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Le billet
La consommation engagée ou la force des faibles…
En cette période printanière, la consommation engagée est à l’honneur. De récentes manifestations y sont consacrées telles que la 11e édition de la Quinzaine du commerce équitable qui s’est déroulée du 14 au 29 mai 2011 ou le salon Emmaüs qui aura lieu le 19 juin prochain. Des dossiers ont également été récemment publiés sur le sujet, tel que celui de mars 2011 aux éditions de la Documentation française sur « Les enjeux de la consommation engagée ».
Que recouvre ce phénomène de la consommation engagée ? Traditionnellement, le consommateur est conçu comme une partie faible que le droit de la consommation s’efforce de protéger. Il est également un agent économique, acteur central du marché, qu’il convient d’informer (v. le projet de loi n° 3508 du 1er juin 2011 destiné à renforcer les droits, la protection et l’information des consommateurs). L’acte de consommer est avant tout un acte de nature économique et la consommation une pièce maîtresse du marché concurrentiel. Parler de consommation engagée amène à attribuer à l’acte de consommer une portée politique. Il est vrai que l’aspect politique de la société de consommation n’est pas un discours nouveau. Il fut un temps, en effet, où la consommation a pu être abordée sous l’angle de la lutte des classes (L. Bihl, Consommateur défends-toi !, Denoël, 1976). La société de consommation était conçue comme le symbole de l’oppression des faibles par les forts, des pauvres par les riches. Aujourd’hui, et spécialement depuis les années 1970, l’aspect politique de la consommation a changé de nature. Les consommateurs se mobilisent. Consommer devient un acte militant. La consommation n’est plus conçue comme une fin en soi mais comme un moyen. La consommation-moyen fait du consommateur un citoyen qui utilise son pouvoir pour faire valoir un certain nombre de valeurs : « La consommation est devenue un espace de contestation sociale. Chaque consommateur peut user de son pouvoir économique pour manifester son soutien ou son désaccord vis-à-vis des pratiques des entreprises, en achetant des produits ou en en boycottant d’autres. La “consommation engagée” traduit ainsi la volonté des citoyens d’exprimer directement par leurs choix marchands des positions militantes ou politiques » (S. Dubuisson-Quellier, La consommation engagée, Les Presses SciencesPo., 2009, spéc. p. 1).
La consommation engagée peut prendre différentes formes :
■ Sur le plan individuel, le consommateur peut, dans ses actes personnels, participer à une opération de boycott, en refusant d’acheter des produits provenant d’une entreprise dont il dénonce les pratiques, ou de buycott, en privilégiant l’achat de produits respectant une certaine éthique (commerce équitable, circuit-court consistant dans une vente directe du producteur au consommateur, produits bio…). Il peut participer à la « culture jamming » (« détournement culturel », détournement d’un logo par exemple) ou s’associer aux mouvements anti-publicitaires. La frontière entre la sphère publique et la sphère privée devient plus poreuse. On combine ainsi l’action privée et l’engagement public. Apparaît alors ce qu’on appelle « l’action collective individualisée » (M. Micheletti, Political Virtue and shopping. Individuals, Consumerism, and Collective action, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2003), acte individuel de portée politique.
■ Sur le plan collectif, la consommation engagée justifie la mise en place d’une nouvelle organisation économique et sociale : développement de l’économie sociale et solidaire, tiers secteur entre l’État et le marché composé des associations, des coopératives et des mutuelles (ex. le système d’échange local), contractualisation au service d’une gouvernance des consommateurs, vente directe entre consommateur et producteur, coopératives agricoles… La consommation engagée peut également passer par la mise en place d’un système de labellisation valorisant les activités équitables. L’acte de consommer devient ainsi un acte citoyen. Cette tendance, mutatis mutandis, est en parfaite harmonie avec la nouvelle politique communautaire. Depuis l’Acte unique européen, l’objectif européen consiste à faire du consommateur un citoyen et la politique de la consommation doit intégrer l’ensemble des politiques communautaires, y compris celles relatives à l’environnement et à la santé (art. 153 Traité d’Amsterdam). On passe de la protection de droits subjectifs à caractère individuel à une protection de droits subjectifs à caractère collectif.
En définitive, la consommation devient un instrument de justice sociale (buycotter les produits du commerce équitable), un outil au service de l’environnement (labelliser les produits respectueux de l’environnement), un moyen de participer à des questions de santé publique (boycotter les produits bio et sans OGM), une technique de défense des droits de l’homme (boycotter les produits fabriqués par de très jeunes enfants)…
On peut, toutefois, se demander si la consommation engagée est le symbole d’une société nouvelle où l’hyper-consommation voire la surconsommation viendraient à s’atténuer, premiers signes d’un déclin de la société de consommation tant décriée. Il n’en est rien. Bien au contraire ! La consommation engagée continue d’être un segment du marché. En d’autres termes, il est totalement illusoire de croire que ce mouvement amène à moins consommer. La seule ambition de la consommation engagée est d’encourager à mieux consommer. Il s’agit d’un changement qualitatif mais en aucun cas quantitatif (en ce sens, G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Gallimard, coll. « Folio essais », 2006). Et les entreprises l’ont bien compris. Sous couvert de participer à une consommation plus équitable, les entreprises utilisent les instruments mêmes de la consommation engagée à des fins purement économiques : labels éthiques, codes de bonne conduite, etc. Il suffit de citer l’exemple du marché des produits bio en pleine expansion, produits qui ne se substituent pas aux autres mais s’y superposent. Les entreprises peuvent même travailler de concert avec l’État pour instrumentaliser les stratégies de la consommation engagée et favoriser certaines politiques telles que l’essor de la consommation des produits locaux par exemple (création le 26 mai dernier du Label « Origine France garantie »). À condition de lever cette ambiguïté, on ne peut que se réjouir d’un mouvement qui s’est accéléré dans les années 1970 sous l’impulsion du père du consumérisme américain Ralph Nader. La consommation engagée appartient ainsi à un mouvement plus large de démocratie participative. Le consumérisme appartient à la démocratie économique et participe à l’ordre économique mondial (J. Boniface, L’homme consommateur, Société coopérative d’information et d’édition mutualiste, 1976, spéc. p. 332).
Hier, J.-F. Kennedy disait, avec bon sens, que « Nous sommes tous des consommateurs…». Demain, peut-être, avec un peu de patience, nous serons tous des consomm’acteurs !
Références
■ Article 153 du traité d’Amsterdam
« 1. Afin de promouvoir les intérêts des consommateurs et d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, la Communauté contribue à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu'à la promotion de leur droit à l'information, à l'éducation et à s'organiser afin de préserver leurs intérêts.
2. Les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques et actions de la Communauté.
3. La Communauté contribue à la réalisation des objectifs visés au paragraphe 1 par :
a) des mesures qu'elle adopte en application de l'article 95 dans le cadre de la réalisation du marché intérieur ;
b) des mesures qui appuient et complètent la politique menée par les États membres, et en assurent le suivi.
4. Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251 et après consultation du Comité économique et social, arrête les mesures visées au paragraphe 3, point b).
5. Les mesures arrêtées en application du paragraphe 4 ne peuvent empêcher un État membre de maintenir ou d'établir des mesures de protection plus strictes. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission. »
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