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La clause libératoire dans les contrats des footballeurs professionnels
La clause libératoire a été mise sous le feu des projecteurs par le transfert record de Neymar Jr au Paris Saint-Germain et, dans une moindre mesure, par le transfert avorté de Jean Michaël Seri de l’OGC Nice vers le FC Barcelone. Beaucoup de choses ont alors été dites au sujet de cette fameuse clause.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de faire le point sur le système des « transferts » des footballeurs professionnels. D’un point de vue juridique, un club ne « vend » pas un joueur à un autre club. La vente est, en effet, un contrat qui transfère la propriété d’un bien de son propriétaire vers un acheteur. Est-il besoin de préciser que les clubs ne sont pas propriétaires de leurs joueurs, ces derniers n’étant pas des choses ?
En vérité, la situation est la suivante : les clubs de football sont liés à leurs joueurs professionnels par des contrats à durée déterminée dont la durée maximale est, en France, de cinq saisons (C. sport, art. L. 222-2-4; Charte du football professionnel, art. 260). Pendant toute sa durée, le contrat a force obligatoire et doit, en conséquence, s’appliquer à la lettre, sans que l’une des parties ne puisse, unilatéralement, le modifier ou y mettre fin.
Si un joueur souhaite, avant le terme de son contrat, rejoindre un autre club, il faudra qu’il obtienne sa libération, c’est-à-dire la résiliation amiable de son contrat de travail. Le plus souvent, le club souhaitant recruter le joueur en question proposera au club initial de lui payer une « indemnité » (Charte du football professionnel, art. 264, al. 4). Techniquement, aucun contrat translatif ne se forme donc entre les deux clubs, au moins s’agissant du joueur. Le club initial, satisfait du montant de l’indemnité proposée par le club intéressé, acceptera de résilier, d’un commun accord avec le joueur, le contrat qui le liait à lui. Puis, le joueur libéré conclura un contrat avec son nouveau club.
La somme payée n’est donc pas le prix d’une vente, mais une indemnité destinée à convaincre un club d’accepter la résiliation amiable du contrat qui le liait au joueur convoité. Or, si le club refuse le transfert, il n’y a aucune technique juridique qui pourrait le contraindre à accepter la résiliation amiable : pacta sunt servanda (les conventions doivent être respectées).
Certes, il existe, en pratique, des manœuvres qui peuvent conduire un club récalcitrant à accepter cette résiliation. Mais celles-ci sont, pour l’essentiel, illégales.
Il s’agit en effet, pour un joueur, d’aller « au clash » avec son club, selon l’expression consacrée, c’est-à-dire de refuser de s’entraîner et de jouer. Ce faisant, il se rendra coupable d’une inexécution de son contrat, potentiellement sanctionnable. Dalbert, joueur de l’OGC Nice, a utilisé cette « technique » pour convaincre son club d’accepter de le laisser rejoindre l’Inter de Milan tandis que Racine Coly, joueur de Brescia, a fait de même afin de… rejoindre l’OGC Nice qui cherchait à compenser le départ de Dalbert.
La clause libératoire peut permettre d’éviter que les joueurs en arrivent à de telles extrémités. Même si la rédaction de cette clause peut varier d’un contrat à un autre, elle a pour objet de fixer le montant de l’indemnité qui entraînera, automatiquement, la résiliation du contrat. Elle clarifie donc la situation du joueur qui sait, à l’avance, quelle est la somme qu’un club devra verser à son employeur pour qu’il soit automatiquement libéré.
Mais c’est là que l’on doit se poser la question de la validité des clauses libératoires.
D’abord, cette clause ne semble pas contrevenir à l’arrêt Bosman du 15 décembre 1995 (n° C-415/93 ). Dans cet arrêt, la CJCE avait décidé que les règles de l’UEFA qui, d’une part, imposaient le paiement d’une indemnité de transfert même lorsque le joueur était arrivé en fin de contrat et, d’autre part, interdisaient à un club de recruter ou d’aligner en match plus d’un certain nombre de joueurs ressortissants d’un autre État-membre de l’Union européenne (trois en l’occurrence), étaient illégales.
Or, la clause libératoire n’a pas grand chose à voir avec cette situation puisqu’elle vise simplement à prévoir, dès la formation du contrat, le montant de l’indemnité qui devra être payée par le club désirant obtenir la libération du joueur qu’il convoite. Elle ne restreint donc pas la libre circulation des footballeurs professionnels puisqu’elle offre, au contraire, la possibilité à un joueur d’obtenir sa libération, avant l’arrivée du terme de son contrat, sans que son club ait à donner son accord, dès lors au moins que l’indemnité prévue est payée.
