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Le billet

[ 30 mai 2023 ] Imprimer

La liberté d’association est-elle en danger depuis 2017 ?

2017, arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron.

Depuis, du point de vue du droit des associations, jamais n’ont été aussi nombreuses les dissolutions d’associations et de groupements de fait.

Ainsi depuis le 14 mai 2017, 35 dissolutions d’associations ou groupements de fait ont été prononcées – soit une moyenne de 5,83 dissolutions par an.

En comparaison, sur le précédent mandat Hollande, 10 dissolutions avaient été prononcées entre le 15 mai 2012 et le 14 mai 2017 – soit une moyenne de 2 dissolutions par an.

La comparaison pourrait ne pas s’arrêter là et remonter jusqu’en 1936. En effet, pour l’essentiel, ces dissolutions sont prononcées sur le fondement des dispositions de l’art. L. 212-1 du Code de la sécurité intérieure (codification des dispositions de la loi du 10 janvier 1936 qui distingue sept hypothèses de dissolution et permet notamment, la dissolution d’associations ou groupements de fait portant atteinte à l’intégrité du territoire national ou à la forme républicaine du gouvernement, incitant à la haine, à la discrimination ou à la violence. Egalement afin de lutter contre le terrorisme). Beaucoup plus rarement, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 332-18 du Code du sport qui permet, notamment, la dissolution d’associations de supporters (dispositif introduit dans notre corpus juridique avec la loi n° 2006-784 du 5 juillet 2006).

Sur la période et abstraction faite des dissolutions précitées, le nombre de dissolutions s’établissait en moyenne à 1,39 par an pour la loi de 1936 – 1,5 pour la loi de 2006. Avec des pics à constater, souvent en lien avec l’actualité du moment et les modifications successivement apportées au texte de 1936.

Certains en déduisent un pouvoir autocratique attentatoire aux droits des citoyens à se constituer en association.

Certes, les chiffres sont éloquents.

Le New York Times s’est d’ailleurs appuyé sur ces chiffres pour désapprouver l’exercice de ce pouvoir : voir ici.

Cette approche souffre toutefois d’un biais : ces seuls chiffres ne peuvent suffire pour aboutir à cette première conclusion.

Pour confirmer cette dernière, encore faut-il apprécier l’issue juridique des actions contentieuses qui ont pu être menées par ces associations et groupements de fait aux fins d’obtenir, devant le juge administratif, l’annulation du décret de dissolution.

Ce n’est que confrontés à ces chiffres-là, qu’il est possible de se faire une réelle opinion sur le sujet…

Alors quels sont ces chiffres ?

Durant le mandat Hollande, 6 recours au fond ont concerné des décrets de dissolution adoptés durant cette période : pour 1 annulation et 5 rejets.

Sous Macron, pour que la comparaison soit effective, il faut limiter l’analyse à la période susceptible d’avoir été examinée par le Conseil d’Etat. Cela conduit à retrancher environ 14 mois d’activités. Cela nous place en janvier 2022. Sur cette période 26 dissolutions ont été prononcées, sur les 5 recours au fonds traités par le Conseil d’Etat, 5 rejets.

Cela signifie que lorsqu’un recours est intenté contre le décret, les chances d’en obtenir l’annulation sont minimes (Hollande) voire inexistantes sur la dernière période analysée (Macron).

Alors bien évidemment, sauf à entrer dans cette polémique conduisant à interroger la posture du Conseil d’Etat, il faut considérer qu’en droit, les dissolutions contestées étaient donc fondées et que le Gouvernement pouvait valablement dissoudre ces associations.

Sous réserve, bien évidemment, des éventuels recours qui pourraient être engagés devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Reste une interrogation. Cette analyse peut-elle résister au temps ? En effet, sur la période non analysée (depuis février 2022), 3 suspensions de décrets de dissolution ont été prononcées par le juge des référés. C’est un point qui doit attirer l’attention.

En effet, l’analyse des décisions du Conseil d’Etat sur les périodes Hollande et Macron ayant fait l’objet de cette approche statistique, laisse apparaître que lorsque le juge des référés a été saisi, préalablement à l’intervention du Conseil d’Etat au fond, une seule suspension avait été ordonnée (CE 30 mars 2016, Assoc. des musulmans de Lagny-sur-Marne, req. n° 397890). Suspension suivie d’une annulation du décret de dissolution (CE 15 déc. 2017, req. n° 401378).

De manière assez mécanique, on peut constater que lorsqu’un rejet de la demande de suspension est prononcé, il laisse présager un rejet au fond. Ce n’est pas automatique en droit mais statistiquement, tels sont les résultats.

Or en avril et mai 2022, le juge des référés a suspendu trois décrets de dissolution (CE, ord., 29 avr. 2022, Comité action Palestine, req. n° 462736 ; CE, ord., 29 avr. 2022, Collectif Palestine vaincra, req. n° 462982 ; CE, ord., 16 mai 2022, Groupe antifaciste Lyon et environ, req. n° 462954).

C’est là que la statistique pourrait s’en trouver bousculée. Car si le rejet d’une demande de suspension laisse craindre un rejet au fond, la suspension prononcée par le juge des référés constitue une première bonne nouvelle pour les requérants et leur donne l’espoir d’une annulation possible devant le juge du fond.

Et même si le précédent évoqué supra, d’une suspension suivie d’un rejet doit bien conduire à relativiser le pronostic, trois suspensions prononcées par le juge des référés sur une période aussi brève, interrogent nécessairement.

L’issue de ces actions contentieuses et les décisions rendues au fond (probablement vers septembre-octobre 2023) conduiront peut-être à modifier la précédente conclusion.

Il s’agit surtout ici de regretter des conclusions à l’emporte-pièce, qui s’arrêtent en cours de chemin et ne prennent pas la peine d’explorer un sujet jusque dans ses ultimes explications possibles.

Très clairement, jauger l’activité du gouvernement en fonction du nombre de dissolutions prononcées sans tenir compte des décisions que l’autorité juridictionnelle peut être amenée à prononcer, c’est forcément s’en tenir à une conclusion biaisée…

Références :

■ CE 30 mars 2016, Assoc. des musulmans de Lagny-sur-Marne, req. n° 397890 C

■ CE 15 déc. 2017, req. n° 401378 

■ CE, ord., 29 avr. 2022, Comité action Palestine, req. n° 462736 AJDA 2022. 900 ; JA 2022, n° 660, p. 14, obs. X. Delpech.

■ CE, ord., 29 avr. 2022, Collectif Palestine vaincra, req. n° 462982 AJDA 2022. 900 ; JA 2022, n° 660, p. 14, obs. X. Delpech ; ibid. 2023, n° 673, p. 34, étude S. Damarey.

■ CE, ord., 16 mai 2022, Groupe antifaciste Lyon et environ, req. n° 462954 AJDA 2022. 1011 ; ibid. 2350, note C. Rouillier ; JA 2023, n° 673, p. 34, étude S. Damarey.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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