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La bataille du deuxième amendement de la Constitution américaine : le poids des larmes peut-il l’emporter sur le choix des armes ?
Pourquoi la lune reste-t-elle en orbite autour de la Terre ? On a tous un vague souvenir de la règle de gravitation universelle formulée par Isaac Newton en ces termes : « Les astres s’attirent de façon proportionnelle au produit de leur masse et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare ». Il s’agit d’une règle d’attraction réciproque égale des corps. De cette manière, Newton expliquait cette force physique, la gravitation, qui maintenait la Lune en orbite autour de la Terre. De manière quelque peu imagée il faut l’avouer, cette règle de l’attraction réciproque sied parfaitement à la société américaine et aux victimes des armes à feu. Les familles pleurent les nombreuses victimes d’armes à feu incitant les autres familles à mieux s’armer contre ceux qui pourraient à l’avenir les menacer. Bel exemple imagé de la règle d’attraction universelle entre les corps ! Les larmes en quelque sorte attirent les armes et inversement. Cependant, après les nombreuses tueries qui ont frappé les États-Unis ces derniers mois, le rapport de force semble progressivement s’inverser et on se met à rêver, après les 23 propositions du président Barack Obama du 16 janvier 2013 pour encadrer le marché des armes à feu, qu’un jour peut-être le poids des larmes l’emportera sur le choix des armes !
▪ Un passé révolu ? – La question des armes à feu aux États-Unis est avant tout une question d’ordre juridique et culturel. Le deuxième amendement de la Constitution américaine a été proposé le 25 septembre 1789 par le premier Congrès et homologué le 15 décembre 1791. Une partie de cet amendement énonce qu’ « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé » (« A well regulated Militia, being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms, shall not be infringed »). Cette disposition fait partie des dix amendements du Bill of rights et constitue donc un des textes fondateurs de la législation américaine. Selon l’expression des juristes américains du xixe siècle, cet amendement est « le ciment de la liberté » et « la première loi de la nature » est l’autodéfense. Mais un texte n’a de sens que dans son contexte. Il s’agissait à l’époque de se protéger contre les tyrans qui, pour éliminer la résistance, retiraient les armes au peuple ! Le contexte, ce sont aussi des armes à un coup qui devaient être rechargées par le canon après chaque tire.
S’en est alors suivi un débat passionné entre constitutionnalistes sur le sens de la première proposition de la phrase (« Une Milice bien régulée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre ») : a-t-elle un fondement collectif en consacrant un droit à une police armée ou consacre-t-elle un droit individuel au port d’armes ? Cette interprétation individualiste l’a progressivement emporté et constitue le principal obstacle à l’interdiction absolue des armes à feu aux États-Unis.
En effet, la Cour suprême a progressivement imposé cette interprétation individualiste du deuxième amendement. Une première décision a été rendue le 26 juin 2008 (District of Columbia v. Heller, 554 U.S. 570 (2008) par laquelle il a été jugé que le droit de chacun à posséder une arme était garanti par la Constitution et qu’il ne pouvait donc pas être limité au nom de la sécurité publique. La décision, alors limitée à un District, a été étendue aux États et aux instances locales par l’arrêt McDonald v. Chicago du 28 juin 2010 (561 US 3025 (2010)).
Reste la modification de la Constitution qui n’est pas exclue mais demeure quelque peu théorique. En effet, l’article V de la Constitution définit les modalités d’une telle modification : « Le Congrès, quand les deux tiers des deux Chambres l’estimeront nécessaire, proposera des amendements à la présente Constitution ou, sur la demande des législatures des deux tiers des États, convoquera une convention pour en proposer ; dans l'un et l'autre cas, ces amendements seront valides à tous égards comme faisant partie intégrante de la présente Constitution, lorsqu'ils auront été ratifiés par les législatures des trois quarts des États, ou par des conventions dans les trois quarts d'entre eux, selon que l'un ou l'autre mode de ratification aura été proposé par le Congrès ». Autant dire que c’est une mission impossible au regard de la configuration actuelle du Congrès !
