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Le billet
La main dans le sac…plastique !
L’Union européenne n’est pas toujours aussi vertueuse dans le domaine de l’environnement qu’elle ne veut bien l’afficher. Cette ambivalence apparaît aujourd’hui, moins sur le climat que dans la gestion des déchets notamment non dangereux, qui ne demeure plus seulement une préoccupation domestique et une obligation à la charge des collectivités territoriales.
Les déchets deviennent incontestablement un sujet de relations internationales, depuis que certains États refusent d’accueillir des déchets non dangereux en provenance d’autres États. C’est ainsi qu’il y a quelques semaines, la Chine a refusé l’importation de déchets en provenance des États-Unis. Cette décision n’était, en réalité, qu’une nouvelle étape dans le durcissement de la politique de la Chine face au commerce des déchets. Loin d’être liée au conflit commercial, la position chinoise est aussi celle d’autres États d’Asie du Sud-Est, dont les Philippines qui se sont opposées au Canada dès 2013, et la Malaisie, qui a annoncé, il y a quelques jours, qu’elle mettait fin aux importations de déchets.
Si la lumière est mise sur les déchets du continent nord-américain, le comportement des États européens peut faire l’objet de tout autant d’attention, tout comme la politique de l’environnement menée par l’Union en ce domaine, sachant que l’Union exporte plus de la moitié de ses déchets plastiques vers des États tiers, en raison notamment de capacité de traitement insuffisante. Ces déchets sont souvent envoyés sans être correctement triés, rendant impossible toute valorisation de ceux-ci dans les pays tiers. Il est ainsi manifeste qu’il existe un écart entre la politique volontariste de l’Union européenne dans le domaine de l’environnement et la réalité de la gestion des déchets au sein de son territoire, qui conduit à aller polluer ailleurs.
Il est vrai que ce commerce est licite au niveau international. La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination du 22 mars 1989, entrée en vigueur le 5 mai 1992, encadre et rend possible les échanges transfrontaliers de déchets dangereux et a contrario en l’absence de réelles dispositions des déchets non dangereux. L’Union a ratifié cette convention par la décision 93/98/CEE du Conseil du 1er février 1993, reconnaissant la validité de cette activité économique pour l’ensemble des acteurs européens. Cette convention constitue au niveau international un progrès pour la protection de l’environnement et la santé des populations locales, évitant que les déchets qualifiés de dangereux soient éliminés dans des conditions inadmissibles.
Cependant, cette convention apparaît, à certains égards, insuffisante pour faire face aux enjeux environnementaux actuels, plus particulièrement face aux plastiques et pas seulement sous forme de sac. L’Union européenne a bien adopté différentes dispositions, dont la directive 2006/12/CE de manière à imposer des contraintes plus fortes aux États membres pour le traitement des déchets. La directive a pour principale finalité d’appliquer le principe de correction, par priorité à la source (TFUE, art. 191, § 2). Il en découle, pour la Cour de justice, que les déchets doivent être éliminés aussi près que possible de leur lieu de production, en vue de limiter leur transport autant que faire se peut. La directive n’interdit pas toutefois l’exportation des déchets à destination d’États tiers. Il y a ainsi une distorsion entre le contenu des principes et des obligations communautaires et la marge d’appréciation laissée aux États membres, qui peuvent transférer cette charge à des États tiers, sans faire grand cas des conditions de traitements des déchets. Le régime communautaire applicable ne préserve aucunement ces États tiers et ferme les yeux sur le développement de décharges à ciel ouvert sur ces territoires, quand l’Union européenne sanctionne les États membres qui n’ont pas pris les mesures nécessaires pour les mettre en conformité sur leur sol (CJUE 16 juill. 2015, Commission c/ Italie, aff. C-653/13).
Cette situation ne semble pas être en voie de s’arrêter et il s’agit bien du cœur du problème. L’Union européenne ne parait pas vouloir prendre la mesure de cette question. En effet, le Conseil de l’Union a fait connaître le 15 avril 2019, la prise de position commune au nom de l’Union pour la quatorzième réunion de la conférence des parties de la convention de Bâle (décision 2019/638 du Conseil). Cette prise de position soutient un certain nombre d’amendements déposés par la Norvège, visant non pas à interdire les échanges transfrontaliers de déchets de matière plastique, mais à mieux en contrôler les échanges. L’Union européenne indique également vouloir que ces amendements entrent plus tard en vigueur. Elle est ainsi partie prenante de ce régime juridique qui se heurte aux objectifs et aux principes de sa politique de l’environnement. Au contraire, l’Union favorise sa pérennisation par sa décision du 15 avril 2019, pour des intérêts difficilement justifiables.
Si une prise de conscience existe pourtant au sein de la Commission et du Parlement européen au regard de leurs travaux, celle-ci ne suffit plus. Il manque un cadre juridique plus contraignant, les déchets n’étant pas une marchandise comme une autre. Ils doivent faire l’objet d’un régime commercial plus restrictif dans les relations avec les pays tiers, obligeant à un traitement au sein de l’Union, sauf circonstances techniques ou technologiques spécifiques. Imposer une telle solution inciterait les États à être plus vertueux et à faire davantage d’efforts en matière de réduction de production de déchets, plus particulièrement de plastique.
Sans doute changer de politique aura un coût pour les populations européennes, comme l’a mis en exergue la remise en cause des montages économiques entre les villes américaines et la Chine. Sans doute, l’ensemble des populations européennes n’est pas sensible aux lieux où les déchets doivent être réalisés. Les élections du Parlement européen ont indiqué que le vote en faveur des partis environnementaux n’était pas une préoccupation partagée dans tous les États membres, à l’exception de la France et l’Allemagne et l’Europe du Nord.
Mais une des vertus de l’Union européenne est de mettre à l’ordre du jour des États des sujets qui n’auraient pas été si rapidement envisagés au niveau national et de construire des solutions communes contraignantes. Aujourd’hui, le pas doit être franchi en amplifiant le recours à l’économie circulaire, soutenu déjà par le Parlement européen, propre à responsabiliser chacun et à garantir une véritable valorisation des déchets avec une traçabilité au sein du marché intérieur, alors qu’elle fait souvent défaut dans un États tiers.
Sans cette avancée, l’Union européenne sera mise face à ses contradictions, prise la main dans le sac aux yeux de tous.
Référence
■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
Article 191
« 2. La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur.
Dans ce contexte, les mesures d'harmonisation répondant aux exigences en matière de protection de l'environnement comportent, dans les cas appropriés, une clause de sauvegarde autorisant les États membres à prendre, pour des motifs environnementaux non économiques, des mesures provisoires soumises à une procédure de contrôle de l'Union. »
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