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Le billet
La nouvelle organisation territoriale de la République, une étape cruciale dans l’histoire administrative de la France
Des débats sur la loi relative à la nouvelle organisation territoriale de la France, on n’aura retenu, si l’on se contente des informations fournies par les medias audiovisuels quelques clichés : les discussions sur la délimitation des régions, la valse-hésitation (sans mauvais jeu de mots) sur la suppression des départements voire les conditions de la structuration de la future Métropole de Paris.
Pourtant, si l’on essaye de prendre un peu de recul, ce qui n’est rien moins qu’évident pour un texte qui évolue à chaque étape de la discussion parlementaire, il est possible de se rendre compte du fait que cette réforme n’est pas seulement cartographique (pour les régions) ou stratigraphique (pour l’éventuelle suppression des départements) mais emporte des conséquences sur la conception même de l’organisation territoriale de la France.
Le premier point saillant à mettre en évidence est que l’ensemble de textes en cours de discussion va conduire à rompre avec le principe issu de la Révolution de la matrice géométrique de l’organisation des territoires. Désormais, en deçà de l’échelon régional, la volonté des collectivités sera très largement prise en compte pour assurer cette structuration : renouveau des techniques de fusions de communes, fortes incitations à la fusion des départements, voire si cela est adopté, détachement de départements d’une région vers une autre.
On passe donc d’une organisation fondée sur une grille et une rationalité nationale à une rationalité produite par les collectivités locales elles-mêmes. On pourra ainsi, dans quelques années, observer certaines régions dont tous les départements auront été fusionnés et, dans les périmètres les plus urbanisés, qui ne seront plus composés que d’intercommunalités puissantes ayant acquis l’essentiel des compétences communales, tandis que dans d’autres, faute d’accords locaux, la structure actuelle aura été tant bien que mal préservée.
Le deuxième phénomène marquant concerne la manière dont ces réformes contournent la problématique du « mille-feuille territorial ». Depuis bien longtemps on entend parler de la nécessité de supprimer un échelon d’administration, voire plusieurs. Les réformes en cours mettent en évidence que ces proclamations de papier ne résistent pas à la pression des faits, des débats et des groupes d’intérêts.
Mais en relâchant la contrainte étatique sur la structuration administrative des espaces, en favorisant les transferts de compétences de l’un à l’autre niveau de collectivités, les projets en discussion contournent, en définitive, le problème d’une manière assez habile : plutôt que de proclamer la suppression, c’est plutôt le dépérissement progressif des niveaux les moins performants sur telle ou telle partie du territoire qui est visé.
Évidemment, il s’agit d’une méthode plus lente, dont les coûts transitoires seront importants et qui risque de créer des poches de résistance qui seront difficiles à réduire. Pour autant, elle est sans doute beaucoup plus réaliste et créera des dynamiques pour l’avenir.
De manière plus profonde encore, cette réforme territoriale oblige à reposer la question des identités locales et conduit à repenser les patriotismes régionaux, départementaux, voire communaux (patriotisme étant dans ce contexte bien souvent un synonyme d’égoïsme).
Contrairement à ce que donnent à entendre des commentaires à courte vue, l’essentiel des résistances ou des mouvements n’est pas le produit de structures historiques qui seraient encore vivaces (Nantes et la Bretagne, l’Alsace contre la Lorraine). Bien au contraire, on sent poindre des solidarités nouvelles qui sont le produit des évolutions territoriales de ces cinquante dernières années : la mise en évidence d’un arc Atlantique, la connexion des territoires centraux et des territoires frontaliers, etc. Sans doute les esprits chagrins souligneront qu’il demeure des insuffisances, comme par exemple, le maintien séparé du Centre et des Pays de la Loire, mais enfin l’essentiel est là.
Enfin, les discussions parlementaires en cours permettent de montrer une intense activité de réflexion, bien plus ambitieuse que ce que l’on dit parfois des évolutions très rapides sur les idées de solidarités entre territoires. Alors bien sûr, il y a des incantations, des postures, des invectives des égoïsmes exprimés, mais c’est bien naturel dans ce type de débats, et si caractéristique de la manière française de réformer.
Mais il ne faut pas se laisser impressionner par ces clameurs et comprendre que c’est bien une nouvelle compréhension de l’organisation territoriale de la France qui est en train d’émerger dont l’ambition et la portée sont de la même importance qu’au moment de la création de départements en 1789-1790.
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