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Le billet
La création de la « Métropole de Paris » ou le compte des mille et une feuilles
L'acte III de la décentralisation prévoit, entre autres mesures, la création de « métropoles » et parmi elles, la création de la Métropole de Paris, dotée d'un statut spécifique et qui a immédiatement donné l'impression que l'on ajoutait une nouvelle couche au célèbre mille feuilles territorial français, tant décrié.
Il n'est peut-être pas inutile, d'essayer de réfléchir avec un peu de recul, sur cette nouvelle création pour essayer de comprendre si elle crée véritablement un échelon supplémentaire et si cette création est véritablement critiquable.
Pour débuter cette réflexion, il faut commencer par revenir un peu en arrière dans l'historie de la structuration de la région parisienne.
Il a fallu attendre très longtemps avant que l'idée que l'agglomération parisienne soit soumise à des plans d'ensemble permettant de gérer son développement ne parvienne à se concrétiser. Ce qui caractérise au surplus cette histoire c'est qu'elle oscille entre deux pôles : les problématiques de planification et les problématiques de gouvernance.
Ainsi, le premier plan d'aménagement de la région parisienne — daté de 1935 mais qui n'est entré en vigueur qu’en 1939 —, était un document purement étatique, piloté par le préfet de Paris, tandis que dans le même temps, des compétences sectorielles étaient confiées à des collectivités locales sur des périmètres larges (on pense, par exemple, à la loi de 1926 sur l'assainissement qui a donné un rôle très important au département de la Seine, au détriment des communes).
Sans refaire toute l'histoire de la région parisienne, c'est la même logique qui conduira à maintenir sous la domination de l'État les plans et schémas directeurs régionaux successifs, tandis que, au gré des évolutions politiques et techniques, de grands établissements publics (comme la RATP) ou des collectivités locales (la région Île-de-France, les nouveaux départements issus de la scission de la Seine et de la Seine et Oise), se voyaient simultanément dotés de compétences non négligeables.
Évidemment, les logiques de décentralisation ajoutèrent à ce panorama déjà chargé : compétences accrues à tous les échelons des collectivités, réduction de la tutelle sur la Ville de Paris, décentralisation d'acteurs importants de l'aménagement parisien (comme le STIF en matière de transports)...
Tout cela a abouti à une véritable paralysie du système.
Au niveau de la planification régionale, la région et l'État se sont opposés depuis dix ans sur les évolutions du schéma directeur de la région Île-de-France, au point que nous vivons aujourd’hui sur un schéma de 1994 qui ne dit pas un mot du développement durable ou du Grand Paris.
Au niveau de la gouvernance, les grandes collectivités sont entrées dans des logiques ou de saupoudrage (gestion de la formation professionnelle par les régions) ou de colmatage des brèches (compétences sociales des départements) qui les privent de tout dynamisme.
C’est la raison pour laquelle, depuis la loi sur le Grand Paris, on réfléchit à la manière de dépasser ces obstacles institutionnels.
La loi sur le Grand Paris a pris un parti intéressant mais qui a montré ses limites : engager une restructuration de la région Île-de-France sur la base de projets (opération d'intérêt national du plateau de Saclay, projets de grandes lignes de transport) sans parler de gouvernance. On constate néanmoins que ces projets peinent à voir le jour car leur financement est difficile et leur mise en œuvre technique également. Mais surtout, il faut se rendre à l'évidence : l'aménagement de l'aire urbaine de Paris ne se réduit pas à la mise ne place d'un, voire de deux nouveaux RER.
C’est la raison pour laquelle l'acte III de la décentralisation joue une autre carte : celle de la gouvernance alternative. Il s'agit ici de créer une structure opérationnelle à laquelle on confiera les enjeux lourds d'aménagement de l'Île-de-France, cantonnant des collectivités classiques (départements et région notamment) à un rôle de gestion. On voit ainsi que la création de la Métropole de Paris constitue moins une superposition qu'une juxtaposition d'une nouvelle collectivité à celles existantes.
Cela est bel et beau, dira-ton, mais finalement, au-dessus ou à côté, cette Métropole n'ajoute-t-elle pas à une nouvelle institution, là ou une simplification aurait sans doute été plus rationnelle ?
Les choses ne sont pas si simples. Certes on pourrait proclamer la suppression des départements, des communes, la fusion de la RATP, du STIF et que sais-je encore. Mais croit-on sérieusement qu'un tel programme pourrait être mis en œuvre ? Il n'est pas besoin d'être un grand analyste de la sociologie administrative pour comprendre que la conjuration des oppositions aurait tôt fait ou d'empêcher, ou de vider de son contenu ce dispositif.
La logique de la métropole, et c’est un point très important, tient à ce qu'elle ne s'appuie ni sur les communes, ni sur les départements, ni sur la région, mais sur un nouvel ensemble d’acteurs qui émerge en Île-de-France : les intercommunalités. Car la métropole est en effet une « intercommunalité d'intercommunalités » puisque pour l'essentiel, seules celles-ci (et la Ville de Paris) seront représentées en son sein.
Or cela présente un double avantage.
D'abord, les intercommunalités, composées de communes et non élues directement, ont pris l'habitude de faire travailler ensemble, et globalement assez bien, des élus de majorités politiques différentes, logique qui se retrouvera au sein de la Métropole. De ce point de vue, les choses sont très différentes des départements et régions dont le « monocolorisme » est sans doute un des inconvénients majeurs : le département des Hauts-de-Seine et la région Île-de-France en fournissent régulièrement des illustrations.
Ensuite, les intercommunalités sont désormais, et le seront encore davantage d'ici quelques années, titulaires des grandes compétences locales : celles qui donnent les compétences techniques et humaines. Cela pourrait donc permettre de faire de la Métropole de Paris le lieu où les compétences et les projets s'interconnectent.
Ne rendons pas pour autant ce tableau idyllique. La construction de la Métropole sera sans doute semée d'embûches, à commencer par la résistance des collectivités de droit commun.
Mais se poseront également deux questions essentielles.
D'abord, est-ce que la Métropole de Paris composée du bloc Ville de Paris et de 40 à 50 intercommunalités périphériques ne sera pas davantage Paris que Métropole ? D'autant plus qu'on connaît la propension parisienne historique à externaliser ses contraintes (les déchets à Vitry, les cimetières à Bagneux, les HLM à la Courneuve), pour valoriser ses propres atouts et sa propre attractivité.
Ensuite, pour une raison mystérieuse, la Métropole de Paris a été limitée à « l'aire urbaine de Paris » définie pas l'INSEE, ce qui conduit la moitié de l'Île-de-France en territoire à ne pas en faire partie. Pour prendre un exemple simple, est-ce que cela a du sens de laisser l’essentiel du Parc de la Vallée de Chevreuse en dehors de la Métropole de Paris alors que tous les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de ce territoire sont évidemment directement conditionnés par l'évolution de l'aire urbaine de Paris ? Et au-delà d'un exemple ponctuel c'est évidemment tout le territoire encore partiellement rural de l'Île-de-France dont l'avenir ne peut pas être séparé de celui-ci de l'aire urbaine.
On le voit donc, s’il faut savoir sortir des clichés journalistiques et démagogiques pour comprendre les perspectives qui gouvernent à la création d'une Métropole de Paris, il reste néanmoins de véritables difficultés, de pouvoir comme de fond, qui conduisent à penser que mener à bien ce projet ne sera pas une mince affaire.
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