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La filtration des étudiants en droit
Si les Universités ne peuvent pas sélectionner les étudiants, les professionnels cherchent à mettre en place des filtres à l’accès à leur profession. C’est tout particulièrement le cas des deux grandes professions du droit que sont les notaires et les avocats.
Les notaires d’abord. La profession notariale n’est pas connue pour la facilité à laquelle on y accède. Après des études longues et difficiles, le diplômé-notaire devait, jusqu’il y a peu, nécessairement se faire présenter au ministre de la justice, moyennant finance, par un notaire souhaitant prendre sa retraite. Chacun sait que ce système a été profondément remanié par la loi Macron. S’il n’a pas été supprimé, une autre voie d’accès à la fonction de notaire, libérale, a été créée. Dans certaines parties du territoire, toute personne remplissant les conditions pour être notaire pourra obtenir la création d’une charge du ministre de la justice. À l’heure où ces lignes sont écrites, la carte qui délimitera les « zones libres » des « zones interdites » n’est pas encore connue. Pire, il existe de profondes incertitudes quant aux modalités concrètes d’application de la loi Macron en raison des malfaçons dont celle-ci est affectée. Cette loi énonce en effet que des recommandations pourront être faites sur le rythme d’installation des nouveaux notaires dans les « zones libres ». Autrement dit, des quotas de nouveaux notaires pourraient être fixés afin que les offices en place ne soient pas submergés par l’arrivée d’une concurrence massive… Or, il n’est pas certain que la loi donne réellement au Gouvernement le pouvoir de rendre ces « recommandations » obligatoires. Si c’était le cas, comment se ferait la sélection entre les différents candidats ? Par un dossier ? Par un concours ? Au prix de la course ? Dans cette dernière hypothèse, faudra-t-il que soit créée une liste d’attente comme pour les licences de taxi ? Libéraliser l’accès au notariat en calquant le nouveau système sur celui des taxis, est-ce encore une manifestation du génie français ? (V. F. Rollin, Le Grand Paris : désastre ou manifestation du génie français, Dalloz Actu Étudiant, 2 févr. 2016).
Toujours est-il que la profession notariale s’inquiète d’ores et déjà de l’augmentation potentielle du nombre de notaires. Puisqu’elle ne bénéficie plus d’un numerus clausus à la sortie des études, une fois le diplôme obtenu, elle réfléchirait à mettre en place un système de filtration plus drastique à l’entrée en réduisant le nombre de diplômés… Certes, la sélection existe déjà à l’entrée, puisqu’il faut intégrer, sur dossier, un master 2 de droit notarial, ou un CFPN régional. Il se dit pourtant que l’idée de créer une école nationale du notariat serait à l’étude. Comment se ferait l’accès à cette école, dont on imagine le nombre de places limité ? Il est à espérer que personne n’ait sérieusement songé à conserver la sélection sur dossier. La profession notariale voudrait que s’abatte sur elle, à nouveau, le soupçon de l’entre-soi qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ! Toujours est-il que l’idée serait bel et bien de réduire la taille des trous du tamis…
Les avocats ne sont pas en reste et le projet de réforme de l’accès aux CRFPA n’en est pas, au contraire de celui des notaires, à ses balbutiements. Il est acté, semble-t-il, que les Instituts d’études judiciaires n’auront plus la charge d’organiser les examens. Plus précisément, pour lutter contre les taux de réussite disparates, l’examen des CRFPA deviendrait national et seuls certains IEJ seraient désignés centre d’examen. En vérité, derrière le paravent de l’égalité des chances, la volonté de la profession d’avocat de diminuer le flux des nouveaux avocats est patente. Cela ne manque pas de sel si l’on se souvient que, dans la lutte qui les a opposés aux notaires ces dernières années, les instances représentatives des avocats n’avaient de cesse de critiquer la profession de notaire au motif, notamment, qu’elle était fermée au contraire de celle d’avocat, ouverte et moderne, vivifiée par l’arrivée de jeunes professionnels… Il n’en reste pas moins que, sarcasme mis à part, la profession d’avocat arrive effectivement à saturation, et ce sont en particulier les jeunes avocats qui en font les frais. Incapables matériellement de créer leur cabinet à la sortie de l’École, ils sont souvent conduits à accepter des collaborations, lorsqu’ils en trouvent, dont les conditions de rémunération ne sont pas dignes de leur niveau d’étude et de leur qualification… Il y a donc un problème qui ne saurait être nié. Reste que la mise en place d’un examen national ne le résoudra sans doute pas, et aura des effets néfastes, tant sur l’Université que sur la profession d’avocat.
