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Le billet
La participation du public à la prise de décisions publiques : un miroir aux alouettes ?
De crise sociale en crise politique, le même diagnostic est bien souvent posé : les difficultés que rencontre notre démocratie seraient principalement causées par des processus de décisions trop verticaux et l’absence de participation des citoyens à la prise desdites décisions. Et alors chaque acteur d’ajouter de nouveaux outils à ceux déjà existants : référendum local, référendum d’initiative citoyenne, débat public, conventions citoyennes tirées au sort, budget participatif, etc, etc.
Or, si on fait le bilan de l’utilisation de ces procédures, on est plus amené à faire des constats d’échecs que celui d’une revitalisation de notre vie démocratique.
Prenons en quelques exemples :
Les referendums locaux institués en 1992 et dont le champ d’application a été progressivement étendu, qu’ils soient décisionnels ou simplement consultatifs ne sont pratiquement plus utilisés, sauf comme argument pendant les campagnes électorales. Et ce n’est pas la toute récente ratification de la charte pour l’autonomie locale dont la portée et très générale qui y changera quoi que ce soit.
Le referendum d’initiative partagée à l’échelon national, en application de l’article 11 de la Constitution, ne connaît pas un meilleur destin. La procédure actuellement en cours visant à l’adoption d’une proposition de loi empêchant la privatisation d’Aéroport de Paris peine à dépasser le million de soutiens, alors qu’il en faudrait plus du quadruple pour que le processus référendaire puisse être engagé.
En sera-t-il de même pour la « convention citoyenne sur le climat » convoquée par le Président de la République pour tenter de résoudre la crise des gilets jaunes ? Ne jouons pas les oiseaux de mauvais augure mais comme le souligne Arnaud Gossement, outre que son mode de recrutement laisse perplexe, cette commission va se heurter au fait que « 80% de notre code de l’environnement est d’origine européenne », et qu’il sera donc fort difficile de faire aboutir des solutions nouvelles sans se heurter à ce cadre.
Enfin, si les budgets participatifs ont connu depuis quelques années une réelle progression (v. le bilan dans la note de la fondation Jean Jaurès « Budgets participatifs la nouvelle promesse écologique ? », force est de constater que l’on demeure dans de la décision de faible portée. Ainsi, à Paris, les grands décisions d’aménagement sont exclues du processus qui se concentre sur des « verdissements de places » et des subventions à des projets d’association de quartier pour des montants qui demeurent limités.
Tout ceci n’est guère réjouissant et ne fait qu’ajouter à des constats faits depuis bien des années sur la faiblesse de la participation aux enquêtes publiques ou à la concertation dans le cadre de l’élaboration des documents d’urbanisme.
D’ailleurs ce phénomène ne vaut pas que pour la France. Ainsi, un récent article publié par The conversation montre que les municipalités espagnoles qui ont mis en place des procédures très ambitieuses se heurtent également à la faiblesse de cette participation. Par exemple, à Madrid où avait été instituée une procédure permettant que les projets portant sur les compétences seraient automatiquement soumis à referendum s’ils obtenaient le soutien d’un pour cent de la population n’a fonctionné que deux fois en quatre années…
De toute évidence, ce ne sont donc pas ces procédures de participation directe des citoyens qui revitaliseront nos démocraties. Les échecs ou les demi-succès qui viennent d’être soulignés montrent que la « démocratie administrative directe » est assez largement un leurre et mettent en évidence, d’après nous, la nécessité de favoriser le développement de corps intermédiaires plus structurés et plus influents qui soient en mesure de fédérer les aspirations individuelles et de les convertir en une force de proposition collective. Si on reprend l’exemple de la participation à l’élaboration de documents d’urbanisme, les contributions les plus constructives viennent de ces associations structurées (France Nature Environnement, Fondation Abbé Pierre, etc.) qui sont capables de développer une expertise qui permet de concurrencer celle des acteurs publics et de faire émerger des alternatives. Conforter ces acteurs intermédiaires, renforcer leur place dans la prise de décision publique sera donc sans doute plus utile que d’ajouter de multiplier les nouvelles procédures de participation qui, dopées aux « civic tech » ou non, risquent de connaitre le même destin que celles que nous connaissons déjà.
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