C’est bel et bien ce qui s’est passé dans le cadre du transfert de Neymar Jr. Le FC Barcelone a été pris au piège de la clause libératoire et n’a pu en empêcher son jeu, quand bien même il n’avait pas imaginé que son joueur souhaiterait partir et qu’un club serait en mesure de payer les 222 millions d’euros prévus par la clause ; en droit, la clause libératoire fragilise donc le contrat et, par conséquent, facilite les transferts.
Certains prétendent, toutefois, que les montants qui sont prévus par les clauses aboutissent, sinon en droit, au moins en fait, à bloquer les joueurs et, en conséquence, à limiter leur possibilité de transfert. Mais qui ne voit que la clause dont le montant est exorbitant ne change rien à la situation juridique du joueur ? Rappelons en effet que, s’il n’existe pas de clause, le club est de toute façon en droit de refuser de résilier le contrat, quelle que soit l’indemnité qui lui est proposée.
Quid, ensuite, de la validité de la clause libératoire vis-à-vis du droit du travail ? Depuis la loi du 27 novembre 2015, l’article L. 222-2-7 du Code du sport déclare nulles les clauses de rupture unilatérale « pure et simple », c’est-à-dire les clauses qui autorisent la rupture unilatérale par la seule volonté d’une des parties. A contrario, on peut donc penser que les clauses de rupture qui sont conditionnées à un événement extérieur, comme la relégation du club, ou le paiement d’une indemnité par un tiers sont valables.
Certes, l’article L. 1243-1 du Code du travail, qui est applicable aux contrats des sportifs professionnels (C. sport, art. L. 222-2-1), semble interdire les clauses qui ajouteraient des causes de résiliation à celles prévues par la loi. Toutefois, cette disposition étant censée protéger le salarié, elle ne devrait pas s’opposer à ce qu’une clause libératoire soit intégrée dans un contrat, dès lors qu’elle est en faveur du sportif professionnel.
Malheureusement, l’article 202 du Règlement administratif de la Ligue de football professionnel fait fi de ces arguments et prohibe expressément les clauses libératoires, y compris lorsqu’elles permettent au sportif d’obtenir la rupture anticipée de leur contrat.
Or, comme tous les contrats des footballeurs professionnels doivent être homologués par la Ligue (Charte du football professionnel, art. 254), il n’est pas possible de prévoir cette clause dans les contrats liant les clubs français à leur joueur.
En pratique, certains clubs tentent de contourner cette interdiction. On lit, çà et là, que des accords « sous seing privé » seraient conclus, notamment par l’OGC Nice. Ce club se serait notamment mis d’accord avec Jean Michaël Seri sur une clause libératoire d’un montant de 40 millions d’euros.
On passera sur le caractère impropre de l’expression « sous seing privé » : elle signifie, dans ce contexte, que la clause libératoire n’est pas soumise à l’homologation de la Ligue. Autrement dit, elle reste « entre les parties », sans recevoir l’onction de la Ligue. Las, cette pratique est formellement interdite par l’article 256 de la Charte du football professionnel.
A priori, la messe est donc dite. Ces clauses n’ont aucun effet en droit, ce qui, paradoxalement, pourrait soustraire le club qui méconnaîtrait sa parole à une action en justice.
Il n’en reste pas moins que la Ligue ne pourra jamais empêcher que des engagements d’honneur, ou gentlemen’s agreement, soient passés : au moment de la négociation du contrat, un président de club peut, sans qu’un écrit soit nécessairement formalisé, promettre à un joueur que, s’il reçoit une offre d’un certain montant, il le libèrera. Sans doute, cette promesse n’engagera pas juridiquement le club, mais uniquement l’honneur du président en question.
On doute pourtant qu’il se trouve un président de club prêt à s’assoir si promptement sur son honneur. S’il le faisait, il se heurterait sans doute au mécontentement du joueur trahi et aurait quelques difficultés, à l’avenir, à obtenir la confiance de ses interlocuteurs.
Une fois l’honneur perdu, il est difficile de le retrouver.
Références
■ CJCE 15 déc. 1995, Bosman, n° C-415/93 : D. 1996. 11 ; RTD eur. 1996. 101, étude G. Auneau.