▪ Un présent prometteur – Après le massacre de Newtown, Barack Obama a décidé de réagir. Si le phénomène des « school shooting » n’est pas nouveau (en 1927, par exemple, il y avait eu 44 morts dans une école élémentaire située à Kehone), il s’accélère depuis ces dernières années. Le président Obama a donc décidé le 16 janvier 2013 de proposer 23 mesures. Parmi ces « décrets et directives », on retrouve des mesures moins polémiques telles que la formation de nouveaux psychologues, une plus grande liberté pour ces professionnels de divulguer l’existence de personnes mentalement instables, la subvention des établissements qui pourront opter pour plus de psychologues ou plus d’hommes armés dans les écoles, une consultation du casier judiciaire et des antécédents psychiatriques de l’acheteur pour toutes les ventes d’armes, un enregistrement de toutes les ventes d’armes (les ventes sur Internet et dans les foires aux armes, près de 40 % du marché, ne sont pas contrôlées)… La mesure phare, et qui sera l’objet des plus vives controverses, est l’interdiction des armes « automatiques », « armes d’assaut », et la limite à moins de dix balles de tous les chargeurs. Certains doutent de l’efficacité de l’interdiction qui a existé entre 1994 et 2004 (« Federal Assault Weapons Ban ») et qui, selon certaines études (Académie des sciences de l’État fédéral), n’auraient pas eu un impact important sur la violence due aux armes.
Au lendemain de ces recommandations, Barack Obama a dû affronter l’opposition des Républicains mais aussi celle de certains Démocrates qui ont probablement saisi l’occasion ici de préparer les futures élections présidentielles en se rapprochant d’une grande partie de l’électorat plutôt défavorable à toute réglementation des armes. Surtout, la puissante NRA (National Rifle Association), lobby le plus puissant des États-Unis, a intensifié son jeu d’influence notamment à coups de spots publicitaires et de slogans chocs. « Stand and Fight » clame-t-elle dans l’une de ses dernières campagnes. Selon son président, Wayne Lapierre, c’est « le combat du siècle ». Les lobbys, enfin, savent que les maillons faibles sont les élus locaux dont la réélection est fragile et qui n’entendent pas en plus se voir opposer aux puissants de la NRA ! Ils seront la principale cible de la NRA dans les mois à venir.
▪ Un avenir incertain – Si les propositions de Barack Obama constituent un premier pas non négligeable dans la lutte contre la vente d’armes, le chemin à parcourir reste encore relativement long. Tout d’abord, on remarquera que ce ne sont pas les armes qui sont interdites mais certaines d’entre elles : les armes automatiques. 55 % des Américains semblent favorables à la prohibition de telles armes d’assaut. Il faudra que les textes soient le moins précis possible. Un texte trop pointilleux permettra aux fabricants d’armes de modifier la structure générale d’une arme pour qu’elle n’entre pas dans la liste prohibée du législateur, ce qu’ils avaient su faire entre 1994 et 2004. Mais, à l’inverse, un texte trop général s’exposerait à la censure de la Cour suprême qui pourrait juger que la réglementation porte une atteinte excessive au droit individuel de porter une arme. Ensuite, la mesure n’étant, en outre, pas rétroactive, elle sera peu efficace, du moins pendant quelques décennies, en raison du grand nombre de ce type d’armes déjà en circulation. Il reste également toutes les autres armes qui entraîneront des tragédies, moins importantes en nombre de morts, mais qui n’en resteront pas moins des personnes victimes de la libre circulation des armes. Enfin, les causes du problème se trouvent également ailleurs : une prise en charge insuffisante des personnes mentalement fragiles, une exposition permanente des enfants à la violence, un pays marqué historiquement par la loi du plus fort. La culture américaine est en partie responsable de ces personnes « ordinaires » qui deviennent des « massive killers » : culture ultra-individualiste, esprit de compétition, société de la rentabilité. En définitive, le vote de cette loi au Congrès sera difficile. Est-ce alors une véritable bonne intention du président ou n’est-ce qu’une stratégie pour se déresponsabiliser, sur le dos des membres du Congrès, d’une réforme qui n’a pu aboutir ? Toutes les propositions ne seront probablement pas votées et l’évolution viendra surtout des différents États, tels que New York qui a durci sa législation en interdisant notamment les armes de plus de 7 balles et les armes d’assaut ou imitant les armes de guerre.
Quoi qu’il en soit, il faut féliciter le président des États-Unis qui a pris un risque politique majeur pour répondre à une demande d’une partie de la société américaine. Si, à l’avenir, Barack Obama faisait en sorte que le poids des larmes pèse plus lourd que le choix des armes, il aura défié la force de résistance des lobbys « pro-gun » et aura en quelque sorte réussi à décrocher la Lune. Wait and see !
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