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[ 6 mars 2023 ] Imprimer

La « contre-réforme » du régime des retraites selon certains partis politiques : réflexion sur une curieuse expression

La réforme des retraites serait, selon certains partis de gauche, une « contre-réforme ». Intuitivement, on perçoit leur désapprobation. Mais qu’est-ce qu’une contre-réforme ?

Le réflexe de chercheur nous mène tout droit vers la base CAIRN à laquelle toute bonne BU donne accès, et certains ouvrages historiques sur la religion (et pas à Wikipédia…). On peut ainsi trouver la définition suivante : « mouvement par lequel l’Église catholique s’est efforcée de combattre le protestantisme, aussi bien en réaffirmant sa doctrine qu’en se réformant elle-même » (B. Racine, Les 100 mots de Rome, Que Sais-je ?, PUF, 2019). Ce qui nous conduit au mouvement réformateur mené entre autres par Calvin, qui prospéra en Europe du Nord : c’était la « Réforme », un « large mouvement religieux (1517-1564) qui souhaitait réformer l’Église, la ramener à sa pureté originelle, et qui à terme provoqua la fracture de la chrétienté européenne et la naissance du protestantisme » (M. Feuillet, Vocabulaire du christianisme, Que Sais-je, PUF, 2018).

Un résumé certes lapidaire, mais instructif : certains chrétiens se rebellèrent contre la hiérarchie papale de Rome, au motif d’améliorer la religion telle que pratiquée, tandis que cette hiérarchie, acculée, mit en œuvre une autre réforme présentée comme une réponse, mais en réalité destinée à conserver le pouvoir et à sauvegarder les préceptes romains. D’où la « Contre-Réforme » (avec majuscules), qui n’est autre qu’une contre-offensive idéologique, perçue par les Réformés comme un combat d’arrière-garde. Cette Contre-Réforme a échoué, et ainsi s’est créée une branche nouvelle au sein du christianisme, en Europe du Nord, perçue comme plus authentiquement fidèles aux écritures saintes. 

Supprimons maintenant les majuscules. La contre-réforme serait un combat d’arrière-garde, s’opposant à des avancées antérieures, incarnées par des réformes avant-gardistes ou « progressistes ». L’interdiction de l’avortement, où que ce soit, est donc une contre-réforme, tout comme l’interdiction pour les femmes de travailler ou d’étudier ou le rétablissement de la peine de mort. Mais qui détermine cette hiérarchie des valeurs ? De leur point de vue, les tenants de l’interdiction de l’avortement, les Talibans et autres vilains obscurantistes selon les progressistes, sont au contraire des réformateurs, pas des contre-réformateurs. Les contre-réformateurs, toujours à leurs yeux, sont précisément ceux qui se disent réformateurs. Logique.

Venons-en au droit. Le « Cornu » (Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF Quadrige), nous apporte une définition du mot « réforme » de la façon la plus décevante qui soit pour qui s’évertue à attacher des valeurs à cette notion : « modification du droit existant, soit par une loi nouvelle (…) soit par décret ». La réforme n’est pas, juridiquement, une notion axiologique. Quant à la contre-réforme, elle n’est pas un concept juridique, au contraire de la réforme. 

En somme, le gouvernement actuel entend modifier le régime des retraites car il estime que ce sera mieux ainsi. Il appelle cela « réforme ». Une partie de l’échiquier politique s’y oppose en clamant que c’est mal. Elle appelle cela « contre-réforme ». Le vocabulaire juridique est loin – heureusement – de ces considérations. Si le juriste n’a pas à prendre position sur le fond, d’autant qu’il est incompétent (au sens non juridique de « pas qualifié »), une chose est sûre : le débat aurait bien moins d’allure si les deux camps s’opposaient en parlant de « modification » et de « contre-modification ».

Dernière incohérence : si la « contre-réforme » du régime des retraites est adoptée, et qu’un gouvernement futur entend de nouveau reculer l’âge de la retraite (par ex. à 67 ans), il faudra inventer un autre mot. D’autant que toutes les réformes du régime des retraites depuis les années 1990 n’ont fait qu’augmenter l’âge de départ ou le nombre d’annuités nécessaire pour partir. Rejeter la contre-réforme-II d’une contre-réforme-I, revient réclamer le maintien de la contre-réforme-I. Contre-réforme sur contre-réforme ne vaut.

 

Auteur :Jean-Paul Markus - Les Surligneurs


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