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La future loi sur « la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » est-elle si menaçante pour nos libertés ?
On assiste depuis plusieurs semaines à une multiplication des prises de position contre la future loi « sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme », motif pris qu’elle constituerait une atteinte grave à notre régime de libertés publiques en raison du fait, pour l’essentiel que l’on passerait dans de nombreux domaines d’un régime pénal et répressif à un régime administratif et préventif créant un « droit administratif du soupçon » voire « un droit administratif de l’ennemi » qui prolongerait le « droit pénal de l’ennemi » théorisé par Günther Jakobs.
Pourtant, si l’on essaye d’analyser ce texte un peu plus précisément, force est de constater qu’une appréciation plus nuancée s’impose : la plupart de ses dispositions ne sont que des codifications ou des transpositions de pouvoirs qui existent de longue date en droit administratif et si d’autres, on pense notamment aux assignations à résidence, sont effectivement préoccupantes, il nous semble que l’enjeu essentiel est celui d’assurer un contrôle efficient du juge plutôt que de remettre en cause le principe même de ces mesures.
■ Codification et transposition
Entre dans cette catégorie tout d’abord la création de « périmètre de sécurité » pour sécuriser des lieux ou des événements. Cela rejoint des outils qui ont toujours été à disposition des autorités de police : il s’agit principalement ici d’assurer des examens visuels des bagages et des palpations qui sont déjà opérés pour l’accès à certaines manifestations sportives et culturelles se déroulant dans des espaces publics.
C’est encore le cas des fermetures de lieux de culte qui constitue en réalité un pouvoir d’interdiction de manifestations ou de regroupements qui appartient à l’autorité de police générale depuis le célèbre arrêt Benjamin de 1933. L’intérêt du texte est ici d’encadrer et de poser des garanties pour la mise en œuvre de ce pouvoir, notamment en prévoyant que cette interdiction ne peut être que temporaire.
Enfin, c’est encore le cas des « perquisitions administratives » permises sous le régime de l’état d’urgence et qui ont été transformées en visites domiciliaires au régime juridique très proche de celui qui existe en matière douanière et fiscale et qui requiert notamment une autorisation du juge des libertés et de la détention et fait l’objet d’un contrôle juridictionnel assuré par l’autorité judiciaire. On voit donc qu’ici, on a renoncé à un régime administratif au profit d’une mesure essentiellement judiciaire et qu’on a en outre encadré ces visites domiciliaires des garanties que la Convention européenne des droits de l’homme a imposées en matière fiscale et douanière, de sorte que la garantie des droits des personnes est globalement assurée.
■ Nouveaux pouvoirs : « l’assignation à résidence » et « l’interdiction de séjour »
Les dispositions regroupées dans l’article 3 du projet de loi instituent la possibilité pour l’autorité de police de restreindre les déplacements d’une personne soit en lui interdisant de circuler au-delà d’un territoire déterminé, soit en lui interdisant d’accéder à un ou plusieurs lieux désignés, ces régimes pouvant être mis en place sous la forme d’une surveillance électronique.
Même si ces dispositions adoptées marquent un assouplissement par rapport à celles qui étaient possibles dans le régime de l’état d’urgence (le périmètre est élargi, le caractère temporaire de la mesure est conforté, les obligations de pointage au commissariat sont réduites…), il s’agit ici indéniablement d’une nouveauté dans notre droit commun et même si le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel se refusent à y voir des mesures privatives de liberté, elles constituent indéniablement une restriction très grave de la liberté personnelle.
C’est sur ce sujet que l’on peut avoir le plus de préoccupations. Toutefois, à notre sens, ce n’est pas le contenu des mesures qui par lui-même le plus problématique mais, le fait que l’on se soit contenté d’un régime de contrôle juridictionnel très limité puisque pour dire les choses simplement la personne peut saisir le juge administratif d’un recours en annulation et d’un référé suspension ordinaires à chaque mise en œuvre ou renouvellement de la mesure comme c’est le cas pour tout acte administratif. Rien, en revanche sur la charge de la preuve, rien sur une obligation positive des autorités de police de démontrer la réalité de la dangerosité de la personne, ce qui conduira à la poursuite de la pratique des notes blanches. Rien non plus sur un suivi de la mise en œuvre de ces procédures par un juge et donc sur la vérification qu’au quotidien les entraves à la liberté des personnes ne soit pas aggravée par rapport à la mesure décidée, par des tracasseries administratives. Rien, enfin, sur un contrôle global et non individuel de la mise en œuvre de ces dispositions pour s’assurer que les autorités de police en font un usage limité et proportionné. Ce sont là de réelles insuffisances et il nous semble que la mise en œuvre de ces nouveaux pouvoirs devrait justifier également la mise en place de nouveaux contrôles adaptés à la gravité des mesures susceptibles d’être prises.
Au total, on le voit, ranger ce texte comme le symptôme d’on ne sait quel régime administratif despotique est sans doute excessif et empêche de penser la défense concrète des droits et libertés. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il faut arrêter de penser le droit par mots d’ordre et slogans pour se concentrer sur les enjeux réels et ne pas alimenter fantasmes et peurs de tous horizons.
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