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Le billet
La nouvelle méthode de rédaction des arrêts de la Cour de cassation
Les premiers arrêts de la Cour de cassation, rédigés en style direct, ont été mis en ligne sur le site internet de cette dernière. La première chambre civile a, ainsi, publié un arrêt, daté du 4 décembre 2019, dans lequel elle casse une ordonnance d’un juge des libertés et de la détention qui avait décidé de la mainlevée d’une mesure de soin imposée à une personne dont l’irresponsabilité pénale avait été reconnue par un tribunal correctionnel (n° 18-50.073).
Au-delà de la décision, assez anecdotique au fond, l’Histoire retiendra qu’il s’agit du premier arrêt, rendu par une chambre civile, ayant abandonné la phrase unique et les « attendus » qui lui étaient consubstantiels.
Chacun sait que la Haute juridiction judiciaire s’était engagée, d’ici à la fin de l’année 2019, à user d’un style direct et à structurer ses arrêts en trois parties : I. Faits et Procédure ; II. Examen du moyen ; III. Par ces motifs. C’est essentiellement dans l’espoir d’améliorer l’accessibilité de ses arrêts et, corrélativement, la fonction persuasive de ces derniers que la Cour de cassation a pris la décision de « moderniser » sa technique de rédaction.
La modification du style des arrêts n’implique toutefois pas un changement de méthode, au moins pour le « tout venant » des décisions. L’enrichissement de la motivation des arrêts, autre pan de la réforme rédactionnelle de la Cour de cassation, n’est prévu que pour certaines décisions, comme celles dans lesquelles un revirement de jurisprudence sera effectué, qui procèderont à l’interprétation d’un nouveau texte ou encore qui trancheront une question de principe.
Pour ces dernières, la Haute juridiction abandonnera la concision, qui est la marque de sa motivation depuis des lustres, afin de donner les raisons profondes de sa décision. Elle pourra, par exemple, citer des précédents pour situer sa décision dans une lignée jurisprudentielle (V. déjà. Ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411), voire mentionner les solutions alternatives qu’elle aurait pu choisir.
On peut espérer que la Haute juridiction saura se prémunir contre la logorrhée des juridictions européennes, CEDH et CJUE, la longueur d’une motivation n’étant pas un gage de qualité ou d’accessibilité. Les décisions des juridictions européennes sont souvent des pensums qu’il faut parcourir minutieusement lorsque l’on veut en saisir la portée. Il faut même être un spécialiste chevronné du droit européen des droits de l’Homme pour reconnaître dans telle phrase d’un arrêt de la CEDH, noyée au milieu de centaines d’autres, la reprise d’un élément, déjà utilisé dans une autre décision...
Toujours est-il que l’arrêt mentionné, rédigé selon les nouvelles normes, ne bénéficie pas d’une motivation enrichie. L’apport de cette nouvelle structure n’est pas évident pour le lecteur rompu à l’exercice de l’interprétation des arrêts de la Cour de cassation.
Certes, l’étudiant en droit sera sans doute moins décontenancé par le style direct. Le risque qu’il confonde la thèse du pourvoi, ou la motivation de la Cour d’appel, avec la réponse de la Cour de cassation est, en outre, beaucoup moins présent avec la nouvelle méthode de rédaction qu’avec l’ancienne.
Avec l’ancienne méthode de rédaction, il suffisait, en effet, à l’étudiant étourdi, de manquer le « Mais attendu que… » ou le « Qu’en statuant ainsi… », qui introduisait la solution de la Cour de cassation, pour effectuer un contresens.
Toutefois, toujours pour l’étudiant, la simplification ne sera pas nécessairement au rendez-vous. À l’évidence, il faudra que ce dernier maîtrise les deux méthodes de rédaction, la nouvelle évidemment, mais également l’ancienne, sauf à se priver des clés nécessaires à la compréhension des arrêts rendus jusqu’à aujourd’hui.
Ce ne sera pas nécessairement facile, la structure des arrêts, en particulier de cassation, ayant changé.
Dans l’ancienne méthode, lorsque la Haute juridiction décidait de casser un arrêt, elle ne reproduisait pas le moyen du pourvoi dans le corps de sa décision. Elle se contentait en effet d’exposer la position de la juridiction attaquée, avant de la critiquer après le fameux « Mais attendu que… ».
Or, dans la décision commentée, qui est de cassation, la deuxième partie « examen du moyen » énonce ce dernier, sans reprendre in extenso la motivation de la cour d’appel qui était critiquée. C’est donc là un changement majeur de méthode. La motivation n’est d’ailleurs mentionnée, qu’incidemment, dans la réponse de la Cour de cassation, plus précisément au n° 5.
Il reste ainsi à savoir si, sur Legifrance, la motivation de la cour d’appel, attaquée par le pourvoi, sera annexée avec les moyens du pourvoi, comme c’était le cas auparavant.
Si tel n’était plus le cas, il y aurait un appauvrissement des éléments permettant la compréhension de l’arrêt, ce qui forcerait l’interprète à aller chercher la décision attaquée sur une base de données spécialisée, dans l’attente de l’avènement de l’open data des décisions de justice.
Une nouvelle ère s’ouvre donc à compter de cet arrêt du 4 décembre, mais il serait imprudent d’en attendre un changement profond.
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