D’abord, croire que la mise en place d’un examen national permettra de limiter le nombre de candidats réussissant l’examen est un leurre. En quoi un sujet donné au niveau national réduirait le nombre d’étudiants obtenant 10/20 ? C’est d’autant plus absurde que les taux de réussite sont plus importants dans les grands IEJ. Les IEJ parisiens sont en effet les plus grands pourvoyeurs de nouveaux avocats.
Surtout, les effets collatéraux de la mise en place d’un examen national ont sans doute été mal évalués :
- Le ministre de l’enseignement supérieur assure qu’il n’y aura aucune suppression d’IEJ. Pourtant, seuls certains d’entre eux, ceux qui se situent dans une ville qui accueille un CRFPA, devraient être centre d’examen. Or, nombre d’étudiants préfèreront aller suivre les enseignements dans un IEJ qui est centre d’examen plutôt que dans un IEJ qui ne l’est pas. Les petites Universités vont alors souffrir de ces départs puisque le nombre d’inscrits dans leurs masters 1 et 2 va, corrélativement, diminuer. La désertification guette ainsi les facultés de droit qui ne seront pas centre d’examen.
- Au contraire, les facultés de droit qui seront centre d’examen, et qui ne manquent déjà pas d’étudiants, risquent la saturation, lorsqu’elles ne sont déjà pas saturées. On ne sait pas comment ces facultés feront face à ce nouvel afflux, surtout s’il se confirme qu’elles ne peuvent pas sélectionner à l’entrée des masters 2… Faudra-t-il organiser des cours de masters 2 pour des centaines d’étudiants ? Qu’on ne vienne pas, ensuite, leur reprocher de dispenser une formation trop théorique…
- A-t-on pensé au coût de la mise en place d’un examen national ? La profession d’avocat souhaite-t-elle réellement s’engager dans la voie de la création d’une usine à gaz type baccalauréat ? Avec transmission sécurisée des sujets, ouverture des enveloppes à la même heure, début des examens synchronisés ? Qui va payer pour le coût de cette organisation militaire ? Actuellement, dans les IEJ de petite et moyenne taille, ce sont les enseignants-chercheurs en charge de la préparation à l’examen qui corrigent, la correction étant incluse dans leur service de cours. Ils sont aidés par des avocats qui assurent la seconde correction. Ce système ne sera plus tenable si les étudiants sont regroupés dans de grands centres d’examen… L’universitaire prendra sa part dans la correction, mais ne sera pas en mesure de faire, seul, la première correction; il faudra donc une armée de correcteurs et, pour recruter cette armée, il faudra rémunérer la correction. Il n’est pas dans la mission des enseignants-chercheurs d’assurer bénévolement la correction des copies pour le compte des avocats ! Est-ce la profession d’avocat qui paiera ce surcoût ? C’est très peu probable. Les étudiants doivent donc s’attendre à une augmentation très significative des frais d’inscription à l’IEJ.
- Enfin, la concentration des étudiants dans certains IEJ risque d’accroître le déséquilibre entre les barreaux. La propension naturelle d’un étudiant, installé dans une ville depuis plusieurs années, pour préparer l’examen d’entrée dans un CRFPA, puis pour suivre la formation professionnelle dispensée dans le CRFPA en question, sera de chercher à travailler dans la ville en question…
Pour toutes ces raisons, la réforme qui est envisagée est dangereuse. Le bon sens voudrait au moins que les IEJ qui préparent les étudiants à l’examen leur fassent passer les examens, quitte à ce que les sujets soient fixés nationalement… Ce n’est pas la voie qui semble avoir été choisie, dans l’indifférence des organisations étudiantes.
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