■ Charte du football professionnel
Article 256
« Non respect de la procédure. Tout contrat, ou avenant de contrat, non soumis à l’homologation ou ayant fait l’objet d’un refus d’homologation par le service juridique ou la commission juridique de la LFP est nul et de nul effet. Les signataires d’un tel contrat ou d’un tel avenant, lorsqu’il est occulte, sont passibles de sanctions disciplinaires ».
Article 260
« Expiration des contrats. Les contrats de joueurs sont établis pour une durée minimale allant de la date de son entrée en vigueur jusqu’à la fin de la saison soit le 30 juin et au maximum pour une durée de cinq saisons. Ils expirent le 30 juin de la dernière saison prévue au contrat sauf pour les joueurs en formation dans le cas d’une signature prématurée de contrat professionnel. Un joueur n’ayant pas encore 18 ans ne peut signer de contrat de joueur professionnel que si la durée du contrat n’excède pas trois ans. Les clauses dépassant cette durée ne peuvent être homologuées.
Toutefois, dans le cadre de la mise en oeuvre d’une signature prématurée prévue à l’article 222 du Règlement administratif de la Ligue de football professionnel, un joueur mineur sous contrat de formation au sein du club, peut signer un premier contrat professionnel d’une durée de trois saisons à partir du 1er juillet de la dernière saison du contrat de formation en cours et prenant effet au 1er juillet de la saison suivante. »
Article 254
« Homologation des contrats. 1. Création du contrat Le contrat est établi par le club selon les modalités définies dans isyFoot puis imprimé. Un exemplaire est immédiatement remis au joueur ou à son représentant légal s’il est mineur, et un autre est conservé par le club. Le contrat ainsi signé prend effet sous condition suspensive de son homologation.
2. Transmission du contrat pour homologation Chaque dossier est transmis individuellement par le club au service juridique de la LFP pour homologation dans le délai de quinze jours après la signature du contrat :
• soit par lettre recommandée à l’attention du service juridique de la LFP en quatre exemplaires ;
• soit par téléchargement sur Isyfoot dans l’espace prévu à cet effet, en un seul exemplaire PDF.
Dans les deux cas, le dossier d’un joueur doit obligatoirement être accompagné des pièces mentionnées à l’annexe générale 4.
L’absence des documents signalés à l’annexe générale 4 fait obstacle à l’homologation du contrat.
3. Procédure d’homologation Le dossier est recevable en la forme et conforme aux dispositions du statut :
a) si la situation du club vis-à-vis de la DNCG ne comporte aucune restriction, il est homologué ;
b) si le club fait l’objet d’une mesure de contrôle il est transmis à la DNCG pour décision :
• si la décision est favorable il est homologué,
• si elle est défavorable elle est notifiée par lettre recommandée au club, au joueur et/ou à son représentant légal. Le club est également informé de la décision par isyFoot. Elle peut être frappée d’appel par le club, le joueur et/ou son représentant légal devant la commission d’appel de la DNCG.
4. Renvoi du contrat homologué par la LFP Le contrat est homologué par la LFP qui adresse un exemplaire du contrat, par pli recommandé ou par courriel, au club intéressé, au joueur et/ou à son représentant légal et la FFF. Dans le cas contraire, les documents sont gardés en instance. »
Article 264, al. 4
«Résiliation conventionnelle des contrats. …
Lorsque cette résiliation, dans le cas particulier des joueurs professionnels, se situe pendant la période officielle des mutations en vue de la signature d’un nouveau contrat dans un autre club, l’accord des trois parties concernées est nécessaire. Cette résiliation donne lieu au versement par le club nouveau au club quitté d’une indemnité de mutation, dont le montant est fixé de gré à gré entre les deux clubs. Un avis de mutation définitive est alors établi dans isyFoot puis soumis à la LFP pour homologation. »
■ Règlement administratif de la Ligue de football professionnel
Article 202
« Interdiction des clauses libératoires, résolutoires, ou de résiliation unilatérale Les dirigeants de clubs ne peuvent conclure un contrat contenant une "clause libératoire", prévoyant avant terme, en contrepartie d’une indemnité, la rupture de la relation contractuelle par l’un ou l’autre des cocontractants, une "clause résolutoire" ou une clause de résiliation unilatérale avec un joueur professionnel français ou étranger qu’il s’agisse du club ou du joueur. »
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