitrées, qui ne sont d’ailleurs pas l’apanage du TGI de Paris. Comment ne pas dénoncer, comme ils le font avec vigueur, les atteintes à la présomption d’innocence, aux droits de la défense et au respect de la dignité humaine, qu’emporte cette justice rendue envers un prévenu ou un accusé en cage ? Enfermé, le justiciable est déjà comme emprisonné avant même d’être condamné. « Encagé », il lui est quasiment impossible de communiquer avec son avocat et avec son juge. « Engeôlé », il n’est plus l’acteur de son procès, mais tout au plus un pâle figurant.
Cette architecture sécuritaire, symbolisée par ces geôles en verre, emporte indiscutablement une désincarnation de la justice, rendue dans des prétoires froids, abstraits et aseptisés.
Après la mode de la justice sans juge, la menace d’une justice sans homme et sans âme menace notre système et notre démocratie. Certes, ceux qui raisonnent exclusivement en termes d’économie, d’efficacité, de rentabilité et de sécurité s’en féliciteront. Les autres s’inquiéteront légitimement que la justice du futur, que façonnent inlassablement nos politiciens depuis plusieurs décennies, prenne régulièrement et progressivement ses distances avec les femmes et les hommes qui la rendent, avec celles et ceux qui combattent pour son respect des libertés et luttent pour garantir sa qualité et son humanité, et, plus important, avec ceux qui en constituent le cœur même, les justiciables.
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