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La Cour de cassation refuse l’extradition des ressortissants italiens condamnés pour terrorisme
Le 28 mars 2023, la cour suprême de l’ordre judiciaire a mis fin à un long épisode judiciaire pour dix ressortissants italiens visés par une demande d’extradition de la part des autorités de leur pays d’origine. La dernière demande formulée en 2020, avait soulevé de nombreux débats autour du bien-fondé de la doctrine Mitterrand car la réponse à cette demande interrogeait la notion même de justice autour du terrorisme et ravivait de manière intense, le poids des années de plomb dans l’histoire de l’Italie.
Entre 1983 et 1995, dix personnes de nationalité italienne – appartenant aux Brigades rouges ou à des groupuscules armés – ont été jugées coupables d’attentats terroristes, de subversion de l’ordre démocratique et de meurtre aggravé pour des faits commis en Italie pendant la période très marquante des anni di piombo, entre 1972 et 1982. Les peines étaient lourdes, conformément au Code pénal, allant jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité.
Toutes ces personnes ont quitté progressivement l’Italie pour venir s’installer en France au bénéfice de la doctrine Mitterrand. Le président de la République avait en effet, décidé qu’il n’ouvrirait pas la voie à des demandes d’extradition dès lors que les anciens militants avaient renoncé à la lutte armée et à la violence. Concomitamment, et sans surprise, les demandes d’extradition que les autorités italiennes ont formulées en 1985 ou 1998, ont reçu des avis défavorables de la part de la justice française.
Les autorités italiennes ont cependant pu faire une nouvelle demande d’extradition le 28 janvier 2020, en raison d’un élément de droit nouveau. Comme le rappelle à la fois l’avocat général, la rapporteure et l’arrêt de la Cour, cette demande est formée dans le cadre de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, la Convention européenne pour la répression du terrorisme du 27 janvier 1977 et la convention de Dublin du 27 septembre 1996 relative à l’extradition entre les États membres de l’Union européenne. Ce dernier texte est entré en vigueur en France le 1er juillet 2005 (décret n° 2005-770 du 8 juillet 2005) et en Italie le 5 novembre 2019.
Malgré le soutien affiché en faveur de cette demande par le président de la République Emmanuel Macron et son ministre de la Justice, la chambre de l’instruction en juin 2022, a rendu un avis défavorable aux demandes qui visaient bien les huit hommes et les deux femmes âgés à cette date de 62 à 79 ans, en se fondant sur les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Le procureur général a attaqué les arrêts invitant la Cour de cassation à se prononcer « en droit », sans substituer son appréciation des éléments de fait du dossier à celle à laquelle se livrent les tribunaux et cours d’appel. La Cour a donc analysé les recours en évaluant si les juges en appel avaient suffisamment motivé leur décision.
Sur la première branche du moyen, elle a jugé en prenant en compte que les nouvelles règles applicables en matière d’extradition, retranscrites aux articles 696-1 et suivants du Code de procédure pénale, font état d’une réserve formulée par la France en vertu de laquelle « Lorsqu'une Partie contractante demande à une autre Partie contractante l'extradition d'une personne aux fins d'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté́ prononcée par une décision rendue par défaut à son encontre, la Partie requise peut refuser d'extrader à cette fin si, à son avis, la procédure de jugement n'a pas satisfait aux droits minimaux de la défense reconnus à toute personne accusée d'une infraction ». Elle conclut que les motifs avancés par la chambre de l’instruction sont exempts d’insuffisance comme de contradiction dès lors qu’ils font apparaître que le « la loi italienne ne garantit pas au condamné par défaut le droit qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit » (§ 16). Elle écarte par conséquent le premier grief.
Sur le moyen pris dans sa deuxième branche, relatif au respect de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la chambre de l’instruction a répondu à la question de savoir en quoi l’extradition aurait été de nature à porter une atteinte disproportionnée aux droits garantis par cette disposition conventionnelle. Elle a évalué cette atteinte à la lueur de la gravité des faits ayant fait l’objet de la condamnation et après l’avoir souligné, noté leur ancienneté – plus de 40 ans – elle a énuméré les liens que les prévenus avaient tissés en France en rompant avec leur pays d’origine. La chambre conclut que l’extradition porterait « à présent » une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes visées. Dans ce contexte, et suivant les conclusions de l’avocat général, la Cour de cassation écarte le deuxième grief en l’absence de motifs d’insuffisance, de contradiction ou d’erreur manifeste.
Par ces arrêts, la Cours de cassation rend définitif les avis défavorables aux demandes d’extradition et règle avec le droit une situation très sensible. La position de la justice française a été accueillie de manière vive de l’autre côté des Alpes notamment de la part des familles des victimes.
Références :
■ Crim. 28 mars 2023, n° 22-84.382 B : D. 2023. 647.
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