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[ 6 avril 2021 ] Imprimer

La discipline budgétaire européenne à l’heure de la covid-19, une discipline mise à rude épreuve

L’Insee a livré les résultats budgétaires de l’année 2020, certes encore provisoires mais qui donnent une approche assez réaliste de la situation budgétaire de la France à fin 2020 : un déficit évalué à 9,2% de son PIB, une dette établie à 115,7 %, un niveau de dépenses publiques à 62,1 % et de prélèvements obligatoires à 44,7 %.

Bon nombre d’États européens côtoieront des résultats similaires, certains les dépasseront de manière significative alors qu’ils abordaient l’année 2020 avec une situation déjà bien détériorée, à l’exemple de la Grèce et de son niveau d’endettement public établi à 176,6 % de son PIB à fin 2019. 

Il faut se souvenir qu’aux lendemains de la crise financière apparue en 2007, tous les États membres de l’Union à l’exception de l’Estonie (+ 0,2 %) affichaient un taux négatif de déficit public, y compris le Luxembourg (- 0,7 %) et 22 d’entre eux affichaient un déficit public excessif.

On peut donc sans difficulté imaginer les conséquences qui seront celles de la crise sanitaire apparue début 2020.

Ces résultats et très logiquement ces difficultés, largement prévisibles, avaient conduit l’Europe à suspendre sa discipline budgétaire dès le printemps 2020 – suspension qui devrait perdurer jusqu’à fin 2022 (Le Monde, 3 mars 2021).

Ainsi l’examen du cas de la Roumanie, pour laquelle une procédure pour déficit excessif avait été engagée en avril 2020, a été repoussé.

En parallèle, des voix s’élèvent déjà pour réclamer une refonte de notre discipline budgétaire de manière à ce que l’approche des critères budgétaires soit individualisée. Ceci afin d’éviter qu’une réintroduction trop rapide de cette discipline n’engendre des politiques d’austérité qui viendraient annihiler toutes perspectives de reprise (Le Monde, 22 févr. 2021). L’Europe doit également gérer ce bras de fer récurrent qui l’oppose à l’Allemagne et qui a repris de vigueur début mars 2021. La Cour constitutionnelle allemande a ainsi été saisie du programme de rachat de dettes publiques mis en place par la BCE dans le cadre de la pandémie de la covid-19 (PEPP - Pandemic emergency purchase program).

Il faut déjà se souvenir de ce véritable feuilleton au printemps 2020 en pleine première vague de la covid-19. Le 5 mai 2020, la Cour constitutionnelle allemande se prononçait sur le programme de rachat de dettes publiques mis en place par la BCE (trois programmes successivement mis en place à la suite de la crise financière de 2007 : SMP, OMT puis QE) et lui avait demandé de justifier de la conformité de ces rachats avec son mandat. Une critique accompagnée d’une menace, celle de la participation de la Bundesbank aux prochaines opérations de rachat.

Cette position, en période de crise sanitaire, a été accueillie très froidement et a suscité des réactions en chaîne.

Celle de la présidente de la BCE (7 mai 2020) qui a réaffirmé l’indépendance de cette dernière et a indiqué qu’elle avait l’intention de maintenir des rachats massifs de dettes des États et des entreprises de la zone euro.

Et surtout la réaction de la CJUE par un communiqué de presse le 8 mai 2020 dans lequel elle a rappelé qu’elle était seule compétente pour constater qu’un acte d’une institution de l’Union est contraire au droit de l’Union. Rappelant à la Cour constitutionnelle allemande que les juridictions nationales de chaque État membre, étaient obligées de garantir le plein effet du droit de l’Union. 

C’est ensuite la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen qui, le 10 mai 2020, a déclaré s’opposer à l’analyse des juges de Karlsruhe et évoqué la possibilité d’une procédure d’infraction contre l’Allemagne.

Suscitant l’intervention de la chancelière allemande, le 13 mai 2020, qui a pris position devant le Bundestag pour une plus grande intégration budgétaire au sein de l’Union européenne, s’opposant ainsi à l’analyse des juges allemands.

On relèvera le souci d’apaisement des institutions européennes, avec la décision prise par le Conseil des gouverneurs de la BCE, le 25 juin 2020, de transmettre à la Bundesbank, des documents internes et jusqu’alors confidentiels, permettant de justifier du caractère proportionné des rachats réalisés par la BCE.

En réponse, le 3 juillet 2020, la Cour constitutionnelle allemande a fait savoir que « l’affaire » était classée, les groupes parlementaires et le Gouvernement allemands ont considéré que les interventions de la BCE étaient proportionnées.

Ce bras de fer est donc relancé avec la saisine, le 8 mars 2021, de la Cour constitutionnelle allemande par seize hommes d’affaires et universitaires, concernant le programme d’urgence mis en place par la BCE pour gérer la pandémie de la covid-19.

C’est désormais le PEPP qui est dans le viseur, présenté comme un cas flagrant de financement public (Markus Kerber, Professeur d’économie, Université TU de Berlin)

En parallèle, c’est également le programme Next Generation UE qui pourrait être remis en cause. Avec ce dernier, l’Europe s’est dotée d’une capacité d’emprunt de 750 Md€. Dans ce cadre, la Commission est autorisée à émettre des obligations sur les marchés financiers au nom de l’Union européenne. Selon le schéma mis en place, les fonds empruntés doivent être remboursés à compter de 2028 au moyen des ressources propres nouvellement mises en place avec le prochain cadre financier pluriannuel. À défaut, il reviendra aux États de procéder à ces remboursements au moyen d’une augmentation de leur contribution au budget de l’Union.  

Pour rendre cet emprunt possible, il a été nécessaire de modifier la décision relative aux ressources propres et de la soumettre à ratification de chacun des États membres. La France a approuvé cette décision en février 2021 (L. n° 2021-127 du 8 févr. 2021 autorisant l’approbation de la décision (UE/Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l’Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE).

Au total, à fin mars, dix États l’avaient ratifié dont l’Espagne et l’Italie. Également ratifié par le Parlement allemand, le processus a subi un coup d’arrêt avec la saisine de la Cour constitutionnelle allemande. Ce recours, visant à contester cette mise en commun de dettes européennes, a d’ores et déjà eu une première incidence avec la décision de la Cour constitutionnelle allemande (26 mars 2021), de suspendre la ratification du plan de relance. Cette suspension a pour effet d’empêcher que cette ratification soit « paraphée par le Chef de l’État » dans l’attente de la décision de la Cour de Karlsruhe. 

Déjà fortement malmenée avec la crise financière de 2007, la discipline budgétaire européenne survivra difficilement à la pandémie de la covid-19. Très plausiblement, il faudra l’adapter (encore…) et obtenir des États membres de l’Union européenne, qu’ils s’accordent sur les obligations attendues d’eux en matière budgétaire. Alors que l’Europe est maintenue sous respirateur artificiel par la BCE depuis plusieurs années, le rôle de cette dernière devra également être précisé afin que chacun soit en accord avec les mandats confiés aux instances européennes.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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